mardi 7 mars 2023

Les Russkoffs - Cavanna

Ça débute avec une histoire de pénurie d'obus pour lutter contre les Russes. Et "les provinces, ça va, ça vient, surtout les frontalières" (p.13).

Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) commente ce mois-ci Les Russkoffs, où François Cavanna raconte la suite (durant la seconde guerre mondiale) de son célèbre premier volume autobiographique Les Ritals, que je chroniquerai un mois ou l'autre. 

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(Le livre de poche N°5505 ****, 410 p., 3e trim. 1981)

Alors, pourquoi ce titre-là et pourquoi maintenant? Le numéro 1596 de Charlie Hebdo daté du 22 février 2023 se présentait comme un numéro spécial Cavanna, qui aurait eu 100 ans (né en février 1923). Du coup, j'ai sorti de ma liste d'idées d'articles-hommages "Charlie" puis de ma pochothèque personnelle le livre, redevenu d'actualité, Les Russkoffs. Il est construit avec quelques retours en arrière, et se termine abruptement. En exergue de ce livre figurent comme dédicataires d'abord "[à] Maria Rossipova Tatartchenko, où qu'elle puisse être", puis 24 autres prénoms slaves féminins, suivis d'une vingtaine de gars français. "(...) et aussi / à tous ceux et à toutes celles dont j'oublie le nom mais pas le visage, / à tous ceux et à toutes celles qui ramenèrent leur peau, / à tous ceux qui l'y laissèrent, / et, en général, à tous les bons cons qui ne furent ni des héros, ni des traitres, ni des bourreaux, ni des martyrs, mais simplement, comme moi, des bon cons, / et aussi / à la vieille dame allemande qui a pleuré dans le tramway et m'a donné des tickets de pain."

Les Russkoffs du titre, pour ce que j'en ai donc compris, ce sont en premier lieu les femmes "de l'Est" (slaves) elles aussi réquisitionnés pour le travail en usine d'armement, ensuite les prisonniers de guerre russes - plus mal nourris que les Français? -, et en dernier lieu les soldats de l'armée rouge victorieuse, croisés en fin d'ouvrage quand ils vainquent, pillent, violent, et aussi exécutent sommairement ceux qu'on leur désigne comme "fascistes". Mais procédons par ordre.

Le premier chapitre (sur 17), titré "le marché aux esclaves" nous pose le jeune François en train de travailler sur une presse pour fabriquer des ersatzs de pointe d'obus, chacun des "vingt petit[s] Français pâlichon[s] maigrichon[s] étant flanqué de deux bonnes femme", et nous narre comment il (en) est arrivé là. Prisonniers de guerre français croisés durant le voyage (ne pas parler mal de Pétain!), interprète belge (flamand) à l'arrivée... et mise au boulot (en trois-huit à l'usine d'armement) dès la première nuit d'installation au camp.

Maria, c'est l'une de ses deux assistantes, qu'il prend d'abord pour une Allemande avant de comprendre (p.46) qu'elle est, non pas russe, mais ukrainienne (d'un pays qu'il situe très vaguement sur la carte). Et notre François va se montrer très motivé pour apprendre sa langue... 

Le troisième chapitre, titré "Pour le tsar!" (à la Michel Strogoff), revient en arrière en une soixantaine de pages (53-114) pour narrer l'exode de juin 1940, vécu par notre jeune Cavanna de 17 ans. Après avoir vainement attendu le car promis par l'administration des PTT, notre jeune vacataire part à vélo en direction de Bordeaux où l'ordre est de se replier (sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'au licenciement!). Un voyage initiatique bien qu'inutile puisque les Allemands motorisés allaient plus vite que des réfugiés à pied ou même en vélo (notre François était parti avec son vélo de course tout neuf mais aux boyaux fragiles). N'ayant pas l'âge militaire, les Allemands le laissent revenir en région parisienne. Finis les PTT: voici Cavanna tireur de chariot pour aller sur les marchés, maçon... (court chapitre titré "Ma banlieue à l'heure allemande", p.203-221). Avant de se faire "piéger" dans l'entreprise où il venait d'entrer après une offre alléchante: et paf, requis pour le STO!

