Aucun ours - Jafar Panahi
Je suis assez sensible aux films du réalisateur iranien Jafar Panahi qui été l'assistant d'Abbas Kiarostami. Depuis le 11 juillet 2022, Jafar Panahi purge une peine de six ans de prison pour "Propagande contre le régime de Téhéran". Toujours est-il qu'il a pu terminer Aucun ours qui vient de sortir sur les écrans français. Ce film a reçu le prix spécial du Jury à la dernière Mostra de Venise. Dans Aucun ours, il est devant et derrière la caméra. Il a loué pour quelque temps une chambre chez l'habitant dans un village reculé en Iran situé pas loin de la frontière turque. Il tourne un film dont les prises de vues ont lieu en Turquie. Il donne des directives grâce à Internet par écran d'ordinateur interposé. Tous ses techniciens suivent ses instructions. Les personnages de l'histoire désirent partir vers la France grâce à des passeports subtilisés à des touristes de passage. En parallèle, Jafar Panahi est très sollicité par les notables du village Ils sont persuadés que Jafar aurait pris une photo. Sur ladite photo, on devrait voir une jeune femme et un jeune homme qui n'auraient jamais dû être ensemble. En effet, la jeune femme est promise à un autre depuis sa naissance. On se rend compte que Jafar est épié de jour comme de nuit par les villageois qui deviennent de plus en plus hostiles. C'est très inconfortable. Pendant ce temps-là, un drame se noue en Turquie avec le couple d'acteurs. J'ai énormément aimé ce film dans lequel Jafar Panahi montre que le sort des femmes n'est pas enviable dans son pays. Ce sont elles qui sont cantonnées à faire la cuisine et à s'occuper des enfants tandis que les hommes décident de tout. De guerre lasse, Jafar partira. Le film se termine avec le signal sonore de la voiture du cinéaste. Quelques séquences sont frappantes comme celles de deux futurs mariés à qui on lave les pieds dans une rivière. C'est bien entendu une affaire d'hommes. Il y a une belle séquence qui se passe la nuit : Jafar Panahi s'approche très près d'une frontière invisible qui sépare l'Iran de la Turquie. C'est un chemin connu pour la contrebande. On le met en garde. On sent la menace toujours présente même si on l'assure qu'aucun ours n'est dans les parages. J'ai énormément aimé ce film que je conseille.
Leila et ses frères - Saeed Roustaee
En préambule, Leila et ses frères est selon moi le film étranger de l'année. Le réalisateur iranien Saeed Roustaee (La loi de Téhéran) est aussi le scénariste du film qui sort demain, mercredi 24 août 2022. Pendant 2H49 (non, non, le film n'est pas trop long), on suit quelques semaines dans la vie assez rude de la famille de Leila, une jeune femme d'une trentaine d'années toujours pas mariée. Elle est la seule fille au milieu de quatre garçons. Elle gagne à peu près sa vie et c'est la seule à vraiment tenir tête à Esmaïl, le père de la famille, un vieux monsieur à la santé fragile mais au mauvais caractère. C'est un tyran domestique. Parmi les quatre frères de Leila, un seul est marié et il est le père de cinq filles. Mais quand son épouse accouche enfin d'un petit garçon, c'est la joie dans la famille malgré la crise économique qui la touche durement. Ils sont criblés de dettes. De ce fait, Leila a l'idée d'acheter une boutique à crédit dans une galerie commerciale pour toute la famille. Elle s'attend à ce que son père les aide dans leur entreprise. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévues car le père a promis une importante somme d'argent qui le ferait devenir le nouveau parrain de sa communauté, la plus haute distinction de la tradition persane. Cette distinction aboutirait peut-être a ce que Esmaïl soit moins méprisé par de nombreuses personnes de sa connaissance. L'affiche représente le moment de gloire d'Ismaîl, même si elle sera éphémère. La famille va arriver au bord de l'implosion à l'issue de cette cérémonie. Certains dialogues entre les personnages sont très violents et démontrent bien le ressentiment entre les deux parents et les enfants. Leila est particulièrement virulente. Il faut saluer l'interprétation des acteurs qui ont presque tous joué dans La loi de Téhéran. Certains sont méconnaissables comme Navid Mohammadzadeh qui interprétait le "dealer" et Payman Maadi (qui interprétait le rôle du policier). Et je n'oublie pas l'actrice Taraneh Alidoosti qui interprète Leila: elle est magnifique. Le réalisateur né en 1989 confirme son grand talent.
