Lettre à un Inuit de 2022 - Jean Malaurie
Je (ta d loi du cine, « squatter » chez dasola) présente un livre qui, à deux mois près, aurait pu figurer au "challenge sur les minorités ethniques" proposé par Ingannmic en 2023 (vérification faite, aucun blog ne l’y a proposé). Mais ce qui m’a pour ma part amené à le lire seulement maintenant, c’est le décès de son auteur, Jean Malaurie, à 101 ans révolus (22/12/1922-05/02/2024). J'ai emprunté l'ouvrage au système de prêt de livres de l'AMAP dont je fais partie.
Jean Malaurie, Lettre à un Inuit de 2022, récit, Fayard, octobre 2015, 160 pages
(un regard angoissé sur le destin d’un peuple)
Je cite les premières lignes du livre : « C’est à toi, Inuit, que je m’adresse. Debout ! Peuple du Groenland, réveille-toi ! Ne renonce pas à ton avenir ! L’Arctique est à la veille d’un désastre. Le pétrole, l’uranium suscitent des projets inconsidérés et l’ombre d’un conflit nucléaire avec des sous-marins au pôle se profile. »
Dans cette "lettre-testament", c’est surtout au "peuple premier" du Groenland qu’il a étudié durant plus de 70 ans que Malaurie s’adresse, au long de la vingtaine de courts chapitres que comporte l’ouvrage (quelques titres: «L’homme a su plus qu’il ne sait»; Une écriture orale; L’animiste, en survie chrétienne; «Lève-toi et marche!»). Je suppose que le millésime choisi ne l'était pas au hasard, puisqu'il correspondait à son propre centenaire (dont rien ne lui assurait, en 2015, qu'il l'atteindrait et même le dépasserait!). Le livre en gros caractères comporte huit pages de photos en cahier central [photo : Jean Malaurie, 3 mai 2001], ainsi que plusieurs cartes en début et en fin d’ouvrage.
Au fil des pages, l’auteur revient sur son parcours, sa carrière, ses rencontres, en tant qu’ethnologue « de terrain » (et non « de bibliothèque »).
Entre autres, j’ai été frappé par l’exemple qu’il donne (p.48-49) : alors qu’il enregistrait au magnétophone un groupe, dans un igloo, le doyen, en écoutant la bande au bout de 20 minutes, lui dit avec colère : « cet appareil est mauvais. Je n’ai jamais prononcé ces mots ». L’appareil était réducteur : il ne « captait » rien de la gestuelle, des efforts de langage simplifié pour se mettre « au niveau » d’un blanc inculte, de l’approbation silencieuse de l’auditoire qui « validait » ce qui était dit… « Le seul enregistrement est mensonger parce que fragmentaire ».
Pour ma part, je l’avoue, je suis beaucoup plus sensible à ce genre d’exemple purement sociologique (comme l’information que 40% de la population active au Groenland est constituée de fonctionnaires ou de para-fonctionnaires travaillant pour le gouvernement, que la quasi-totalité des échanges s’effectue avec le Danemark, que les Danois représentent 11% de la population mais la majorité des cadres…) qu’à d’autres aspects plus « mystiques » du livre, portant sur le chamanisme, le rapport au monde, les perceptions extra-sensorielle, l’animisme, ou la croyance que proclame Malaurie en l’entité Gaia (la planète terre sur laquelle nous vivons et dont nous faisons partie)…
Jean Malaurie a par ailleurs été le fondateur de la collection Terre humaine en 1954 chez Plon, collection qui compte aujourd’hui une centaine de titres, dont trois ou quatre lui sont dûs (elle en est aujourd’hui à son troisième directeur de collection). J’ai pu, comme tout le monde, lire quelques-uns de ces titres au cours des quatre dernières décennies. Selon ce que j’en comprends, le projet était nettement plus ambitieux que la collection Raconter la vie que j’ai évoquée il y a quelque temps. Il s’agissait ici davantage de faire rédiger « à la première personne » des ouvrages dont chacun ferait sens mais aussi mémoire pour la recherche ethnologique présente ou future.
Jean Malaurie déplore d’ailleurs, en 2015, qu’il n’existe pas une Maison d’édition spécifiquement groenlandaise pour traduire certains titres, ceux concernant le pays. Il signale aussi le manque d’établissements d’enseignement supérieur, qui amène les jeunes souhaitant faire des études à s’exiler à l’étranger, d’où ils hésitent, ensuite, à revenir. J'ai noté l'anecdote qu'il rapporte (pp.114-115): lors de l'inauguration du Musée des Arts premiers, quai Branly, un premier ministre d'un Etat d'Afrique de l'Ouest lui a demandé de dire de sa part à Jacques Chirac qu'il ne se retrouvait pas beaucoup dans ces peuples racines. "(...) Nous avons de grandes universités en Afrique noire. Où sont-elles représentées dans ce musée parisien de l'histoire des peuples?".
Le livre se conclut sur une exhortation à la jeunesse inuite à prendre son destin en main, pour créer une nation groenlandaise.
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Je change totalement de sujet pour signaler que, durant tout le week-end dernier et jusqu'à ce lundi 12 février, dasola et moi n'avons pu accéder à la partie "administrateur" du blog, cependant que nous constations avec chagrin que, même si le blog restait consultable, il était rigoureusement impossible d'y enregistrer le moindre commentaire (un message en rouge s'affichait, signalant cette impossibilité et invitant à réessayer "d'ici quelques minutes"...).
Selon les informations disponibles, la plateforme canalblog est en pleine migration sur de nouveaux serveurs, d'où les "couacs" ces derniers temps...