J'ai vu Vincere de Marco Bellochio (sorti la semaine dernière) devant une salle comble et je suis ressortie de la projection avec un sentiment de déception: moi qui m'attendais à un mélodrame flamboyant ou à un film intimiste, j'ai trouvé Vincere pompeux (peut-être que la musique très "opératique" y est pour quelque chose) et je n'ai pas été émue une minute par le destin tragique d'Ida Dalser. Son personnage n'a aucune épaisseur à part qu'elle répète de façon lancinante qu'elle aime Benito (Mussolini), qu'elle s'est mariée avec lui et qu'elle a un fils (c'est un peu réducteur). Ida Dalser, issue d'une famille aisée, tombe sous le charme, dès 1907, de cet homme socialiste et anticlérical. Pour lui, elle vendra tous ses biens afin qu'il crée son propre journal: "Il popolo d'Italia". Dès 1916, après la naissance de leur fils (aussi nommé Benito), il l'abandonne: aucune explication n'est donnée. J'ai été gênée qu'elle proclame partager les idées du futur dictateur (socialistes ou fascistes?). Le fait que le réalisateur ait inséré des documents d'actualités d'époque (en noir et blanc) tout au long du film est une bonne idée (le film a été tourné en couleur). C'est l'occasion de voir quelques secondes Lénine en 1917, un extrait du Kid de Chaplin (devant lequel Ida pleure) et un autre où une passion du Christ est projetée sur un plafond d'église qui sert d'hôpital militaire pendant la guerre de 14-18. Le parti pris du cinéaste a donc été de ne plus faire apparaître l'acteur interprétant Mussolini à partir du moment où Ida est internée dans un hôpital psychiatrique, et de le remplacer par des films d'archives avec le "vrai" Mussolini. C'est l'occasion de voir ce dernier (grotesque et risible) vociférer devant une foule en liesse en commençant par ce mot "vincere" (vaincre). A la différence de Ed, j'ai trouvé que la bonne idée était que ce soit le même acteur (Filippo Timi) qui joue Benito père et fils. D'ailleurs, ce sont les dix dernières minutes films qui m'ont le plus touchée. En tout cas, ce n'est pas le chef-d'oeuvre annoncé quoi qu'en disent les critiques du Masque et la Plume. Le fait que ce film soit reparti bredouille du dernier festival de Cannes (même si la ravissante - c'est un euphémisme - Giovanna Mezzogiorno joue bien son rôle) ne me perturbe pas. Dr Orlof et Rob en disent du bien.
Commentaires sur Vincere - Marco Bellochio
- J'étais prête à y courir au vu des critiques, et puis le billet de Pascale m'a fait réfléchir, le tien en rajoute une couche, je ne vais pas me précipiter.
- Comme tu le sais, j'ai beaucoup aimé "Vincere", qui m'a vraiment bouleversée par son sujet mais aussi ses images superbes et sa musique très cohérente.
J'ai trouvé Ida Dasler très émouvante et ce qui pour toi démontre un manque d'épaisseur, m'est apparu comme sa grande force. Le réalisateur la montre répétant à l'envi qu'elle est la femme de Mussolini et la mère de son enfant, car c'est justement pour ces deux statuts qu'elle s'est battue toute sa vie. Être la femme de Mussolini et être la mère de son fils étaient toute sa vie !
Par contre, je te rejoins tout à fait sur les deux très bonnes idées du réalisateur : utiliser des images d'archives et le même acteur pour jouer le père et le fils. - @ tinalakillerBonsoir Tina, concernant ta question, je suis bien en peine de répondre, les images d'archives ne sont pas forcément suffisantes pour comprendre le contexte historique. Est-ce que cela pourrait servir comme support pour raconter la montée du fascisme? Je ne le pense pas. Il y a un contexte mais pas plus et donc cela peut amener une discussion sur qui était Mussolini (la première scène montre son athéisme), qui était Ida Dalser? ; comment on traitait les gens dans les hôpitaux psychiatriques tenus par des religieuses. Voilà, ce que je peux dire. Bonne soirée.