Après La loi de Téhéran qui fut le grand film de l'été 2019, Leila et ses frères est le grand film de l'été 2022. Il est regrettable qu'ayant fait partie de la compétition officielle du dernier festival de Cannes, il n'ait reçu aucune récompense. Pour l'anecdote, j'ai vu le film en avant-première dans une salle climatisée très agréable le mardi 19 juillet dernier. Quand je suis sortie de la projection, j'ai eu l'impression d'entrer dans un four, mon téléphone affichait 40°. Il paraît que ce fut la journée la plus chaude à Paris. C'est bien d'aller au cinéma quand il fait chaud dehors.
Les nuits de Mashhad - Ali Abbasi
Le même jour où j'ai vu La nuit du 12, j'ai enchaîné avec Les nuits de Mashhad d'Ali Abbasi. Pour des raisons que l'on peut deviner, le film a été tourné en Jordanie et il n'est pas près d'être diffusé en Iran dans un avenir proche. Grâce à ce film, l'actrice principale Zar Amir Ebrahimi, qui vit en exil en France depuis 2008, a reçu le prix d'interprétation féminine au dernier festival de Cannes en 2022. L'histoire est tirée d'un fait divers réel qui s'est passé en 2000-2001. Saeed, maçon de son état, ancien combattant du conflit Iran/Irak, vit dans la ville sainte de Masshad située à 900 km à l'est de Téhéran. Il est marié et père de trois enfants. Saeed, sans que l'on apprenne ses motivations profondes, est devenu un "serial killer" surnommé "l'araignée". Il a assassiné en tout seize prostituées dont la plupart étaient droguées. Quand il a été arrêté, il a dit qu'il voulait purifier la ville de ces femmes corrompues. Pendant le film, on assiste à au moins trois meurtres par strangulation, ce qui est le modus operandi du tueur. Ce sont des scènes très dures qui se passent chez lui. Rahimi (Zar Amir Ebrahimi), une journaliste venue de Téhéran, souhaite mener son enquête car la police piétine. Quelques scènes édifiantes montrent qu'être une femme seule en Iran n'est pas une sinécure. Quand Rahimi arrive à l'hôtel où elle doit loger, l'employé lui affirme qu'il n'y a aucune réservation à son nom. Dès qu'elle présente sa carte de journaliste, miracle, il y a bien une chambre à son nom. Plus tard, elle est importunée par un policier qui ne comprend pas qu'elle puisse lui dire non. Plus tard encore, quand elle se décide à devenir un appât pour attraper le tueur, on devine les regards concupiscents des hommes. La dernière partie du film nous montre que l'on est une rien du tout, que l'on n'existe pas lorsque l'on est une femme de mauvaise vie. Quand il est enfin arrêté, Saeed rallie beaucoup de monde malgré ce qu'il a fait. Même sa femme et son fils aîné le soutiennent. Saeed se croit sauvé. J'ai aimé ce film très dense et très fort, sans temps mort. Une fois de plus, les acteurs sont tous excellents. Un film que je recommande.
Doctor Strange in the Multiverse of Madness - Sam Raimi / Hit the Road - Panah Panahi
Voici un billet sur deux films qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre sauf que j'ai toujours des goûts éclectiques en matière de cinéma.
