Bête et méchant / Les Ritals - Cavanna
Deux livres, ce mois-ci, dans le cadre de mes "Hommages du 7". Après Les Russkoff (le deuxième volet de l'autobiographie de François Cavanna, sur la Seconde guerre mondiale), j'ai (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) lu le troisième, Bête et méchant (les débuts dans la carrière), avant de me replonger dans le premier, Les Ritals (l'enfance).
Bête et méchant, 1ère parution en 1981, Le livre de Poche N°5755, 1983, 346 pages
Les Ritals, 1ère parution en 1978, Le livre de Poche N°5383, 1986, 377 pages
De votre côté, rien ne vous empêche de les lire dans l'ordre... Pour ma part, il ne s'agissait pas d'une première lecture.
Ce volume reprend donc la suite de la vie du jeune François Cavanna revenu d'Allemagne. Il dépeint les années d'auto-formation à l'entrée dans la carrière, avant d'arriver à gagner sa vie par le pinceau et par la plume, jusqu'à Hara-Kiri inclus (journal Bête et méchant). Cavanna a commencé par publier une bande dessinée dans le journal Le déporté du travail. Mais difficile de renverser de l'encre sur la table familiale, en s'échinant le soir et le dimanche, alors qu'il travaille comme ouvrier puis employé en semaine. Alors, il trouve une piaule, toujours en banlieue, pour dessiner d'autres travaux. Et, pour en partager le loyer, une colocataire... Et le voici en ménage (platonique d'abord) avec une jeune femme revenue traumatisée (physiquement comme mentalement) des camps nazis. Puis mariage... qui ne dure que quelques dizaines de pages. Mais l'élan est donné. Citation (p.74): "Liliane me disait: on ne fait bien les choses que si l'on est un professiuonnel. Un professionnel, c'est un type qui ne fait que ça, son métier, même s'il ne gagne pas un sou, même s'il n'a pas un client, il est un professionnel. Il consacre son temps et ses meilleures forces à son métier. Si tu travailles dans la journée pour un patron et que tu fais ce que tu aimes le soir ou le dimanche, tu es un amateur. Ca peut ne pas être trop mal, ça ne sera jamais un travail de professionnel. Un professionnel a le dos au mur et la trouille au cul". Cavanna nous raconte la tournée des rédactions de journaux (la presse d'après-guerre) où l'on laisse les dessins de la semaine, qui seront acceptés - ou non, les rencontres avec d'autres dessinateurs (Dubout l'avait prévenu: "tu vas en baver, il faut de la te-na-ci-té"), notamment Fred. Pour vivre encore des petits boulots, à droite ou à gauche (intéressant décryptage du milieu des dessinateurs de presse d'après-guerre.). J'en retiens une autre citation attrapée au vol (p.117): "dans cette anarchie qu'est notre société mercantile, si un mode de production anachronique et même nuisible assure de gros revenus à une catégorie suffisamment puissante, le jeu du progrès est faussé". En 1954, c'est l'achat du premier numéro d'un journal vendu par colportage, Zéro, qui lui permet de croiser le couple Novi, qui l'a créé (avec des dessins déjà publiés ailleurs). Puis de rédiger des "jeux" bouche-trou. Puis ses premiers textes (écrire plutôt que dessiner?) ... avant de découvrir l'imprimerie et le maquettage du journal. Et puis l'on assiste à la rencontre chez Zéro avec le futur professeur Choron, retour d'Indochine, grande gueule et vendeur émérite. Zéro devient Cordées, Cavanna continue à se former sur le tas. Novi meut subitement, et en 1960 Cavanna, Choron et Fred lancent le journal mensuel dont ils rêvaient, avec l'afflux de talents (Cabu, Wolinski, Gébé, le jeune Reiser)... Hara Kiri commence, avec ses aventures et mésaventures: équipe de colporteurs emmenée au commissariat, journal interdit d'affichage (en toute subtilité: voir chapitre "Il n'y a pas de censure en France", pp.262-296). La phrase-culte "L'humour est un coup de poing dans la gueule" est écrite p.232. Bête et méchant se termine en 1967, juste avant la reprise après une nouvelle interdiction de Hara Kiri, qui ne sera pas la dernière...