- J'ai entendu les critiques du "Masque et la Plume" encenser ce film de Marco Bellochio ! J'ai trouvé que la façon dont le sujet était traité, tout en pudeur, mêlant images d'archives et images du film étaient originales. En plus, il est rare de s'intéresser aux premières années d'un tel personnage. Cela permet de mieux comprendre son cheminement politique et ses ambitions au point de délaisser la femme qui l'a aimé au point de tout lui sacrifier, même son fils ! Je le verrai sans doute en DVD ...
- Pas d'accord avec toi Dasola, je pense pour ma part que c'est un grand film qui sort du lot. Très beau esthétiquement, très puissant, pas toujours plaisant et parfois un peu lourd, un peu pompeux mais un peu à la façon dont un opéra est parfois lourd et pompeux. Un quart d'heure de moins ne lui aurait pas fait de mal cela dit...
Ce que je trouve admirable c'est la façon dont sont entrelacés la grande histoire et le drame privé. Et à ce titre je pense que c'est un excellent suppport pour un cours d'histoire, ce n'est pas un cours, ça ne donne pas le détail des évènements mais ça peut permettre de comprendre des tas de choses sur l'époque et au delà, sur le climat général, sur les passions politiques, sur l'irrationnel dans l'histoire.
Bon, faudrait vraiment que je me secoue pour faire un billet sur ce film! - @tinalakillerPour ce qui est de l'exactitude historique -cela n'empêche pas bien sûr d'apprécier ce film en spectateur- je serai sévère, puisque c'est à la première image que survient la première inexactitude : la scène où Mussolini défie la Divinité eut lieu à Lausanne en 1904 soit... dix ans (!), avant qu'il ne fasse la connaissance de Ida Dalser, à Milan ; et pour la même raison mieux vaut laisser de côté leur prétendue rencontre à Trente en 1907 (qui ne peut avoir eu lieu, compte tenu de leurs emplois du temps respectifs).
D'autre part, à côté de ces inexactitudes qui ne sont pas vraiment gênantes du point de vue de la "Grande Histoire", il en est d'autres qui peuvent contribuer à fausser durablement les idées : à commencer par l'apparition à l'écran de Mussolini, au début du film, en beau militaire qui accompagne sa petite fiancée au cinéma ! Mais c'est ici à peu de choses près le contraire, qui est vrai : après avoir écrit des articles pro-guerre il se garda bien de s'engager, et attendit d'être appelé avec sa classe d'âge (le 31 août 1915). En Italie on appelle cela, armiamoci e partite -prenons les armes, et allez-y !
De même, si Ida fut amenée à se défaire de ses maigres biens, ce fut pour faire bouillir la marmite, et en aucune façon -comme suggéré dans le film- pour... financer le "Popolo d'Italia", qui fut porté à bouts de bras par le quai d'Orsay.
Enfin, durant ces dix-huit mois qui vont du début 1914 à la mi-1915 et durant lesquels Mussolini et Ida se fréquentent : il n'était pas question de fascisme. Et si on veut illustrer la filiation entre bellicisme d'août 1914 et fascisme (ultérieur), et en donner des exemples à gauche, ce n'est pas du côté de Mussolini qu'il qu'il faut se tourner : en août 1914 c'est encore un antimilitariste à tout crin, porteur de la culture antimilitariste traditionnelle du socialisme italien, et qui ignore encore tout du concours de circonstances qui l'amènera à changer d'avis en octobre. Le présenter -comme le fait le film- s'approchant du balcon dès qu'il entend le mot "guerre!", comme s'il avait été dès ce moment conscient de son revirement, et de son avenir politique, peut alimenter des contresens.