Je suis allée voir Doctor Strange in the Multiverse of Madness de Sam Raimi car j'ai un faible pour Benedict Cumberbatch. En revanche, je n'ai pas vu le premier Docteur Strange qui date de 2016 ou d'autres films et séries de Marvel. Je pense que c'est un problème, car j'ai senti qu'il s'était passé pas mal de choses avant que l'histoire ne commence. On voit surtout des effets spéciaux spectaculaires, comme dans une des premières séquences où Gargantos, un démon octopoïde, une grosse bébête avec des tentacules et un oeil unique, cause des ravages à New-York. Il poursuit America Chavez, une des héroïnes du monde de Marvel, car elle a le pouvoir de voyager à travers le Multivers, c'est-à-dire de passer d'un univers à l'autre et d'une Terre à l'autre. Ce démon est une des créations d'une certaine Wanda Maximoff, alias la Sorcière rouge, qui rêve de contrôler le Multivers pour pouvoir retrouver ses deux garçons qu'elle a créés dans un des univers du Multivers. Elle veut donc voler le pouvoir d'America Chavez. C'est là que Doctor Strange fait tout pour aider America Chavez dans les différents univers. Les effets spéciaux font partie de l'essentiel du film, qui ne m'a pas déplu, mais je ne suis pas sensible à l'univers des Marvel. Il n'y a que les X-Men qui trouvent grâce à mes yeux. Lire les billets d'Henri Golant, Princecranoir.
Je passe à Hit the Road de Panah Panahi (le fils du réalisateur iranien Jafar Panahi). J'ai eu envie de voir le film après avoir lu des bonnes critiques sur ce premier long-métrage. J'avoue que je m'attendais à autre chose comme histoire. J'espérais une révélatioin fracassante au bout de la route. J'ai attendu pendant tout le film qu'il se passe quelque chose et il ne se passe rien ou pas grand-chose. Je ne sais pas pourquoi une famille composée d'un père avec une jambe dans le plâtre, d'une mère inquiète, d'un fils aîné qui ne dit rien ou presque et du cadet, un gamin insupportable haut comme trois pommes, prend la route avec une voiture qui n'est pas la sienne. Les paysages quasi-désertiques sont sublimes mais cela n'a pas suffi à mon bonheur. Lire les billets de Miriam et Pascale.
Un héros - Asghar Farhadi
Décidément, le cinéma iranien est dans une période faste: trois films très différents sortis cette année et il s'agit de trois réussites. La loi de Téhéran, Le diable n'existe pas et maintenant Un héros feront partie de mon top cinéma de cette année. J'ai été contente de voir que le réalisateur Asghar Farhadi était revenu en Iran pour nous offrir un film qui a reçu le Grand Prix au dernier festival de Cannes, ex-aequo avec Compartiment n°6. Rahim, âgé d'une trentaine d'années, obtient une permission de sortie de deux jours de la prison où il est emprisonné pour dettes depuis trois ans. Il n'a pas pu rembourser Bahram, son ex-beau-frère qui s'était porté garant pour lui auprès d'un usurier. Le beau-frère en veut énormément à Rahim qu'il prend pour un homme qui n'a pas de parole. On apprend qu'en Iran, on peut donc faire de la prison pour dettes. Au tout début de sa permission, Rahim est rejoint par Farkhondeh, la femme qu'il aime et qui lui apprend qu'elle a trouvé un sac plein de pièces d'or. Elle est aussi l'orthophoniste du fils de Rahim, qui souffre d'un grave bégaiement. Les dix-sept pièces d'or pourraient permettre à Rahim de rembourser une partie de sa dette mais ce n'est pas suffisant pour Bahram qui exige le remboursement complet. C'est alors que Rahim décide de rendre les pièces à la propriétaire du sac. A partir de là, tout s'accélère. Rahim devient un héros pour sa bonne action, surtout auprès du directeur de la prison et d'une association d'aide au pardon qui fait une quête pour lui. Il est devenu un homme médiatisé, mais des rumeurs malveillantes le concernant envahissent les réseaux sociaux. Et si tout cela était un coup monté? Rahim (l'acteur a un physique avenant) est une victime, mais il a aussi un côté pas très sympathique. Il ne se départit pas d'un sourire crispé. On ne sait pas trop ce qu'il pense. On voudrait qu'il s'en sorte, surtout pour son fils qui est très attachant, mais à la fin, son retour en prison semble inéluctable. Farhadi décrit une société iranienne où je n'aimerais pas vivre.