En Allemagne, Cavanna travaille donc d'abord pour l'industrie d'armement, puis est muté (par mesure disciplinaire) dans un Kommando des gravats, pour déblayer, jour après jour, Berlin bombardé quotidiennement. C'est entre autres sous les bombes alliées sur Berlin en 1944-45 qu'il s'est construit son opinion sur la guerre, de même que Cabu s'était forgé son propre antimilitarisme en tant qu'appelé en Algérie (entre mars 1958 et juin 1960). Il l'a vécue à hauteur d'homme. Il nous raconte une vie quotidienne de préoccupations alimentaires (à un moment, Maria refuse de manger un steack de cheval, contrairement au jeune Français habitué par sa mère), encadrée par des gardiens plus ou moins "peau de vache" ou "complaisants", une fragile survie de couple, de groupe, pour une histoire individuelle mais pleine d'anecdotes. Par exemple, p. 300-301, il raconte par suite de quel concours de circonstance il a été amené à casser la gueule à un gestapiste dans un tramway (sans conséquences, grâce à l'humanité d'un simple flic allemand pas spécialement pro-Gestapo). Il évoque la camionnette qui exhortait par haut-parleur les requis français à rejoindre la Waffen-SS... (p.310).

Mais je ne veux pas tout raconter (lisez le livre, écrit d'une langue drue, truculente et pressée). Fin février 1945 (p.317), le camp est évacué en train vers la Poméranie, pour aller y creuser de dérisoires fossés antichars dans le sable local. Puis ordre est donné de se diriger (à pied) vers "ailleurs". Et Maria et lui quittent la colonne malgré les risques, avant de rencontrer les "libérateurs" russes. Après quelques bivouacs, arrive la fin, ou comment un homme et une femme se perdent... Pendant que François était parti "au ravitaillement", Maria s'est fait rafler par les Russes malgré ses protestations. Et jamais Cavanna n'est arrivé à la retrouver, ni avant ni après son propre retour en France, dit le livre publié en 1979. Alors même que d'autres ont réussi à préserver leur "couple de guerre": qui a ramené "sa" Russkoff" (p.303: évasion, engagement dans la 2e DB, pour revenir en Allemagne chercher sa Klavdia), qui sa jeune Berlinoise brune (Ursula, p.308), qui envisageait de rester sur place (600 hectares de terre et la veuve allemande en prime, pour quelqu'un qui, au pays, ne possédait rien que ses deux bras, p.364). Le STO, finalement, ça aura donné les premières chansons de Brassens, mais aussi ces mémoires de Cavanna.

Pour les lecteurs et lectrices de 2023, je souhaite insister sur le fait qu'il ne s'agit pas là d'un roman, mais d'un témoignage de première main sur le quotidien vécu en particulier à deux et en général en groupe, dans un pays étranger où l'auteur n'est pas venu de son plein gré mais où il a vécu les horreurs de la guerre (y compris en assistant à des morts violentes).

J'ai trouvé peu de blogs en ayant parlé: Les plumes baroques (dernier billet en juillet 2020), Aspirant auteur (dernier billet en juin 2017). Je ne m'interdirai pas d'en rajouter "au fil de l'eau".

Et dans le numéro "centenaire" de Charlie que j'évoquais plus haut? En 16 pages, on trouve plus d'une douzaine de citations choisies par d'actuels rédacteurs ou dessinateurs (dont tous ne l'ont peut-être pas connu?), et quelques phrases à sa mémoire par rapport à Charlie dans la plupart des chroniques régulières. Jacques Littauer, notamment, évoquait Les Russkoffs (p.5). 

*** Je suis Charlie ***

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mardi 7 février 2023

Le droit d'emmerder Dieu - Richard Malka

J'aurais pu (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) écrire qu'on m'avait offert pour Noël 2022 ce livre, Le droit d'emmerder Dieu, de Richard Malka. Mais il vaut mieux conserver mon éthique et ne pas enjoliver la réalité: je me le suis simplement offert (à) moi-même mi-janvier. Mon exemplaire provient d'un nouveau tirage, daté décembre 2022, alors que la première édition du livre remonte à octobre 2021. 

Cet ouvrage correspond à la plaidoirie rédigée par Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, pour la fin du procès des attentats de janvier 2015, procès qui a eu lieu devant la cour d'assises spéciale de Paris du 20 septembre au 16 décembre 2020, pour juger 14 personnes accusées d'avoir été complices des trois attentats ayant causé 17 morts du 7 au 9 janvier 2015. 

