Claudine à l'école - Colette
Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) me suis replongé, plus de 40 ans après ma première lecture, dans un petit "Poche" que je peux inscrire aujourd'hui aussi bien au challenge "2023 sera classique" co-organisé par Nathalie et Blandine qu'à la 4e "saison" (2023-2024) du challenge "Les classiques c'est fantastique" de Moka et Fanny pour leur thème de juin 2023 (Colette vs Sand).
Le livre de Poche N°193 **, 2e trim. 1980, 253 pages.
Ce livre de poche, Claudine à l'école, co-signé Willy et Colette, m'a été offert en août 1981, alors que je venais d'obtenir mon [premier] Bac, par l'une de mes grand-mères, celle des deux qui s'étonnait toujours que je lui demande de marquer elle-même la date où elle m'offrait les livres qu'elle me choisissait...
"... Un ouvrier plante des piquets pour faire une palissade. Il les enfonce à une distance telle les uns des autres que le seau de goudron dans lequel il trempe l'extrémité inférieure jusqu'à une hauteur de trente centimètres se trouve vide au bout de trois heures. Etant donné que la quantité de goudron qui reste au piquet égale dix centimètres cubes, que le seau est un cylindre de 0 m. 15 de rayon à la base et de 0 m. 75 de hauteur, plein aux 3/4, que l'ouvrier trempe quarante piquets par heure et se repose huit minutes environ dans le même temps, quel est le nombre de piquets et quelle est la surface de la propriété qui a la forme d'un carré parfait? Dire également quel serait le nombre de piquets nécessaires si on les plantait distants de dix centimètres de plus. Dire aussi le prix de revient de cette opération dans les deux cas, si les piquets valent 3 francs le cent et si l'ouvrier est payé 0 fr. 50 de l'heure."
Quel lycéen de 15 ou 16 ans, aujourd'hui (2023), saurait résoudre ces problèmes sans ordinateur ni calculette, rien qu'avec un crayon, un papier et son cerveau? Il s'agit du genre de "question d'arithmétique" que Claudine et ses condisciples, dans leur dernière année d'école, s'échinent à résoudre, avec en perspective le Brevet élémentaire [en fait, le "Brevet de capacité pour l'enseignement primaire (Institutrices - brevet élémentaire)"].
Dans le roman Claudine à l'école, publié en 1900, un récit à la première personne se présente (p.10) comme le "journal" quotidien d'une gamine plutôt délurée, en dernière année d'école primaire supérieure, qui entretient des relations ambivalentes avec ses enseignantes et accessoirement ses condisciples, elles-mêmes sans doute futures institutrices. Cette année-là, c'est l'année du brevet élémentaire, un examen qui se passait à 16 ans (l'ancêtre de notre "Brevet des collèges"). La jeune héroïne en sabots (p.62) va nous raconter toute l'année scolaire, avec l'arrivée de la nouvelle équipe enseignante, la démolition de l'ancienne école cependant que la nouvelle se construit. Le roman se termine avec l'inauguration des nouveaux locaux, peu après les résultats de l'examen. A l'époque, celui-ci se "passe" en trois jours plein à partir du 5 juillet... tandis que notre Brevet des collèges se passe, en 2023 (mais pour combien d'années encore?), les 26 et 27 juin (cependant que les points strictement nécessaires à la moyenne de nos collégiens proviennent désormais du contrôle continu!).
Basé sur les propres souvenirs de la jeune Colette (27 ans en 1900), et censé se dérouler alors que s'annonce l'Exposition universelle de 1900 (annoncée dès 1892), ce roman est reconnu comme l'une des premières "fictions autobiographiques". La jeune autrice a dû quelque peu tricher avec les années, par contre. On découvre une belle plante sauvage de 15 à 16 ans, fille unique et orpheline de mère (ce qui n'était pas son cas). Je me rappelle avoir appris l'an dernier, à l'occasion de notre visite à Saint-Sauveur-en-Puisaye, qu'Henry Gauthier-Villars avait demandé à sa jeune et candide épouse Sidonie-Gabrielle (ils se sont mariés en 1893) d'écrire ses souvenirs de jeunesse dans des cahiers, puis l'avait assurée que ça ne valait rien, avant de retomber dessus quelque temps plus tard et de les porter sans rien lui dire chez un éditeur, pour les faire publier sous son seul nom (pseudonyme, plutôt) de Willy: le premier volume de la série des "Claudine...".
Les "observations" de Claudine sur son entourage, ses condisciples, ses enseignantes, les amours de celles-ci ou de celles-là, le médecin qui tripote et grenouille pour devenir député, la balourdise rurale... peuvent expliquer que Colette ait failli être accueillie à coups de cailloux quand elle a tenté, dans les années 1930, de revenir en visite dans sa maison natale, même si elle les avait transposées dans le bourg fictif de "Montigny". La "jeune fille" apparaît à la fois comme gamine et garce. Je pense que, lors de ma propre première lecture, beaucoup des sous-entendus, notamment saphiques, avaient dû passer largement au-dessus de la tête du garçon pas très dégourdi que j'étais à l'époque... Cette édition du livre de poche estampillé "texte intégral" ne comporte aucune information biographique, présentation du livre ou introduction. Rappelons qu'à l'époque, internet n'existait pas: pour apprendre quelque chose sur un écrivain, il fallait se reporter à un dictionnaire de la littérature, ... ou au Lagarde & Michard du XXe siècle et à ses notices édulcorées.
On trouve aussi quelques notations acides, peut-être audacieuses, sociales sinon socialisantes, par rapport aux "cours de morale" de l'époque. p.123: "Expliquer et commenter cette pensée de Franklin: L'oisiveté est comme la rouille, elle use plus que le travail". Commentaire de "Claudine", après avoir dûment "bâclé" le devoir demandé: "Avec ça que ce n'est pas bon de paresser dans un fauteuil! Avec ça que les ouvriers qui travaillent toute leur vie ne meurent pas jeunes et épuisés! Mais quoi, faut pas le dire. Dans le "programme des examens", les choses ne se passent pas comme dans la vie."
Peut-être que l'auteure était à court d'imagination? La fin de l'année arrive vite, après près de deux mois de maladie à la maison puis de convalescence, ce qui n'empêche pas notre "première de la classe" d'obtenir plutôt facilement son examen. Mais elle ne se voit pas entrer ensuite dans une Ecole Normale pour devenir institutrice, elle... Le roman se clôt sur un adieu nostalgique à l'école, et l'espoir de l'entrée dans le monde.
L'année où j'ai reçu ce bouquin, alors que quatre "Claudine" y figuraient en 4ème de couverture (sous le titre "Les “Claudine” dans le Livre de Poche"), la page "Oeuvres de Colette dans Le livre de Poche", en début d’ouvrage, oubliait tout autant Claudine en ménage. Il fallait attendre l’avant-dernière page du livre, qui listait la totalité des oeuvres, pour y dénicher les quatre "Claudine" canoniques”, finalement, dans un paragraphe “En “collaboration” avec M. Willy". Hasard des éditions...? Puisque j'avais eu seulement le second titre en même temps que Claudine à l'école (avec aussi La maison de Claudine, sorte de "hors-série" d'exploitation d'une "marque", paru en 1922), j'ai complété au fil des ans ma collection, avec des éditions dépareillées... Je ne suis même pas sûr de les avoir tous lus. Encore trois "classiques" en perspective! Ils sont respectivement parus en 1901, 1902 et 1903.
L’oeuvre de Colette devrait tomber dans le domaine public soixante-dix ans après sa mort, soit en... 2025.
Edit du 07/08/2023: je viens de découvrir un billet de 2018 de Grominou.