Le diable n'existe pas - Mohammad Rasoulof
Je ne savais pas trop ce que j'allais voir avec Le diable n'existe pas du réalisateur iranien Mohammad Rasoulof. Je n'avais lu aucun résumé ni aucune critique. Et là, pendant deux heures trente, j'ai été happée par les quatre histoires. J'ai surtout été secouée par la première, intitulée "Le diable n'existe pas", qui suit Hesmat, la quarantaine, que l'on voit sortir en voiture d'un endroit très sécurisé. Il revient chez lui, regarde un peu la télé, puis il prend une douche, il récupère sa femme qui sort de son travail, il va chercher sa fille qui sort de l'école (et qui l'engueule car il est arrivé en retard). Ils vont faire des courses tous ensemble. Avec sa femme et sa fille, il part s'occuper de sa vieille mère en lui faisant la cuisine et le ménage, Il est l'incarnation tout à la fois du père, du mari et du fils idéal. C'est quand il retourne à son travail en pleine nuit que l'on découvre une faille dans la vie de cet homme. En poussant un simple bouton, il provoque la mort. J'ai reçu cette séquence comme un coup de poing. Je suis restée tétanisée pendant quelques secondes.
Dans les trois autres histoires, il est aussi question de cette mort légale, la peine de mort, qui est pratiquée à grande échelle en Iran. Dans "Elle a dit, tu peux le faire", Pouya est un jeune conscrit qui ne veut pas donner la mort à un condamné. Il va sortir de cette situation de manière rocambolesque en rejoignant sa fiancée. Dans "Anniversaire", Javad bénéficie d'une permission de trois jours qui lui permet de rejoindre Nana, une jeune femme qu'il compte bien épouser. C'est une maison en deuil qui le reçoit car un ami de la famille vient d'être exécuté pour des raisons politiques. On apprend le lien entre Javad et la victime. Dans "Embrasse-moi", Bahram qui va bientôt mourir est un médecin qui n'a pas voulu collaborer à une exécution 20 ans auparavant. Il tient à voir sa fille biologique venue d'Allemagne qui n'était au courant de rien.
J'ai aimé la manière dont le réalisateur, qui a tourné dans une quasi-clandestinité, suit tous les personnages au plus près. Cela n'empêche pas que certains plans larges montrent des paysages iranien arides ou boisés.
Un très grand film qui a reçu l'Ours d'Or au festival de Berlin en 2020. C'est bien qu'il soit enfin sorti. Allez le voir.
La loi de Téhéran - Saeed Rouastee
Quel film que La loi de Téhéran de Saeed Rouastee, sorti mercredi 28 juillet 2021! Dès la première image, j'ai été captivée. On est dans une rue de Téhéran. Des flics encerclent une maison. Un des policiers est dehors et, tout à coup, il voit une ombre sur le toit. L'ombre se déplace et saute dans la rue. L'ombre, qui est un homme jeune, se met à courir. Le flic se met à courir derrière lui. Ils courent vite. L'homme, un dealer, passe par dessus une palissade en métal et il tombe de l'autre côté, je vous ne dirai pas où et ce qu'il lui arrive. Et pendant ce temps, le flic cherche désespérément le dealer qui a laissé tomber un paquet de drogue par terre juste avant de disparaître. Dans l'une des séquences suivantes, on voit des vrais accros au crack entassés dans des énormes cylindres qui servent de matériaux de construction. C'est une vraie cour des miracles où les enfants et les femmes côtoient des hommes drogués jusqu'aux yeux. Certains sont même décédés comme le découvre un des policiers arrivé sur place pour emmener toute de cette population qui n'offre pas vraiment de résistance. Les postes de police à Téhéran semblent immenses pour recueillir autant de personnes d'un coup. Samad, un policier des stups et l'un des personnages principaux du film, est un homme obstiné qui veut trouver le pourvoyeur de drogue de la ville où on a dénombré plus de 6,5 millions de toxicomanes. Les dealers détenteurs de 5 grammes ou 500 kg sont pratiquement assurés d'être condamnés à mort. Et les toxicomanes sont aussi lourdement condamnés. Samad arrive à trouver Nasser K., un des parrains de la drogue. Nasser, à son tour, devient le personnage essentiel de ce polar haletant avec beaucoup de dialogues. C'est un film foisonnant avec une vraie épaisseur dans les personnages. Il faut noter les interprétations exceptionnelles des acteurs, dont Payman Maadi (Samad) et le beau Navid Mohammadzadeh (Nasser K.). L'un des grands films de 2021. Lire le billet d'Henri Golant.
