Petit traité d'écologie sauvage / La cosmologie du futur / Mythopoïèse - Alessandro Pignocchi
[Ta d loi du cine: je peux publier un billet? C'est sur des bouquins super.
Dasola: ah ben t'es gonflé! J'ai rédigé le mien, de billet, il est prêt à paraître. Tu ne m'as jamais parlé du tien!
Ta...: nan, mais comme tu avais dit que tu voulais faire une pause...
Da...: oui, ben j'ai le droit de changer d'avis. Tu ne changes jamais d'avis, toi?
Ta...: LAISSE-MOI PUBLIER MON BILLET AUJOURD'HUI!!! (ou sinon je picore)
Da...: ne crie pas. J'aime pas quand tu cries. OK, je reprogramme le mien pour dans 3 jours.]
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Le premier des livres que je (ta d loi du cine, squatter chez dasola - non mais sans blague) vous présente -donc- aujourd'hui m'a été prêté il y a des semaines (en plein confinement - chut, faut pas le dire!) et je l'avais enfoui dans ma PAL (à titre de quarantaine, bien sûr). Une fois lu ce tome trois, j'ai réclamé les deux précédents.
Il s'agit d'une série de bande dessinée (chez Steinkis, 3 tomes parus, pour le moment) titrée Petit traité d'écologie sauvage, d'Alessandro Pignocchi. Le premier tome est sorti en mars 2017, le deuxième (La cosmologie du futur) en mai 2018 et le troisième (Mythopoïèse) en janvier 2020 (avant le confinement, donc). Je l'ai donc abordée par la fin, mais bon... Sous une couverture très esthétique, j'y ai trouvé une jolie oeuvre d'art, onirique et engagée, "création consciente d'un mythe ou d'une mythologie personnelle dans une œuvre littéraire" (rencontre du troisième titre). Dans ses oeuvres, l'auteur met en avant une philosophie de compréhension du monde qui implique de considérer l'autre comme sujet et non comme objet (et ceci, que l'autre soit humain ou bien non-humain). En voici le postulat introductif (d'où découle tout le reste...).
Il est question, entre autres, d'anthropologie symétrique (dans ce dessin, p.7 du T.1, à droite de notre ancien Président, on découvre Wajari Tsamarin, chercheur jivaro, qui trouve pas mal de choses étranges, étranges - vous avez dit bizarre? - dans notre douce France). Au fil des pages, on aperçoit différents fils conducteurs qui s'entrelacent: le journal TV avec ses invités éventuels, les politiciens à la tribune ou en privé (ou en déplacement extérieur), l'ethnologue jivaro, parfois reçu par les politiciens, parfois sur le terrain (d'observation), ou éventuellement de passage de retour "chez lui"... sans oublier, non pas les ratons laveurs, mais les mésanges punks, les pinsons, et autres colibris chatoyants - des oiseaux souvent plus déjantés les uns que les autres (métempsychose et autres réincarnation, voire absorption parfois plus violente). Dans cette drôle de bande dessinée, l'ironie provient du décalage entre les dessins tellement jolis (mais répétitifs) et le discours incendiaire des bulles. L'auteur en appelle à l'humour et à l'absurde pour évoquer des questions tout à fait vitales. Et hop, quelques citations pour éclairer mes propos!
La "4ème de couv" du 1er tome, avec ce qu'il faut de provocation, pour commencer...
(p.15, T.1) dans une séquence titrée "Respect des valeurs" qui court sur 4 pages, les textes de la page précédente contextualisaient: plainte des Jivaros contre la Commission Européenne qui propose la protection d'une zone située en Amazonie... au motif qu'une rainette locale pourrait inspirer un nouveau traitement contre le cancer.
Peut-on considérer que les références personnalisées commencent à dater un peu? Je vous épargne la séquence avec Valls piquant sa crise parce qu'il n'arrive pas à démissionner pour pouvoir partir en Amérique du Sud se consacrer aux dizaines d'espèces de rainettes locales (et vous laisse découvrir comment elle finit).
De son côté, Angela M, ayant pêché un magnifique esturgeon devant chez elle, cherche à l'insérer dans la mondialisation du troc... (p.40, T.1)
Et n'oublions pas nos interludes jivaros! Dans la séquence titrée "Bretagne", le même dessin est répété 18 fois à l'identique sauf les bulles (9 pages numérotées 68 à 76 - ici la p.74, toujours dans le T.1).
p.119 (T.1): ça, ce sont des chefs d'Etat qui mettent en oeuvre le sain(t) adage "faites l'amour, pas la guerre" (mais je vous laisse, cette fois encore, découvrir comment ils en sont arrivés là - et je ne sais même pas s'ils sont tous d'accord...).
Maintenant, plantons un peu le décor du tome 2 (p.3) ou encore (p.43, T.2).