Voir les billet des blogs Au détour d'un livre, Les plumes baroques, "Me, myself and I".
Je m'étais acheté mon exemplaire de Bête et méchant le 14 octobre 2023. Mais à la relecture du chapitre titré "Néo" sur "la mort du père" (1953-1954), je me suis persuadé que je l'avais déjà lu, il y a plusieurs décennies... Je suppose que j'avais déjà dû croiser ce livre ici ou là, mais sans l'acquérir pour ma pochothèque. Je signale pour finir qu'il comporte 11 chapitres, avec chronologie indiquée mais avec des retours en arrière.
Mon exemplaire du titre Les Ritals, lui, porte comme date d'acquisition le 13 mars 2014. Pour être plus exact, il s'agit de la date où je l'ai sauvé d'un don que ma mère s'apprêtait à en faire à une boutique Emmaüs, quand elle se débarrassait de livres qu'elle avait parfois achetés en double ou triple (pour l'une ou l'autre de ses résidences), avant de migrer d'un grand appartement à un studio plus modeste à l'étage "chambre de bonnes"... C'était quelques années avant qu'elle parte en EHPAD. Bref.
Dans Les Ritals, son premier livre de "souvenirs", Cavanna nous présente son enfance à Nogent, d'un père maçon italien illettré et d'une mère morvandelle (née dans la Nièvre, à quelques kilomètres d'Imphy). Il a été élévé aux pâtes et à la viande de cheval. Les chapitres nous présentent ses copains tout aussi fils de Ritals avec qui il fait les 400 coups dans la rue ou le voisinage, la découverte des filles (gamines du coin ou professionnelles de Paris), le cinéma, la bibliothèque, la première muffée, ou une grande fugue à vélo... avec bien de la verve. Il y a aussi les histoires du père, beaucoup: en fait, il transparaît dans chaque chapitre, le Vidgeon (diminutif gentil de Luigi, en "dialetto"). p.122, il habille pour l'hiver ceux qui se sont amusés, un jour, à soûler son père. Mais le chapitre suivant expose avec tendresse la "main verte" du père, et son habitude de planter un noyau de pêche sur chacun des chantiers où il travaillait. Et puis la crise économique et le chômage, la peur du renvoi au pays, qui amènent Vidgeon à demander la naturalisation française... obtenue au tout début de la Seconde Guerre mondiale. Les 29 courts chapitres qui composent le livre (avec des titres très courts aussi) m'ont amené à me poser la question de savoir si le livre Les Ritals n'aurait pas d'abord été publié en "feuilleton", sous forme de "chroniques" séparées... ?
Je retiens en tout cas de ce livre qu'à l'époque, le rejet par les "Français de souche" (comme on ne disait pas encore? Si?) de certains métiers, ce qui amenait de la main-d'oeuvre étrangère à les occuper (en espérant pour leurs enfants un destin de petit fonctionnaire), existait déjà. Un siècle plus tard, remplacez "Ritals" par "personnes racisées" et "maçons" par "services à la personne", et la messe est dite.
Voir aussi le billet du blog Au détour d'un livre.
Le récit de la création et des premiers temps, de Charlie Hebdo (l'histoire en est déjà bien connue!), lui, ce sera sans doute pour le tome suivant immédiatement (Les yeux plus gros que le ventre)... Je signale pour finir que j'ai découvert d'occasion cette semaine Lune de miel (Folio). Ayant lu sur la 4ème de couv' que c'était aussi un "tableau réjouissant de souvenirs, réflexions et anecdotes", je me le suis offert. J'en parlerai certainement un mois ou l'autre.
*** Je suis Charlie ***