Le procès Merah - Riss
Après la parution de mon billet mettant Riss à l'honneur, j'avais (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) découvert dans Charlie Hebdo du 27/03/2019 un encart signalant la ressortie du numéro Hors-série titré Le procès Merah paru en 2017 (il m'avait échappé!), de retour en kiosque en mars 2019 à l'occasion du procès en appel d'Abdelkhader Merah (le frère de l'autre), prévu du lundi 25 mars au vendredi 19 avril 2019.
Je l'ai acheté (6 euros, 48 pages + la couverture, bichro noir & rouge [+ encart jaune dans une double page]), et en voici donc ma chronique.
Le texte en "quatrième de couv'" (ci-dessus) rappelle le contexte de ce procès. Si le parallèle avec Le procès Colonna dessiné par Tignous semble évident, Riss (qui signe seul l'album) a bien entendu sa propre manière de faire. Je remarquerais en tout cas que le dessin de cet ouvrage est extrèmement réaliste, ce n'est pas le style "humoristique" habituel de Riss, mais bien du dessin de reportage dessiné. A tel point que je ne reprendrai guère ici qu'un seul "portrait", celui de ce "personnage" qu'est l'avocat pénaliste Eric Dupont-Moretti (représenté une trentaine de fois dans l'album).
Pour donner tout de même quelques détails sur les planches, je dirais que, si l'on compare avec les reportages dessinés de Tignous, on trouve moins de texte explicatif ou de "didascalies" en-dehors des "bulles" (paroles des personnages). Celles-ci sont en caractères d'imprimerie, et non lettrées "à la main".
Concernant le procès lui-même, Riss prend soin d'expliquer dans son "Edito" introductif que (je cite) "contrairement à ce qui a été dit, le procès d'Abdelkader Merah n'a pas été le procès par procuration de Mohamed Merah, auteur des attentats de Montauban et de Toulouse commis en mars 2012. Le procès d'Abdelkader Merah a été le procès d'Abdelkader Merah, et de lui seul." Il le conclut par "Après le procès, après les dernières paroles, il faudra affronter l'oubli. l'oubli est l'espoir des tueurs de demain. Grâce à lui, ils recommenceront encore et encore." La question posée était: quelle est la part de responsabilité d'Akdelkader, omniprésent (48 dessins le concernent, sauf erreur de ma part) dans les actes commis par son frère? Le procès visait aussi Fettah Malki (un dessin?), accusé pour avoir fourni les armes utilisées par Mohamed Merah lors de ses tueries (et son gilet pare-balle).
Page 26-27, j'ai constaté que, décidément, je ne vis pas dans le même univers que certains de ceux qui ne sont pas nés, comme moi, "dans le monde de la bourgeoisie et de certains notables", selon les mots mis dans la bouche d'Abdelkader. Il s'agit à ce moment-là de reconstituer l'épisode du vol du scooter (6 mars 2012), que Mohamed utilisera quelques jours plus tard pour commettre ses crimes (la question étant de savoir si cette utilisation criminelle était préméditée quand Abdelkader a donné l'occasion à son frère de voler le scooter). Je cite l'intégralité de la bulle: "Ce qu'il faut comprendre, monsieur le président, c'est que notre monde est différent du vôtre. J'ai quand même l'ADN de la rue. Dans le monde (etc.), c'est différent. Chez nous, ce n'est pas exceptionnel* Les gens de la bourgeoisie ne peuvent pas comprendre ça: mon petit frère était très excité par tout ça".
* de s'arrêter d'un coup pour descendre voler un scooter.
... Mais, malgré tout, j'ai encore tendance à considérer que ceux qui ont tort, ce sont ceux qui se conduisent ainsi (en volant un scooter sur un coup de tête): capables de tout? Dans la fratrie Merah (exposée à la barre), on parlait beaucoup de religion, mais les relations pouvaient être violentes, jusqu'aux coups de couteau (mais pour "tailler", hein, pas pour "planter").
Page 38-39, sur fonds jaune, on peut lire des extraits d'enregistrements audio islamistes, qu'Abdelkader Merah écoutait au travail pour, dit-il, améliorer son arabe littéraire.
Si je devais utiliser une image venant du monde de l'agriculture, pour décrire l'univers mental qui transparaît chez certains des membres de la famille Merah (dont la mère), je parlerais de "terreau" ou de "compost" sur lequel a pris racine et prospéré la graine de mauvaise herbe.
Les dessins rendent bien l'ambiance des audiences, je pense. Dans tout l'album, les extraits choisis des phrases des uns et des autres sont percutants et déstabilisants. Concernant Abdelkader, on sent en permanence que ses croyances restent à ses yeux infiniment plus importantes que tous les procès que peut lui faire la République française au nom de la loi et de la justice.
A l'issue de ce procès, le 2 novembre 2017, la cour rend sa décision: Abdelkader Merah est acquitté de l'accusation de complicité d'assassinat, mais est condamné à 20 ans de prison pour complicité d'association de malfaiteurs en lien avec une association terroriste. Fettah Malki est condamné à 14 ans de prison pour le même motif. Moins de 24 heures après, le parquet général fait appel pour renvoyer les deux hommes devant la justice. Le 18 avril 2019, le procès en appel a condamné cette fois Abdelkader à 30 ans de réclusion criminelle pour "association de malfaiteur" et "complicité d'assassinat". L'ami d'enfance de Mohamed, lui, est condamné à 10 ans de prison ferme pour association de malfaiteur. A l'énoncé du verdict, Eric Dupond-Moretti a réagi en disant qu'il y aurait sûrement pourvoi en cassation. Mais comme disait Pierre Dac, "on dit d'un accusé qu'il est cuit lorsque son avocat n'est pas cru".
Pour le moment, en ce mois de juin 2019, la presse commence à évoquer la tenue du procès d'assises, prévu d'avril à juillet 2020, qui jugera les complices des attentats de janvier 2015 (Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher).
Au 07/06/2019, en tout cas, j'ai constaté qu'on ne trouve pas le titre que j'ai chroniqué aujourd'hui sur wikipedia dans les bibliographies de la page consacrée à Riss ou de la page concernant Mohammed Merah, qui parle de sa famille et mentionne les procès de son frère.
*** Je suis Charlie ***