Lupin III The First - Takashi Yamazaki / Yalda, la nuit du pardon - Massoud Bakhshi
Lupin III The first est un film d'animation japonais très réussi adapté d'un manga écrit par Monkey Punch (un mangaka décédé en 2019). L'histoire narre une des aventures du petit-fils d'Arsène Lupin. L'action se passe pour l'essentiel au début des années 60. Lupin, un jeune cambrioleur au grand coeur, convoite "Le journal de Bresson" qui avait disparu au cours de la deuxième guerre mondiale. Bresson était un savant qui avait conçu une arme redoutable, "L'éclipse", un générateur d'énergie infinie. Son journal indique comment se servir de cette arme. C'est pour cela qu'à part Lupin qui est poursuivi par un inspecteur de police pugnace, d'autres personnes souhaitent avoir ce journal en main comme le grand-père adoptif de Laëtitia, la petite-fille de Bresson. Le film sans temps mort fait des clins d'oeil à Indiana Jones et la dernière croisade. Les méchants qui rêvent de voir Hitler revenir au pouvoir ont la tête de l'emploi. Un bon divertissement qui peut plaire autant aux ados qu'aux parents.
Avec Yalda, la nuit du pardon de Massoud Bakhshi, on est sur un autre registre. L'histoire est adaptée d'une histoire vraie. Au cours d'une émission en direct le soir de la fête de Yalda qui célèbre le 21 décembre (le solstice d'hiver), des millions de télespectateurs doivent voter pour dire si, oui ou non, Maryam, âgée de 26 ans, doit être exécutée pour avoir tué son mari très riche qui avait 65 ans. Maryam a déjà été jugée et condamnée à mort. Elle purge une peine de prison depuis 15 mois. Cependant, les spectateurs et surtout Mona, la fille de la victime, peuvent lui accorder le pardon lors de cette soirée télévisuelle. On apprend que Maryam et son mari avaient contracté un mariage temporaire (!) - une pratique tolérée par les musulmans chiites. Maryam avait accepté de ne pas avoir d'enfant. Au cours de la soirée, cette jeune femme nerveuse au plus haut point affirme que la mort de son mari était un accident. Elle met en cause l'attitude et certaines actions de Mona à l'attitude hautaine envers elle. Jusqu'au bout, on se demande quel sera le verdict, sachant que le prix du sang sera payé par les sponsors de l'émission à la famille de la victime. Un film prenant que je conseille s'il passe par chez vous.
PS: Suite à l'intevervention du Président le 14 octobre 2020, n'abandonnez pas l'idée d'aller au cinéma. J'espère que dans les régions avec couvre-feu, il y aura des séances au plus tard à 18h00, et continuez d'aller au cinéma pendant ces six prochaines semaines.
Trois visages - Jafar Panahi
Suite à mon billet précédent, je continue avec Trois visages de l'Iranien Jafar Panahi qui a aussi signé le scénario. Ce scénario a d'aileurs été récompensé par un prix au dernier festival du film de Cannes. L'histoire débute par un film vidéo que Behnaz Jafar, une célèbre actrice iranienne, reçoit sur son téléphone portable. Sur la vidéo, une jeune fille prend à partie l'actrice en lui repprochant de ne pas l'avoir aidée, de ne pas avoir répondu à ses appels. Elle l'appelle à l'aide avant de se pendre dans un genre de grotte ouverte. Behnaz Jafari, qui culpabilise, annule un tournage en cours et demande à son ami le réalisateur Jafar Panahi, de l'accompagner au nord ouest de l'Iran pour vérifier ce qu'il est en est. La jeune fille qui rêve d'être actrice est-elle morte ou encore vivante? Est-ce une tragédie ou un canular? Cela nous permet de voir les paysages rocheux et assez désolés de cette partie de l'Iran où l'on parle turc dans des villages comme celui où vit la jeune fille, Marziyeh. Quand ils arrivent en voiture 4x4 par une route étroite où il est impossible de rouler en double-sens (et où parfois, un taureau qui a fait une mauvaise chute bloque tout), Behnaz et Jafar apprennent que Marzizyeh a disparu depuis 3 jours, on ne sait pas où elle se trouve. Son frère, très remonté contre elle, ne