Bateaux et navigation maritime chez Jules Verne
Je (ta loi du cine, "squatter" chez dasola) poursuis mon "survol" de la vaste oeuvre de Jules Verne, sous l'angle "livres ou nouvelles où il est question de bateaux naviguant en mer". Cette fois-ci, après mes deux premiers billets des 18 et 29 juillet 2024, je suis sorti de ma "zone de confort" puisque ce troisième billet (qui ne sera pas le dernier comme je le présumais) aborde des romans que je n'avais, pour certain, lus (?) qu'une seule fois, il y a des décennies, ou bien des oeuvres qui n'étaient tout simplement pas accessibles dans ma jeunesse. Je rappelle que je présente dans cette série des "textes intégraux" et non des versions adaptées ou abrégées pour la jeunesse.
Je commence par présenter trois "10/18" que je possède depuis l'époque où j'acquérais mes derniers Jules Verne en "Livre de Poche". C'est Francis Lacassin qui avait lancé cette édition (à couvertures bleues là où Jack London avait des couvertures oranges), et qui les préface ou postface. L'une des raisons qui a fait que je n'ai pas été au bout de cette collection-là est sans doute l'absence des gravures présentes dans "Le Livre de Poche", peut-être le moindre intérêt des histoires par rapport aux romans "les plus connus", et sans doute enfin l'impression de "m'être fait avoir" avec des doublons.
Le titre L'île à hélice est signifiant: Standard Island, à la surface de laquelle est construite Milliard City, est en soi une structure artificielle naviguante, propulsée par deux hélices, l'une à bâbord et l'autre à tribord. Ses "passagers", qui louent à la société commerciale propriétaire (au capital de 500 millions de dollars) le droit de résider sur ce "paradis flottant" pour milliardaires (américains), sont dix mille (petit personnel compris), inégalement répartis sur ses quelque 27 kilomètres carrés (un ovale de 7 km de long et 5 km de large...). L'île possède aussi deux ports, d'où partent et où accostent les navires de service qui amènent ce qui est nécessaire ou remportent, par exemple, les décédés. Quand l'histoire commence (elle n'est pas précisément datée), l'île navigue depuis deux ans dans le Pacifique, pour que ses milliardaires bénéficient en toute saison d'un climat agréable.
J'ai trouvé que, dans cet ouvrage publié en 1895, Jules Verne se fait plus caustique et moins "romanesque". Les "héros" (presque des anti-héros), ce sont quatre musiciens "du conservatoire" (de Paris), âgés de 27 à 55 ans, qui forment un quatuor à cordes ("Le quatuor concertant", en toute simplicité) et sont partis en tournée aux Etats-Unis pour faire découvrir la musique de chambre aux Américains. Ils se font enlever pour apporter une distraction culturelle aux passagers (on leur signe cependant un beau contrat: un million de dollars chacun pour un an à bord, ça ne se refuse pas!). C'est donc à travers ces témoins assez peu signifiants que nous seront décrits divers incidents ou péripéties durant plus de trois trimestres de croisière dans les îles du Pacifique. L'auteur se positionne comme un observateur extérieur, qui narre avec distance et ironie la vie quotidienne comme les mésaventures de notre quatuor et de leur "société" (collision avec un navire anglais et indemnité extorquée sous la menace des canons d'une escadre anglaise, débarquement intempestif de fauves, cannibalisme évité de justesse, attaque de "sauvages" aux Nouvelles-Hébrides...). Mais finalement, ce qui unit un tel groupement de milliardaires - l'argent - est moins fort que ce qui les sépare et même divise (la religion, et le choix de la destination...). Une lutte de pouvoir digne des Montaigu et des Capulet aboutira à la dislocation de cet univers de privilégiés, tirée à hue et à dia par ses deux moteurs opposés. Malgré ce naufrage, l'amour triomphera...
