Keynes ou l'économiste citoyen - Bernard Maris
== À nos lecteurs
La mise en ligne du présent billet a été retardée par les "indisponibilités" à répétition de la plateforme Canalblog. Je ne vous cache pas que je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) ressens une intense frustration à l'idée de tous vos "commentaires" que vous n'avez pu déposer ces jours-ci lors d'une éventuelle tentative de passage sur le blog de dasola. Frustration d'autant plus intense que nous, blogueurs, n'y pouvons mais... alors que ne s'affiche même pas toujours le message fatidique disant: "Oups! Une erreur s'est produite. Nous en sommes avertis. Si le problème persiste, contactez notre support technique"... ==
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Bref. Depuis le 7 janvier 2015, cela fait bien le dixième livre de Bernard Maris que je chronique, dans le cadre de mes "hommages du sept". Dans celui-ci, Keynes ou l'économiste citoyen, Bernard Maris nous présentait l'un de "ses" trois grands économistes. Je cite (p.57): "S'il fallait choisir trois noms dans l'histoire de la pensée économique, indiscutablement, ce seraient Marx pour sa vision du processus d'accumulation et de crise, Walras pour avoir révélé les concepts d'interdépendance des actions et d'équilibre, Keynes pour avoir introduit le déséquilibre, la monnaie et le temps en économie (et leur corollaire: l'incertitude)."
Presses de Sciences Po, coll. La bibliothèque du citoyen, 1999, 93 pages.
Il s'agit donc d'un livre court, mais dense. Bernard Maris commence par des éléments biographiques, pour expliquer le cheminement de Keynes (1883-1946) vers sa position de "maître à penser" (théoricien, mais aussi praticien) de l'économie telle que mise en action par le pouvoir politique (notamment pour résoudre la "crise de 1929"). Fils d'enseignants universitaires, il a d'abord été un élève brillant à Eton, puis à Cambridge où il a fréquenté un certain nombre de jeunes peintres ou écrivains (qui constitueront le "groupe de Bloomsbury"), avant d'avoir un coup de foudre, vers l'âge de 21 ans, pour une jeune discipline: l'économie.
John Maynard Keynes devient rédacteur en chef de The Economic Journal en 1911, et commence à publier différents ouvrages de théorie économique. En 1919, son pamphlet Les conséquences économiques de la paix, critique du traité de Versailles rédigée en moins de deux mois, lui valent renommée et aussi aisance financière. Les grands thèmes keynésiens sont déjà présents dans ce livre. Selon Maris, ce n'est qu'ensuite qu'il devient un théoricien dont on s'inspirera (publication de sa Théorie générale en 1936). Il est intéressant d'apprendre que Keynes revendiquait un droit pragmatique au changement: "quand les circonstances changent, je change mon point de vue" (citation p.59). Au final, Keynes avait compris que le "doux commerce" et l'enrichissement mutuel apportent la paix aux nations, cependant que la concurrence sauvage (le libéralisme...) apporte la guerre, et il était donc partisan d'une régulation de l'économie. Concernant sa place dans la "vie de la cité", Maris nous signale la "défaite" qu'ont constitué les accords de Bretton Woods où, à la solution que Keynes préconisait (un système monéraire mondial basé sur une monnaie non-nationale, le "bancor") a été préférée la solution proposée par l'Américain White, à savoir l'utilisation du dollar (en principe rattaché à l'or) comme étalon international. Keynes est mort peu après. Il est bon de savoir que notre Pierre Mendes France national (né en 1907) avait lié amitié -professionnelle- avec Keynes à cette conférence de Bretton Woods.
Le livre est divisé en 5 chapitres et 25 sous-chapitres (inégalement répartis). Je n'ai pas pris la peine de tout retenir (voire de tout comprendre) dans ce livre (après tout, un 07 à l'écrit dans la spécialité "Sciences économiques et sociales" m'a largement suffi pour obtenir mon Bac de cette année 2022). En le lisant, j'ai eu par moments le sentiment que, tout en nous présentant sa vision de Keynes (personnalité complexe), Bernard Maris y mêlait ses propres "dadas" (la place de la psychologie humaine, sinon de la psychanalyse, dans les décisions prises par les acteurs économiques et leurs conséquences). Bernard Maris n'était pas pour rien un économiste hétérodoxe. La conclusion du livre laisse à penser que Keynes aurait pu inspirer ce que les économistes "sérieux" qualifient d'"utopie".
