Les naufragés du Batavia - Simon Leys
Ces livres qu'on oublie...! Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) me rappelle avoir, ces derniers temps, semé ici ou là des commentaires où j'évoquais, à côté de "fortunes de mer" célèbres du temps de la marine à voile d'avant l'ère industrielle comme celles ayant frappé Le Bounty, La Méduse, L'Utile, La Boussole et L'Astrolabe ou le Wager, mon envie de lire quelque ouvrage narrant les mésaventures des naufragés du Batavia. Hé bien, j'ai remis par hasard la main, dans un recoin de pochothèque chez moi, sur le petit volume que je chronique ici.
Simon Leys, Les naufragés du Batavia, suivi de Prosper, Arléa,
coll. Points N°P1333, 2003, 126 pages
Le Batavia était un navire de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) du XVIIe siècle. En juin 1629, il a fait naufrage sur des récifs de corail au large de la côte ouest de l'Australie, bien loin de sa route prévue puisqu'il ralliait "précisément" Batavia (île de Java), conquête récente des Indes néerlandaises (aujourd'hui Jakarta, en Indonésie). À cette époque, la navigation de pleine mer était aventureuse faute de pouvoir mesurer avec précision la longitude sur leur route, autrement qu'à l'estime. Un navire sur 50 de la VOC n'arrivait pas à destination, et un sur 20 ne revenait pas à bon port en Europe. C'est ce que Simon Leys commence par nous apprendre. Sur cette "affaire" du Batavia, il explique s'être documenté pendant 18 ans avec l'idée d'en faire un livre, et avoir procrastiné de se lancer dans sa rédaction jusqu'au moment - trop tard - où est paru "le" livre définitif sur le sujet (L'archipel des Hérétiques, Mike Dash). Du coup, Simon Leys a "tout de même" rédigé la soixantaine de pages qui racontent et résument cette histoire, pour "inspirer le désir de lire [le livre de Dash]". Histoire capable d'inspirer aussi un film hollywoodien: 250 naufragés sur quelques îlots aussi inhospitaliers que Tromelin, les officiers et marins professionnels les plus capables qui partent à bord de l'unique chaloupe chercher un hypothétique secours, et les survivants qui tombent sous la coupe d'un psychopathe ne rêvant que capture d'un navire, piraterie, pillage, meurtres et accessoirement stupre (oui, il y avait quelques femmes à bord)... L'aventure s'est mal finie pour la plupart des "naufragés du Batavia" et semble avoir eu un énorme retentissement à l'époque, avant d'être oubliée.
Le second texte, Prosper (pp.75-126), a été rédigé en 1958. "Quand j'étais étudiant, durant le dernier été que je passais en Europe avant de partir pour l'Extrême-Orient, j'eus l'occasion de naviguer à bord d'un thonier breton - un des rares bateaux qui travaillaient encore à la voile. Le hasard d'un rangement vient de me faire retrouver le récit - vieux de quarante-cinq ans - que j'avais fait de cette "marée"", dit Leys. Le Prosper est le nom dudit navire, sur lequel il nous raconte son embarquement au port d'Etel (Morbihan). À l'époque, ce port ne comptait plus que deux thonier (contre 200 au temps de sa splendeur), remplacés par des "pinasses" à moteur. Sur toute la côte atlantique jusqu'à Saint-Jean de Luz, les thoniers à voile n'étaient plus qu'une demi-douzaine. J'ai été frappé par la grande place que semblait tenir dans la vie quotidienne de l'équipage, à bord comme à terre, la consommation d'alcool. La ration de vin à bord est de deux litres quotidiens par homme. Pour le reste, leur vie quotidienne lors d'une "marée" (campagne de pêche de plusieurs semaines loin du port) m'a rappelé celle de Capitaines courageux: repas à base de pommes de terre et de ...thon frais, longues journées de mauvais temps cloîtrés dans le "poste" (lieu de vie et de repos), pêche lorsqu'il fait beau temps, manoeuvre du bateau intégralement à la voile, équipage soudé (différents matelots ayant une "part" de la pêche: Robert, Louis, Etienne, le vieux Félix, Gabi, mais aussi le mousse, un autre passager que Pierre) mais soumis à l'autorité incontestable du "patron". Ce dernier, Maurice, "pensionné" après une carrière complète dans la Marine nationale qu'il a finie avec le grade de Premier-maître, a repris la mer en armant comme "patron" à la pêche au thon après la fin de sa carrière militaire, plutôt par goût que par obligation ou esprit de lucre. Elle se pratique à l'aide de deux longues perches perpendiculaires au navire, les "tangons", armées chacune de sept lignes aux hameçons desquels on attend que le thon morde, en espérant remplir la cale le plus rapidement possible et que le poisson n'aura pas le temps de s'abîmer avant le retour au port. J'ai aussi retrouvé dans cet ouvrage la méfiance par rapport aux gros navires qui "trient leur route" sans se préoccuper des petits. Mais il est aussi question des savants qui expédient des fusées vers la lune et détraquent ainsi le temps, ou d'Alain Bombard qui visait (à l'époque) à obliger tous les bateaux à s'équiper de matériel de sauvetage (envisagé sous l'aspect "coût à payer"!). La marée s'interrompt prématurément pour un retour au port: le vieux Félix tombe malade (un saignement de nez qui, apprendra-t-on au retour à terre, lui aura probablement évité une attaque qui aurait pu être fatale). Et "Pierre", pressé par le temps, n'a pas le loisir de repartir avec l'équipage du Prosper, et n'apprendra la fin de la campagne que par le courrier de l'autre "passager" du bord.
Simon Leys (1935-2014), c'est en fait le pseudonyme d'un sinologue prénommé Pierre, comme me l'a appris Wikipedia consulté ce 26 juillet 2024. Je ne m'intéresse ici qu'à l'aspect "maritime" de son oeuvre. En préparant le présent billet, j'ai découvert plein de sujets intéressants dont j'espère bien avoir l'occasion de reparler avant le mois de novembre! Cet écrivain de nationalité belge et de langue française met donc en avant L'Archipel des hérétiques évoqué plus haut, il a préfacé le livre de François-Edouard Raynal (qui avait en son temps inspiré Jules Verne) lors de sa réédition en 2011 sous le titre Les Naufragés, ou Vingt mois sur un récif des Auckland, il a lu dans sa jeunesse et traduit plus tard (de l'américain) Deux années sur le gaillard d'avant de Richard Henry Dana Jr., il a été membre de l'association des Ecrivains de marine... et il a écrit un essai (en deux tomes!) sur La Mer dans la littérature française.
Mon billet du jour sur ce livre participe, bien sûr, au challenge "Book trip en mer" de Fanja, mais également, pour partie (Prosper), à l'activité "Monde ouvrier, mondes du travail" d'Ingannmic et même au challenge "2024 sera classique aussi" organisé par Nathalie.
Ah, la mémoire... Il a fallu que je relise les dates d'achat et de fin de lecture (02/08/2012 et 03/08/2012) que j'avais marquées en début et en fin de mon exemplaire, pour avoir la certitude qu'effectivement... je l'avais déjà lu! Sa relecture m'a pris moins de temps que la rédaction du présent billet.