Je crois que, lorsque j'avais acquis ce titre, j'avais dû le parcourir mais sauter bien des pages de description sans action. Même si j'avais de meilleurs yeux qu'aujourd'hui, la toute petite taille des caractères de mon édition et le manque de gravures faisaient trop de différences en terme de pages indigestes par rapport à mes chers "livres de poche". L'ouvrage comporte une postface de trois pages (en caractères encore plus petits!) par Francis Lacassin, "l'homme aux mille préfaces".
J'ai en tout cas noté avec intérêt que, il y a 130 ans, Jules Verne prévoyait que la population terrestre atteindrait six milliards en 2072 (p.50): il sous-estimait notre prolifération... De la même manière, je ne suis pas sûr que supportent la comparaison avec son île à hélice "nos" plus gros paquebots géants (record en 2024: plus de 360 m de long, jusqu'à 20 ponts superposés, près de 3000 cabines...): nous sommes étriqués dans notre logique "intensive" (entasser le plus grand nombre possible de passagers payants) là où elle s'étendait extensivement... au profit, il est vrai, de "super-privilégiés".
J'expédie rapidement ces Histoires inattendues. Je pense que l'acquisition de ce recueil de nouvelles avait dû encore contribuer à mon abandon de la découverte de "Jules Verne inattendu" dans ces titres "10/18". En effet, j'y avais retrouvé celles déjà découvertes dans Le docteur Ox ou Hier et demain (dont L'Eternel Adam et sa Virginia).
Voyons plutôt (ci-dessous) un troisième livre, plus intéressant même si la mer qui y est mise en avant (et sur laquelle va naviguer un des navires qui y sont cités)... est restée imaginaire jusqu'à nos jours!
Publié en 1905, L'invasion de la mer est le dernier roman vernien dont l'auteur a pu corriger les épreuves imprimées (son manuscrit prévoyait comme titre La mer saharienne). Le roman retrace une expédition géographique d'étude ayant pour objet de préparer la "mise en eau" des chott d'Afrique du Nord (Tunisie et Algérie), un projet réellement étudié (avant d'être abandonné) dans le dernier quart du XIXe s. Lorsqu'il écrit, Jules Verne est bien toujours dans l'anticipation contemporaine puisqu'il imagine que des travaux de génie civil ont effectivement été lancés avant d'être suspendus par la faillite de la "Compagnie franco étrangère" qui menait les projet. Quand le roman commence, un chef rebelle touareg, capturé par les spahis français, s'évade de Gabès alors que le croiseur Chanzy vient d'y arriver pour le déporter. À partir de là, il fera planer une menace sur l'expédition scientifique... jusqu'au cataclysme naturel final.
Réfugiés sur une hauteur sans pratiquement d'eau ni de nourriture, nos héros (Européens) sont secourus par... un aviso de la Marine française (le Benassir, de Tunis), premier à s'aventurer dans la nouvelle mer saharienne.
Si je devais hasarder une hypothèse à laquelle Jules Verne était bien incapable de songer faute d'éléments concrets à l'époque où il rédigeait son oeuvre, je dirais que les infiltrations d'eau résultant des travaux de génie civil qu'il décrit ont pu provoquer une "fracturation hydraulique" de roches chaudes, et par contrecoup une activité sismique cataclysmique... Un peu comme ce qui commence à se produire avec nos interventions "énergiques" en sous-sol (huile ou gaz de schiste, géothermie...) !
Dans ce même volume, ce dernier roman (qui s'y achève p.224) est suivi d'un court texte bien plus ancien, Martin Paz (p.233-309).