P1150696Au début de ce petit livre (93 pages, rappel chronologique compris), l'avocat Richard Malka explique qu'il a l'habitude d'écrire ses plaidoiries. Le 4 décembre 2020, port du masque dans la salle d'audience et épuisement après trois mois d'une audience parsemée d'attentats et de morts l'ont amené à écourter, à l'oral. L'éditeur et l'auteur ont choisi de livrer ce texte dans sa version écrite, plus longue que celle effectivement prononcée.

p. 10: "le sens de ce procès, c'est aussi de démontrer que le droit prime sur la force. (...) Les attentats de Charlie et de l'Hyper Cacher ne sont pas seulement des crimes. Ils ont une signification, une portée politique, philosophique, métaphysique". Richard Malka explique que ce procès est l'occasion de parler, non seulement des accusés, mais aussi des idées que l'on a voulu assassiner et enterrer. Il souhaite parler pour répondre aux terroristes qui demandent que nous renoncions à nos libertés.

À partir de la page 21, le livre retrace la chronologie des événements qui se sont achevés par le massacre perpétré contre la rédaction le 7 janvier 2015, des années après l'affaire des caricatures de M*h*m*t. Il décortique scrupuleusement la chronologie (Danemark), avant même la publication en France par France Soir en janvier 2006. Il rappelle que ce sont des imams danois ("de la mouvance des frères musulmans essentiellement, avec quelques salafistes") qui ont constitué un dossier à destination du "monde arabe", et ont affabulé en rajoutant, aux caricatures effectivement publiées au Danemark puis en Egypte, deux dessins tirés d'un site suprémaciste de blancs américains, et une photo n'ayant aucun rapport avec l'islam: un masque de cochon, que nos imams ont légendé en prétendant que c'était ainsi que leur prophète était représenté en Occident! "Cette falsification a fait descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes qui n'ont pas vu les véritables caricatures publiées" (p.28).

L'avocat qu'est Richard Malka ne se prive bien entendu pas de quelques effets rhétoriques en fustigeant entre autres le Président turc: massacrer des milliers de musulmans, ce n'est pas islamophobe mais publier des dessins, ce serait islamophobe? "Et puis j'ai un scoop pour le président Erdogan puisqu'il reproche à Emmanuel Macron d'avoir permis la publication de Charlie Hebdo [qui le caricaturait en octobre 2020]: nous ne soumettons pas nos caricatures au président de la République avant publication. Et même s'il voulait les empêcher, il ne le pourrait pas et il ne trouverait pas un tribunal pour le suivre. Cela s'appelle la liberté de la presse et l'indépendance de la justice (...)".

L'auteur retrace également l'histoire du blasphème en France, en remontant jusqu'aux Encyclopédistes du XVIIIème siècle, alors que le pape a mis L'Encyclopédie à l'index pour hérésie. Il rappelle que la Révolution française a abouti entre autre à ce que soit supprimé du code pénal, en 1791, le délit de blasphème. En 1881, lors des débats pour la grande loi sur la presse de la Troisième république, quand il est question de l'offense à la religion, Clemenceau répond, à l'Assemblée, à l'évêque Angers invoquant la blessure des catholiques outragés: "Dieu se défendra bien lui-même, il n'a pas besoin pour cela de la Chambre des députés". Formule que Richard Malka met en parallèle avec celle du mufti de la mosquée de Marseille à propos des caricatures: "un musulman qui croit que Dieu n'est pas assez grand pour se défendre tout seul est un musulman qui doute de la toute-puissance divine et n'est pas un bon croyant". Conclusion: "ce n'est pas compliqué à comprendre. Dieu peut se défendre tout seul contre les pauvres mortels que nous sommes, ce n'est pas la peine de supprimer ses créatures" (p.42). Richard Malka plaide donc, en toute logique, contre tout renoncement de l'esprit critique, du droit de caricaturer... Ce serait renoncer à ce merveilleux droit d'emmerder Dieu. "Et ça, Cabu, tout gentil qu'il était, hé bien il ne pouvait pas" (p.44). Il faudrait citer l'intégralité du texte, qui a l'unité d'un discours... Lorsqu'il retrace l'histoire de Charlie Hebdo (première puis seconde série), avant puis après l'affaire des caricatures, Richard Malka insiste sur la dégradation de la situation de Charlie Hebdo entre 2006 et 2015, qui a inexorablement conduit à l'attentat, en fustigeant la responsabilité des intellectuels et des politiques, pour lesquels il faudrait, au contraire, renoncer à tout ce qui peut "faire des vagues".

