Je me suis procuré Madame Hayat (Edition Actes Sud, 267 pages) de l’écrivain turc Ahmet Altan peu de temps avant que ce roman ne soit récompensé par le Prix Fémina étranger 2021. J'avais été attirée par la couverture. J’ai adoré ce roman qui raconte deux histoires d’amour en parallèle. La première entre Fazil, un jeune étudiant en littérature bénéficiant d’une bourse et Madame Hayat (Vie), une femme mûre entre 45 et 55 ans; et la deuxième entre Fazil et Sila, une étudiante en littérature du même âge que lui, qui souhaite quitter le pays dès qu’elle aura récupéré son passeport qui lui a été confisqué. Ses parents ont tout perdu du jour au lendemain. Le pays où se passe l’histoire n’est pas mentionné nommément, mais on devine qu’il s’agit de la Turquie, avec la censure et les arrestations arbitraires qui émaillent le récit. Fazil rencontre Madame Hayat et Sila, "quatre étages sous terre" d’un immeuble où sont tournés des programmes de variétés. Fazil, pour se faire un peu d’argent, a accepté de participer en tant que spectateur à ces émissions, tout comme Madame Hayat, belle femme plantureuse pas vraiment jolie mais dégageant beaucoup de charme et qui fascine Fazil. Sila, elle, devient aussi spectatrice de l'émission, mais de manière moins assidue. Fazil séduit cette dernière pour avoir choisi les quinze pages du « Le temps passe », une des parties de La promenade au phare de Virginia Woolf, en réponse à un test que lui a soumis Sila: « Si parmi toute la littérature mondiale, tu devais choisir quinze pages, les quinze pages dont tu aurais aimé le plus être l’auteur, lesquelles tu choisirais ? » (p 39). Concernant Madame Hayat, on ne sait rien d’elle, elle restera mystérieuse jusqu’au bout. Fazil entame une relation intime avec cette femme qui le rend tout chose. Il tombe éperdument amoureux d’elle, il est comme ensorcelé. Avec Sila, les relations sexuelles se font avec la fougue de la jeunesse. C'est un roman très sensuel (mais le lecteur ne se sent pas voyeur), un très beau roman écrit par un écrivain qui est aussi journaliste. Il l'a écrit en prison, où il a purgé une peine de plus de quatre ans avant d’être libéré en avril 2021. Lire les billets de Shangols et de Pamolico (qui renvoie à d'autres liens).