A la ligne (Feuillets d'usine) - Joseph Ponthus
Ce premier roman m'a un peu décontenancée quand je l'ai commencé et puis, au fur et à mesure que j'ai avancé dans ma lecture, j'ai été conquise. En effet, A la ligne de Josph Ponthus (Edtion La Table Ronde, 263 pages) est une sorte de long poème en prose et parfois en vers qui évoque la vie à l'usine, les tâches harassantes et répétitives à la ligne. A Pôle Emploi, on propose au narrateur, qui a besoin de travailler, un emploi en intérim dans une usine bretonne de production, transformation et cuisson de poissons et de crevettes. Dans la pièce où il est travaille, il fait froid et l'odeur est forte. Quelque temps après, il travaillera dans un abattoir où il manie des carcasses de boeufs et de cochons. Toute la journée debout, il faut faire du rendement: jusqu'à traiter 670 (!) carcasses par jour à la ligne. Il ne parle pas de travail à la chaîne, mais cela revient au même. La langue est vraiment magnifique :
"Ca a débuté comme ça.
Moi j'avais rien demandé mais
Quand un chef à ma prise de poste me demande si j'ai déjà égoutté du tofu
Quand je vois le nombre de palettes et de palettes et de palettes que je vais avoir à égoutter seul et que je sais par avance que ce chantier m'occupera toute la nuit
Egoutter du tofu
Je me répète les mots sans trop y croire
Je vais égoutter du tofu cette nuit
Je me dis que je vais vivre une expérience parallèle
Dans ce monde déjà parallèle qu'est l'usine" (p. 45)
"Il faut voir nos visages marqués
A la pause
Les traits tirés
Le regard perdu rivé au loin de la fumée des cigarettes
Nos gueules cassées
Si j'osais le parallèle avec la Grande Guerre
Nous
Petits troufions de l'usine
Attendant de remonter au front
Ou plutôt
Mercenaires...
La pause
Cette foutue pause
Espérée rêvée attendue dès la prise de poste
Et même si elle sera de toute façon trop courte
Si elle vient trop tôt
Que d'heures encore à tirer
Si elle vient trop tard
N'en plus pouvoir n'en plus pouvoir
Elle sera" (p.55-56)
"Parfois je hurle
Toutes les nuits je sais que je vais emporter
l'abattoir dans mes mauvais rêves
Et pourtant
A pousser mes quartiers de viande de cent kilos chacun
Je ne pense pas être le plus à plaindre
De quoi rêvent-ils
Toutes les siestes
Toutes les nuits
Ceux qui sont aux abats
Et qui
Tous les jours que l'abattoir fait
Voient tomber des têtes de vaches de l'étage supérieur
Prennent une tête par une
La calent entre des crocs d'acier sur machine idoine
Découpent les joues et les babines puis jettent les machoires et le reste du crâne
Huit heures par jour en tête à tête" (pages 137-138)
Tout le roman est dans ce style que je trouve magnifique. Lire le billet d'Alex-mot-à-mots. Ce roman est un coup de coeur pour beaucoup de libraires et de biblothécaires et aussi pour moi.