veut pas qu'elle devienne actrice. Dans certaines parties de l'Iran, les actrices sont considérées comme des femmes de mauvaise vie, même si, par ailleurs, Behnaz reçoit au début un accueil chaleureux des villageois. Elle est en effet connue même dans ces contrées reculées, à la différence de Jafar Panahi. Ce dernier ne parle pas beaucoup et reste souvent dans sa voiture qui lui sert de refuge. On le sent à l'aise dans cet habitacle confiné. Le troisième visage (de femme) du titre est celui de Shaharzad, une actrice plus très jeune qui fut célèbre avant la révolution islamique. On parle d'elle, on ne la voit qu'en ombre chinoise au loin à travers une vitre et on l'entend en voix "off" dire un texte. Elle vit désormais dans le même village que Marziyeh. Avec ce film, le réalisateur évoque son pays avec poésie et parfois humour (évocation du prépuce voyageur) et un peu de tendresse. Il décrit les contraintes sociales et les traditions ancestrales qui régissent la vie de ces gens. Depuis plusieurs années, Jafar Panahi gêne les autorités religieuses de son pays. Il aurait le droit de sortir du territoire iranien mais alors il serait empêché d'y revenir. C'est sa fille qui est venue recevoir le prix à Cannes. Un film à voir. Pour ceux qui ne connaissent pas Jafar Panahi, qui a été l'assistant du réalisateur Abbas Kiarostami, je recommande Le cercle (2000) et Taxi Téhéran (2015). Lire le billet de Maggie.
Un homme intègre - Mohammad Rasoulof
Voici un film iranien marquant. Il a reçu le prix dans la section d'"Un certain regard" au dernier festival de Cannes, et, par ailleurs, le réalisateur a eu son passeport confisqué, il ne peut plus sortir d'Iran et risque six ans de prison. Mohammad Rasoulof n'est pas tendre avec la société iranienne qui vit dans la corruption et les versements de pots-de-vin. Dans son film, dès que les gens ont un petit pouvoir, ils en profitent. Les fonctionnaires de justice et de police en prennent pour leur grade. Ainsi que les banquiers...
Après avoir quitté Téhéran, Reza et sa femme Hadis se sont installés dans le nord de l'Iran dans une grande maison avec plein de terrain autour. Reza élève des poissons rouges, tandis qu'Hadis, grande et belle femme ayant du caractère, dirige un collège de filles dans la ville voisine. Ils ont un petit garçon d'une dizaine d'années. Reza a du mal a joindre les deux bouts et n'arrive pas à rembourser son prêt pour la maison. Cette maison et le terrain sont convoités par une société de distribution d'eau appelée "La compagnie". Reza est un homme incorruptible qui n'accepte aucune compromission. Sa famille et lui vont le payer cher, entre menaces, chantage et courte incarcération. On lui propose de racheter la maison à la moitié de son prix. Acculé, Reza ne veut pas céder. J'ai craint pour sa vie et celle de sa famille au vu de ce qui arrive à ses poissons rouges. Et pourtant, peu à peu, assez subtilement, entraîné par les circonstances, Reza va passer du statut d'opprimé à celui de maître et d'oppresseur. Il va même en arriver au meurtre. Le film comporte de très belles scènes dont une digne des Oiseaux d'Hitchcock et une autre où une maison brûle dans un paysage hivernal (le contraste des couleurs entre le jaune du feu et le gris de l'hiver est magnifique). Les seuls moments de douceur du film sont celles entre Reza et son fils, et quand Reza se réfugie dans une grotte où il prend un bain d'eau chaude. Par ailleurs, je remercie Strum (lire son billet très complet, il raconte beaucoup de l'intrigue) de m'avoir éclairée sur ce que Reza fabrique avec des pastèques: il en fait de l'alcool de pastèque. Je ne savais pas que cela existait. Allez voir ce très bon film qui ne donne pas envie d'aller vivre en Iran, ou même de le visiter (et c'est une voyageuse qui parle).
Au final, si je peux me permettre d'ajouter ce que je n'ai vu mentionné nulle part, le sujet m'a rappelé celui du film russe Leviathan.