(p.26, T.2) Mélenchon / Hamon, candidats à reculon pour la Présidence de notre Ve, le sujet étant "comment introduire une forme d'anthropophagie rituelle dans la culture occidentale"... Le débat "tel-avisé" court sur 12 pages. Et je ne sais pas si la coquille "creuser une marre" (on en a?) est volontaire ou non. Mais nous sommes bien dans un "monde à l'envers", avec des politiciens qui ne veulent surtout pas être élus et que la corvée du pouvoir insupporte (d'avance comme ensuite)... Quant à l'anthropophagie, c'est un questionnement récurrent, à la bonne franquette, pour honorer les copains et consolider leur place dans l'univers (si j'ai bien compris...).
(p.36, T.2) Voici en pleine action notre anthropologue jivaro venu écarquiller son oeil perçant en France (plus particulièrement sur Bois-le-Roi (77590), son Café de la Gare, son marché, son lac et ses pêcheurs...).
Dans cette grande oeuvre, on invite aussi Proust (je connais des blogueuses à qui ça va plaire, tiens).
p.100 (avant)... ... ... et après (p.105). L'expression "La métamorphose" n'est pas évoquée. Et encore, je vous ai épargné les scarifications.
J'en profite pour insister sur le fait que le procédé du "comique de répétition" consiste à mettre plusieurs fois le même dessin (avec ou sans changement au niveau d'un détail), avec des textes ("bulles") qui font avancer l'histoire (comme déjà signalé précédemment). Alessandro P. n'est certes pas le premier auteur à le faire, mais avouons que ses aquarelles sont particulièrement agréables à regarder. Pour bien suivre, il ne faut pas rater une virgule.
p.56-57 du T.3. Le "blanc" (en haut, à droite) est fort bien amené. Manu en direct à la télé, c'est carrément digne du Rogntudjuuu de Franquin! (ou comme réfugié campant dans une "réserve" en banlieue parisienne avec Donald et Angela, un peu plus loin...). Heureusement que le délit d'offense au chef de l'Etat a été aboli en 2013 (merci François - mais il n'y a pas de quoi, c'est normal)!
Le troisième tome (j'y arrive donc) est peut-être (?) encore plus "politisé" que les deux premiers, et contient moult allusions à la ZAD de Notre-Dame des Landes (peut-être quelque peu fantasmée). Il semble se dérouler après 2022... (sage précaution... ou pas?).
Toujours nos charmants oiseaux... de plus en plus contestataires? En pleine page (14-15, T.3 - toutes n'étaient pas mésanges?). Quantitativement, les zadistes souvent évoqués ne pèsent pas bien lourd chez nous, mais ces epsilon pourraient-il se mettre en tête de modifier l'alpha et l'oméga du meilleur des mondes possibles?
On trouve aussi en fin des premiers volumes quelques pages de rédactionnel à l'apparence fort sérieuse sur la philosophie jivaro. Je n'ai pas été vérifier en quelle année l'anthropologue Philippe Descola, né en 1949, a pu les écrire.
En trois volumes cohérents, le dessinateur-scénariste a donc élaboré un univers où chaque détail compte, il faut tout bien lire afin de ne pas perdre le fil (les textes sont souvent bien plus subversifs que les beaux dessins inexorablement répétés). On se retrouve dans un enchevêtrement de saynettes dans une France (et un univers) alternatifs. Ma position personnelle serait de tout savourer sans me casser la tête à tenter de comprendre ce monde. Après, si d'autres veulent aller plus loin, je ne les empêche pas, hein... Pour ce qui me concerne, je ne saurais trop dire à quel 36 000e degré il faut en prendre l'humour! Un joyeux canular? J'ai cru y détecter diverses touches de dérision pince-sans-rire, comme la phrase sur l'ordinateur portable (p.115 du T.3), lorsque s'instaure une relation de sujet à sujet, "alors que celui-ci semble chercher à nous nuire et que nous nous demandons comment nous venger de lui"...
Je vous recommande encore la découverte de cette série dessinée, et vous laisse décider ensuite s'il s'agit d'un canular artistico-scientifique, d'une proposition de nouvelle philosophie, ou bien si tout est dans tout (et inversement). Comme je l'ai dit plus haut, j'avais donc pour ma part abordé cette trilogie (?) par le troisième tome. Et après les avoir parcourus tous les trois, je me demande même si en fait ils ne sont pas (re)liés à deux autres titres publiés du même auteur... Si vous avez eu le courage de lire ce billet jusqu'au bout, je vais maintenant vous informer que vous pouvez trouver plein d'autres beaux dessins sur le blog Puntish du même auteur. Comme disaient les ados, "c'est trop délire!" (je sais plus comment ils disent désormais, hein: j'ai perdu le fil...).
Enfin, pour mettre en parallèle un autre mythe animalier, ça m'a un peu fait penser à trois planches d'un album de la série Donjon (Joann Sfarr & Lewis Trondheim) titré Le roi de la bagarre, qui évoque deux peuples habitant respectivement Odilon (des bergers) et Koubine (des chasseurs dans une ile). Ca se termine abruptement - et plutôt mal.
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Edit du 17/10/2020: merci à Keisha qui m'a gentiment crédité de la découverte dans son propre billet!