Martiens, go home! - Fredric Brown
J'ai (ta d loi du cine,"squatter" chez dasola) fini par dénicher un exemplaire du livre qu'avait chroniqué dès mars 2021 une des toutes premières participantes au Challenge de la planète Mars. Alors que le monde (occidental) regarde à la télévision aujourd'hui [vendredi 25 février 2022] des images d'une invasion prédite avant d'être effective, j'ai l'impression que les grandes manifestations populaires qu'on connaissait jadis ont autant de retard à l'allumage que les éventuelles sanctions qui seront prises contre l'envahisseur. Le titre que je chronique présentement fait écho de manière humoristique aux "US go home!" de naguère, puisqu'il s'agit de Martiens, go home! de Fredric Brown. Ce classique de la SF, paru en 1954 aux Etats-Unis et traduit en français en 1957, bénéficie d'une certaine notoriété, comme en témoignent les nombreux liens que j'ai pu mettre en fin d'article.
La couverture ci-dessus donne une interprétation acceptable de l'oeuvre: un gnome vert (les oreilles pointues me semblent une licence artistique de l'illustrateur Frank Kelly Freas) en train de vous regarder d'un air narquois à travers le trou de la serrure (il existe bien sûr des illustrations qui diffèrent de celle de l'édition que je possède) (1).
Un personnage apparaît comme le fil conducteur de l'oeuvre, sinon le véritable héros: il s'agit d'un certain Luke Devereaux, écrivain de son état, plongé dans les affres solitaires de la page blanche quand le roman commence, le 26 mars 1964. "Laissant muser son imagination, il se demanda brusquement: et si les Martiens...?". Simultanément, on frappe à la porte de sa cabane. Et ce n'est pas un cadeau: "Salut toto, dit le petit homme vert. C'est bien la terre ici?". S'ensuivent 15 pages de persécutions à sens unique. Mais la créature mal embouchée n'est pas seule: un milliard de Martiens se sont téléportés sur notre planète. Immatériels, dotés d'une vision de superman (celle à rayons X), l'humanité ne peut rien leur cacher, nulle part, ni s'en débarrasser d'aucune manière, et ils se font un plaisir de claironner à tout l'univers les petits secrets de tout un chacun (pour eux, tous les hommes s'appellent toto, et toutes les femmes "chouquette" - quel manque de respect, n'est-ce pas?). Page 64, une énumération de 47 qualificatifs commence par "ils se montraient acariatres" et se termine par "ils étaient (...) zélés à la tâche de faire vaciller la raison de quiconque entrait en leur contact". De quoi déprimer les trois milliards d'humains. D'où d'abominables conséquences: le Président des Etats-Unis, en son for intérieur (p.104), doit bien constater que la situation est grave, car la Bourse baisse, l'industrie du spectacle approche de la ruine; et que faire des soldats de l'Armée, inaptes à tout autre emploi utile? On aura noté que, de l'autre côté du rideau de fer, nos Martiens sévissent en toute équité. Impossble désormais de recourir à la propagande: "les Martiens se faisaient un plaisir de souligner à grand renfort de publicité le plus petit coup de pouce donné à la réalité" (p.102). J'ai aussi savouré les diverses réactions des religions face au phénomène martien, chacune y allant de sa solution (encore une énumération pour qualifier nos envahisseurs, depuis "anges du mal" jusqu'à "trolls", avec pas moins de 25 items). Je me dis qu'un lecteur contemporain peut aussi songer (encore un anachronisme!) à ce que l'auteur n'avait sûrement pas pu y mettre à l'époque, et identifier ses "Martiens" avec d'autres "trolls", ceux qui "pourrissent" les échanges sur les réseaux sociaux, ou encore avec les harceleurs divers et variés qui "détruisent" la vie (réelle, et pas seulement numérique) de leurs victimes. Mais revenons à notre Luke Devereaux. Finalement, les choses n'ont pas si mal tourné que cela pour lui. Notre écrivain a "évacué" à sa manière la question martienne, s'est rabiboché avec son ex-épouse, et a pondu en cinq semaines de réclusion semi-volontaire dans une clinique psychatrique la meilleure de ses oeuvres (un western). Ne (lui) reste plus qu'à délivrer l'humanité tout entière de ses persécuteurs. Peut-être grâce à ses efforts personnels, ou bien encore à ceux de quelques centaines de milliers de personnes tendues vers le même but en parallèle (et qui, selon la définition classique, ne se rencontreront jamais), les Martiens s'évaporent tous ensemble le 19 août 1964, cent quarante-six jours et cinquante minutes après leur première apparition. Bon, quand j'ai dit cela, je n'ai pas vraiment "spoilé" le roman, il vous reste surtout à en déguster chaque péripétie en savourant l'art avec lequel elle est contée. J'avoue pour ma part avoir apprécié la digne sortie de scène du secrétaire général de l'ONU, humilié par les Martiens qu'il venait de conjurer d'accepter la parole des Terriens de ne jamais aller les déranger sur Mars en ayant réussi le miracle de faire parler toute l'humanité d'une seule voix pour cela: quand on vous répond "va te faire enc..., toto", si l'on est brave, que peut-on faire?
A défaut de la critique de Girlymamie (qui a carrément supprimé son blog de peur de se faire piller ses articles), j'ai trouvé (ou retrouvé) une bonne quantité de billets ayant chroniqué Martiens, go home! au fil des ans. Citons-les par ordre alphabétique: Elessar, Elhyandra, Elwyn (navigatrice de l'imaginaire), Erwelyn, Esprit S.F. (dernière MAJ en 2020), FeyGirl, le site collectif Le galion des étoiles, Lhisbei, la bibliothèque de Loki (dernière MAJ en 2021), Lorkhan, chez Nirgal (dernière MAJ en 2021), et l'ancien blog de XL.
Bonne lecture!
(1) Voir notamment Chroniques martiennes.
* Edit du 27/02/2022: je viens de découvrir le Challenge "2022 en classiques" proposé par Blandine et Nathalie. C'est trop tentant... Après, comme il y a du coup deux logos, je les mettrai alternativement!