Pour le reste... le réalisateur est libre de ses choix, parmi les éléments de la réalité ; et il revendique lui-même le choix de la fiction, dans un passage non traduit du générique de fin. Mais je regrette que Bellocchio aît ici fait la quasi-impasse sur un aspect qui est historiquement significatif, à savoir : le fait que la persécution contre Ida commença bien avant que Mussolini n'arrive au pouvoir. La raison étant que du seul fait de son ralliement au parti-de-la-guerre Mussolini était désormais à tu et à toi, avec les autorités. Et c'est ainsi qu'à la fin de l'année 1917, s'adressant au chef de Cabinet du ministère de l'Intérieur comme à son domestique soumis, il peut demander -et obtenir- que Ida soit assignée à résidence dans une île, Sicile ou Sardaigne ; en fait elle n'ira pas plus loin que Caserta (sur le continent, donc), à cause d'un imprévu : l'état de santé déjà très précaire de Benito Albino, qui avait hérité de la syphillis de son père, nécessita une intervention chirurgicale en urgence.
Cela dit j'ai trouvé que c'était un beau film (de la même façon qu'il y a un rayon "beaux livres" dans les magasins). La période post-1922 est évoquée de manière intéressante. Par ailleurs, et pour peu que l'on quitte la perspective spécialisée de l'histoire du fascisme, dont j'ai eu forcément du mal à me débarasser en tant que chercheur sur cette période, c'est à mon avis un bon film sur l'histoire de la psychiatrie. - Merci de ces précisions historiques, Luc, qui nivalident en partie mon appréciation.
Cela dit je continue à penser que malgré ses inexactitudes plus nombreuses et graves que je ne le croyais, il permet de faire réfléchir et de poser des questions historiques très importantes.
ça y est j'ai écrit mon billet, Dasola, et je l'ai écrit un peu grâce à toi, parce que j'avais envie de donner un autre ressenti que le tien face à ce film. - Bonsoir,
Je partage les avis enthousiastes exprimés ci-dessus. j'en avais parlé à l'époque de Cannes et ça reste pour moi un des plus beaux films du festival. Je ne suis pas revenu dessus, notamment après vos échanges chez Ed, mais je trouve que c'est du très grand cinéma. La scène de la réunion politique au début, quelle mise en scène ! La musique donne en effet un aspect opératique, mais je pense que tout le film est conçu comme cela, avec ses plans très larges, ses images fortes qui s'appuient sur des décors plus grands que nature (je pense à l'immense grille de l'asile). J'ai aimé ce partit pris, cette fougue et évidemment cette magnifique actrice qui ne tombe jamais dans le misérabilisme et garde toujours au premier plan sa dignité.
Voilà, c'est dit et c'est vrai que ce n'est pas grave pour Cannes, le film reste ce qu'il est.
Au fait, vous avez renoncé pour le questionnaire sur l'érotisme - ... bien d'accord, DonaSwann, le mieux est toujours de se faire soi-même son avis ! En plus, le fait que les avis soient partagés ne permet pas de préjuger de la qualité ou non, et tient parfois du mystère. Ainsi (pour en donner un exemple maintenant ancien) je me suis laissé dire qu'en Sardaigne les avis sur "Padre, Padrone" avaient été partagés, localement, à environ 50-50 : les uns, y avaient vu une fine description de la culture ancestrale de l'île ; les autres, y avaient vu une caricature grossière.
- Très décevant ce filmAh, enfin une critique qui rejoint l'impression que ma fait ce film! J'ai du mal à comprendre que les journalistes ai si bien noté ce film. Certes il y a des bonnes trouvailles dans le film (les scènes au cinéma avec la bagarre et le pianiste par exemple) et la première partie du film est plutôt réussie. Mais ensuite, suivre cette femme hystérique et suicidaire, qui semble intelligente mais dont les faits et gestes disent le contraire, qui n'a aucune humanité pour son entourage (son enfant). Plus ça va, plus on a du mal à croire à l'histoire et à Ida et on finit par s'ennuyer en devinant ce qui va se passer. Et que dire des incohérences multiples, des personnages qui ne vieillissent pas malgré les années et les épreuves, le manque d'explications, les situations peu crédibles (la foule qui tente d'empêcher le départ de Ida). Bref, c'était très bien parti, mais au final une impression de gâchis.
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