Petite parenthèse pour rappeler que Jules Verne avait "les idées de son temps", désormais totalement anachronique (n'est-il pas vrai?), en terme de "racisme" (sinon de chauvinisme) en général et de "judéophobie caricaturale" en particulier. Dans Martin Paz (écrit en 1851, publié en feuilleton en 1851-52, puis en volume en 1875, quelque peu remaniée), qui se déroule au Pérou et plus particulièrement à Lima, Samuel, armateur juif, a sauvé la fillette d'un marquis chilien d'origine espagnole lors d'un naufrage (le San Jose a coulé en vue de Lima), et vend sa main 100 000 piastres (dollars), lorsqu'elle est bonne à marier, à un métis (lui-même riche armateur "parvenu"), rêvant de briser la morgue espagnole. Cependant, un beau et jeune indien (Martin Paz) est amoureux d'elle, tandis que son père (Samba) rêve d'en faire le libérateur des Indiens. Samuel a vendu d'un côté aux révoltés les armes transportées par sa goélette Annonciation, et de l'autre le secret de la révolte aux autorités péruviennes. La révolte échouera et les amoureux (amour impossible!) mourront dans une pirogue précipitée dans une cataracte...
Cette édition "10/18" est précédée d'une préface rédigée par Léon Blum en 1905 (après la mort de Jules Verne) pour L'invasion de la mer, et d'une introduction de Francis Lacassin justifiant l'association des deux oeuvres séparées par une carrière de plus d'un demi-siècle.
Curieusement, je n'avais pas noté dans ces trois volumes leurs dates d'acquisition. Il faudrait que je retrouve mes vieux catalogues à grands feuillets simples à petits carreaux, tapés à la machine à une époque où j'ignorais tout de l'informatique et des bases de données. Je me rappelle qu'un de mes jeunes cousins m'avait épaté en me montrant dans les années 1980 son catalogue d'ouvrages de SF (dont je connaissais moi-même plusieurs), géré par ordinateur. Mais son père était informaticien, et le mien prof de Sciences Humaines...
Je sais en tout cas que c'est un thème estival sur les "robinsonnades" dans le système de prêt de livres de l'AMAP dont je fais partie qui, il y a quelques années (2019!) m'avait donné l'occasion d'acheter (oui, d'occasion!) et d'y mettre à disposition L'Oncle Robinson... mais je l'avais seulement parcouru en diagonale avant sa mise en circulation. L'ayant récupéré récemment, j'ai enfin pris le temps de le lire. Il s'agit d'une sorte de "brouillon" de L'île mystérieuse. Le thème du récit (aventures d'une famille, et d'abord d'une mère et de ses trois jeunes enfants, soutenus par un matelot dévoué - c'est lui, "l'oncle Robinson" -, échoués sur une île après une mutinerie à bord du Vankouver, trois-mâts canadien de 500 tonneaux parti d'Asie vers San Francisco) n'a pas été accepté "tel quel" par Hetzel en 1870. Jules Verne a donc changé son fusil d'épaule et réemployé une bonne partie des péripéties, laissant ce manuscrit-là inachevé. C'est seulement en 1991 qu'il a été publié (il n'était donc pas disponible dans ma jeunesse!).
J'ai découvert à cette occasion l'existence de "continuations" de Jules Verne par David Petit-Quénivet (en 2021 et 2023), un auteur contemporain breton, dans ce qu'on appellerait des "fan fictions" si elles concernaient des "oeuvres pour la jeunesse" de type Harry Potter ou... des manga!
J'avais repéré Les forceurs de blocus grâce à plusieurs blogs. C'est plutôt une nouvelle qu'un roman, rédigée et publiée en feuilleton en 1865, reprise avec quelques variantes en volumes en 1871. Dans mon édition "texte intégral" (Librio 2 euros, 120 pages), le texte de Jules Verne s'arrête p.89, et il s'agit clairement d'une édition destinée aux "scolaires" avec son "dossier Librio+" (Guerre de Sécession et esclavage...). Le Delphin est mis à flot le 3 décembre 1862. Ce navire de quinze cents tonneaux à coque d'acier, muni de deux hélices, est conçu comme une spéculation par ses armateurs de Glasgow (Ecosse): il s'agit d'aller livrer à bon prix munitions de guerre, vivres et habillement au Sud, et de revenir du voyage avec le chargement de coton brut dont les manufacturiers de Grande-Bretagne ont désespérément besoin. Mais parmi l'équipage embarquera un couple improbable d'aventuriers, avec un hercule qui est tout sauf marin et le travestissement d'un jeune mousse qui ne résistera pas longtemps à la perspicacité du jeune et hardi capitaine... Enfin, l'amour sera au rendez-vous dès le retour à bon port, "mission accomplie".
