Mon ami Ta d loi du cine m'a emmenée voir La ferme des Bertrand de Gilles Perret le 10 février dernier et je l'en remercie. A l'heure où le monde paysan est en émoi et revendique à juste raison, le film montre une certaine réalité sur le monde paysan depuis 50 ans. C’est un film documentaire sur la transmission de génération en génération. La ferme s'est concentrée sur l'élevage d'une centaine de vaches laitières. Elle se situe en Haute-Savoie et le lait sert à la fabrication du reblochon.
Ta d loi du cine: j'ai retenu que la filière de valorisation du lait s'est organisée après la guerre (AOC Roblochon en 1958), sous forme de coopérative qui achète le lait et le transforme (avec des statuts faisant qu'aucun acteur de la filière ne puisse à lui seul peser trop lourd aujourd'hui).
Il y cinq générations: le grand-père, trois de ses fils (André, Joseph et Jean), leur neveu Patrick (et sa femme Hélène qui en 2022, va partir à la retraite), les trois enfants du couple (seul le fils, Marc, travaille à la ferme avec le gendre, Alex) et les petits-enfants. Pour illustrer ces diverses époques, il y a trois films en un. Les images sont en format carré ou format rectangulaire selon que le tournage date de 2022, 1997 (le premier documentaire du réalisateur qui est voisin des Bertrand) ou 1972 (des extraits d’un film réalisé par Marcel Trillat). Les intervenants principaux sont donc, en 1972 et 1997, les trois oncles, des frères restés célibataires. Deux des oncles connaissaient le prénom de chaque vache (presque une centaine). Le troisième qui a fait la guerre d’Algérie pendant son service militaire réparait les clôtures et faisait d’autres travaux (réparations mécaniques...).
Ta d loi du cine: d'une ferme familiale, les trois frères, par leur travail acharné, ont développé leur exploitation agricole. Dans le reportage de 1972, on les voir construire de leurs mains, cassant des cailloux comme des forçats, une grande étable neuve. Ils ont pu récupérer les terres d'autres fermiers qui, eux, partaient à la retraite sans reprise familiale derrière eux.
Même s'ils ne se plaignent pas, André, celui qui parle le plus, révèle que leur vie (celle des trois oncles) a été difficile. Les trois frères ont les souvenirs de l'Occupation et de la vie en autarcie, quand leur fratrie (ils étaient sept enfants) vivait de rien. Dans tout le film, il est peu question du côté financier ou des relations avec les industriels comme Lactalis. On ne parle pas de chiffre. Ils ne se payent pas vraiment de salaire mais ils vivent correctement sans faire de folie. L’argent qu’ils gagnent sert à investir (dans la terre ou dans l'outillage indispensable). À l'époque, le travail était harassant: les vieillards ont les épaules et les mains abimées. André, l’oncle survivant est tout courbé, les deux autres sont morts relativement jeunes.
Ta d loi du cine: c'est touchant de voir comme la jeune génération prend soin de mettre des copeaux sur la pente enneigée qui conduit à l'étable pour qu'il puisse, ensuite, grimper tout seul (sans qu'on ait à lui tenir le bras) mais sans risque. Le côté financier est abordé sous l'angle de la valeur du "patrimoine foncier" accumulé et conservé au fil des décennies, malgré les pressions financières liées à la spéculation sur ces terres aujourd'hui agricoles en Haute-Savoie.
Il considère que ce n’est pas un travail pour les femmes même s’ils ont bien accepté que la femme de Patrick les aide pour les veaux. En 2022, il est question de traite avec des robots mais Hélène continue le nourrissage des veaux au biberon avec le lait de leur mère. On garde les génisses mais les veaux partent pour l’abattoir. Dans la partie filmée en 2022, André, l’un de trois oncles, le seul survivant, n’aime pas regarder en arrière. Désormais, il s’occupe de ses poules, et il admire la nouvelle génération. Ils ont repris à leur compte le fait de ne pas abîmer le paysage.
Ta d loi du cine: j'ai noté la reprise de gestes similaires, d'une génération à l'autre, mais avec des outils différents: le "fauchage-débroussaillage" autour des pieds des arbres au milieu des pâturages, à la faux pour les premières générations, avec une débroussailleuse à fil ensuite. Mais on retrouve le même geste de l'outil porté par-dessus l'épaule pendant la marche. Ou bien, le foin fané au râteau et à la fourche d'abord, de manière mécanisée ensuite.
L’entretien des pâturages avec le tracteur est aussi important que la traite des vaches. On ne voit pas les femmes de la famille, elles doivent travailler ailleurs. On voit un peu la ferme sous la neige avec les vaches mais surtout au printemps et en été. Pendant l’hiver (plus de 4 mois), les bêtes sont confinées dans un immense hangar. À certaines périodes, il faut se lever à 5h du matin. A l’heure actuelle, les fermiers peuvent s'accorder une semaine de vacances dans l’année maximum. Dommage que l’on ne voit pas assez les filles du neveu (mort à 50 ans) même si elles interviennent deux fois, en 1997 et 25 ans plus tard. En tout cas, la 5ème génération fera ce qu’elle veut: continuer ou arrêter.
Ta d loi du cine: j'aimerais vraiment qu'il y ait un quatrième volet, en 2047. Je ne suis pas certain d'être encore là pour le voir... Parmi les critères pour le maintien de l'intérêt pour ce métier, il y aura sans doute l'assurance d'un revenu décent, et la possibilité de passer à une vie avec moins de contraintes (et davantage de congés possibles qu'une seule semaine par an?).
D'autres billets sur le film: Pascale, Henri Golant, Chris, ou Wilyrah (chez qui, depuis bien longtemps, on ne peut plus mettre de commentaires). Et sinon, le lien à propos du film avec en particulier le dossier de presse.
Et voici le logo de l'activité chez Ingannmic sur le monde ouvrier et les mondes du travail
(lire, mais aussi voir, donc):