Je vous mets la fin d'une citation, faite par Maris, de l'essai rédigé par Keynes sur son maître Marshall (ça va, vous suivez?): "(...) le maître en économie doit posséder une rare combinaison de dons... Il doit être mathématicien, historien, homme d'Etat, philosophe à un certain niveau. Il doit comprendre les symboles et parler en mots. Il doit observer le particulier en termes généraux et toucher l'abstrait et le concret du même élan de la pensée. Il doit étudier le présent à la lumière du passé et à l'usage de l'avenir" (p.83). Et encore une autre, sous forme d'une boutade pour supprimer le chômage par le crédit et l'investissement: "si le Trésor était disposé à emplir de billets de banque de vieilles bouteilles, à les enfouir à des profondeurs convenables dans des mines désaffectées qui seraient ensuite comblées avec des détritus urbains, et à autoriser ls entreprises privées à extraire de nouveau les billets selon les principes éprouvés du laisser-faire [...] le chômage pourrait disparaître [...]. À vrai dire, il serait plus censé (sic!) de construire des maisons ou quelque chose de semblable, mais, si des difficultés politiques et pratiques s'y opposent, le moyen précédent vaut mieux que rien" (p.75). Si j'ai bien compris, la monnaie doit être employée, circuler, et non être stockée et stérilisée...
J'ignore par combien de mains l'exemplaire que je possède est passé. Le même jour, j'ai acheté (d'occasion aussi) d'autres bons titres, épaves manifestes d'une bibliothèque d'intellectuel... ou de journaliste (Arnaud Spire, qui était-ce?). En tout cas, je vous invite à lire ce court essai, écrit d'une plume brillante.
Pour finir, voici quelques liens vers des blogs ayant jadis mentionné ce livre: Bernard Ligot (dernier billet en 2007), Le blog du Shadokk (dernier billet en 2008). On en trouve aussi des citations sur divers blogs spécialisés en économie, dans des hommages très érudits rendus à Bernard Maris après janvier 2015...
Lors de mes recherches, en rebondissant sur d'autres liens, j'ai fini par tomber sur un documentaire sur Bernard Maris diffusé (le 3 janvier 2016) sur Public Sénat (une cinquantaine de minutes, un peu moins d'un an après son assassinat). Vers la 18e minute, Philippe Val (ancien dirigeant de Charlie) évoque l'origine du pseudonyme d'Oncle Bernard sous lequel Bernard Maris rédigeait ses articles. Keynes est cité peu avant la dernière minute.
Coïncidences: hier mercredi 6 juillet 2022, Jacques Littauer, qui rédige désormais les rubriques "économiques" dans Charlie Hebdo, y citait aussi Keynes, à propos des prix de l'énergie qui devraient inciter aux économies d'énergie: "(...) les prix ne peuvent pas tout. Ou, plus exactement, comme le savent les économistes keynésiens ou marxistes, le libre ajustement entre l'offre et la demande peut conduire à des situations très douloureuses". Ce même jour, Charlie a entamé la publication d'une rubrique "Un été avec Honoré", dont le dessin ci-dessous met en scène Keynes (et Marx).
Charlie Hebdo N°1563 du 06/07/2022 (p. 8-9).
Ça me rappelle qu'il y a trois ans, j'avais eu le culot d'écrire à Riss pour lui proposer une rubrique hebdomadaire, consistant en la "repasse" commentée du dessin d'un des "anciens" dessinateurs de Charlie Hebdo, y ayant déjà été publié dans l'une ou l'autre série du journal, mais mis en lien (anachronique) avec l'actualité de la semaine courante... Je n'ai jamais eu de réponse.
*** Je suis Charlie ***