Moi qui fais partie des lecteurs capables d'avaler sans sourciller des "pavés" de 650 pages et plus, j'avoue avoir un peu tendance à considérer de haut les petits "livrets" d'une centaine de pages commercialisés avec un "prix d'appel" attractif, en neuf, sur leur couverture (ici "Folio 2 euros"). Mais bon, je ne vais pas me révolter pour autant (d'autant moins si je les achète d'occasion), laissons cela à d'autres. Justement, Les révoltés de la Bounty raconte sous la plume de Jules Verne (?) la mutinerie aujourd'hui bien connue par de nombreux autres récits. Cette nouvelle se termine p.45, tandis que Maître Zacharius (non annoncé en couverture ni sur la tranche du livre!) va de la page 49 à la page 111. Jules Verne a acheté 300 francs-or le manuscrit d'un autre auteur avec qui il avait collaboré sur un ouvrage de vulgarisation, et l'a "relu et corrigé" (?) avant de le publier sous son propre nom, en 1879, pour compléter un volume d'Hetzel. Mon édition n'a pas pris la peine de signaler les différences avec le texte original de Gabriel Marcel. Je n'ai rien appris là-dedans que je ne sache déjà sur l'histoire de la/du Bounty et des différentes composantes de son équipage (je venais de lire Les révoltés de la Bounty: l'Odyssée de la Bounty de C. Nordhoff et J.N. Hall [non chroniqué], après d'autres livres ou d'autres films lus ou vus de longue date). Bon, malgré tout, c'est tout de même une nouvelle signée Jules Verne...
Un drame au Mexique: je rajoute pour mémoire les quelques dizaines de pages de cette nouvelle de jeunesse, publiée en 1850 sous le titre Les débuts de la marine mexicaine dans le Musée des familles (qui, vérification faite et contrairement à ce que je pensais, n'a jamais appartenu à Hetzel), retravaillée par Jules Verne en 1876 en vue de sa publication en volume pour compléter (p.341-368) celui titré Michel Strogoff (oeuvre où il n'est de navigation que fluviale ou sur le lac Baïkal). Dans Un drame au Mexique, que je n'avais jamais lu jusqu'à aujourd'hui (je dis bien: aujourd'hui!), nous sommes en octobre 1825. L'Asia, vaisseau de haut bord, et La Constanzia, brick de huit canons, ont quitté l'Espagne depuis plus de six mois à destination des Iles de la Sonde. Les équipages se mutinent avec l'idée de "revendre" les navires dont ils viennent de s'emparer à la récente Confédération du Mexique, tout juste indépendante mais dépourvue de marine pour se défendre contre les Espagnols, et rejoignent le port d'Acapulco pour cela. De là, les deux principaux mutins, dont l'assassin d'un des capitaines, entament par voie terrestre un périple vers Mexico (siège du gouvernement mexicain, qui doit finaliser le marché). Des vengeurs leur barreront la route.
Book trip en mer de Fanja [7 points... peut-être?], tout en participant au challenge 2024 sera classique aussi organisé par Nathalie.
Comme les billets précédents, celui-ci peut s'inscrire dans le challengeFinalement, j'ai encore à ma disposition un ensemble hétéroclite de livres (achetés très récemment voire empruntés en bibliothèque sans que j'aie eu le temps de les lire...), qui devra donner lieu à un ultime billet "Jules Verne maritime" en septembre!
PS du 04/09/2024: je viens de retrouver et valider le commentaire d'Aifelle du 15 août. Mes excuses aux abonné(e)s du "blog de dasola" qui, comme elle, avaient reçu une notification largement prématurée de parution du présent billet par suite d'une mauvaise manip' de ma part!