Pour ma part, j'ai lu cet opuscule très vite, en à peine plus d'une heure. Je vous invite à vous en imprégner.

J'ai trouvé quelques blogs qui ont eu aussi le courage d'en parler, bien avant moi: Vagabondageautourdesoi, Sin City, Lintervalle. Chacun donne aussi un ou plusieurs autres liens.

Le droit d'emmerder Dieu a reçu le Prix du livre politique en 2022. P1010613 

Je n'ai toujours pas chroniqué le livre Janvier 2015 - Le procès de Yannick Haenel (texte) et François Boucq (dessin), ouvrage paru en janvier 2021 aux éditions Les échappée. Pour le compte de Charlie Hebdo, ils ont suivi au quotidien le procès (près de deux mois et demi), avec des chroniques publiées sur le site internet et dans l'hebdomadaire. J'en parlerai certainement un mois ou l'autre.

************** 

En utile complément contemporain, je souhaite citer la conclusion d'une interview de Riss dans le Journal du Dimanche (22/01/2023, p.23) à propos du soutien apporté par Charlie Hebdo, avec ses moyens que sont articles et caricatures, à la révolte des jeunes iraniens et iraniennes contre le théocrate qui verrouille tout le pouvoir politique de leur pays: "À Charlie, quand on choisit un dessin, il ne s'agit pas d'insulter ou d'injurier. Notre critère, c'est que ça fasse réfléchir les gens."

*** Je suis Charlie ***

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samedi 7 janvier 2023

Indélébiles - Luz

Alors que le massacre de l'équipe de Charlie Hebdo remonte aujourd'hui à huit ans, je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) choisis aujourd'hui de vous présenter comme "hommage du 7" un billet sur le livre de souvenirs que Luz a consacré à ses copains assassinés (parution en novembre 2018 chez Futuropolis). Je me le suis procuré courant 2022.

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Ça commence comme un rêve sinon comme un cauchemar: Luz, perdu dans le noir, arrive à la salle de rédaction pour un bouclage, mais personne ne voit qu'il est là, et Cabu, dernier à quitter la rédaction, l'y enferme en éteignant la lumière... Après cet épisode introductif, notre auteur réveillé se lève, va prendre une bière au frigo, la décapsule: occasion de commencer à se remémorer (sur plus de 300 pages) différentes séquences, des tranches de vie en noir & blanc. En tout premier lieu (p.15 à 26), comment il a rejoint les dessinateurs de La grosse Bertha, arrivant de sa province, à l'été 1991... un an avant le début de la re-fondation de Charlie Hebdo: l'histoire de sa rencontre avec Cabu qui sortait de l'imprimerie du Canard enchaîné lorsque lui s'y rendait, qu'il a osé abordé en bafouillant de nervosité et qui, ayant ri à son dessin d'actualité, l'emmène à La Grosse Bertha, l'introduit dans l'équipe, suggère de publier son dessin... Timidité du jeune provincial de pas même 20 ans! Il en conclut que, pour collaborer depuis chez lui, un fax lui est indispensable (pas d'internet à l'époque - j'ai connu). Des planche bleutées nous ramènent à la nuit d'insomnie, introduisant tels ou tels souvenirs et évocations... 

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L'un des premiers épisodes montre Charb en action, préparant des blagues pas forcément fines (mais parfois en flux circulaire). Le 21e anniversaire de Luz est fêté grâce à Charb (avec une semaine de retard) à la Rédaction de Charlie Hebdo en janvier 1993. Charb devenu un vrai copain "complice" via leur passion commune pour Les Simpson, à l'occasion d'un des Festivals "Scoop en Stock" de la presse lycéenne et étudiante à Poitiers en 1992 [je ne sais plus si c'était l'année où le petit canard dont je faisais partie à l'époque y a été primé dans la catégorie "journal étudiant", ou une autre...].

La séquence qui débute p. 44 montre la sortie des presses du premier numéro de Charlie, à l'imprimerie (après la scission d'avec La grosse Bertha). [Ces pages m'ont encore rappelé un épisode où toute notre rédaction, crevée par une nuit blanche de bouclage, attendait le retour de repas de notre imprimeur pour voir enfin nos exemplaires sortir à la chaîne (et chacun de se précipiter ensuite à la porte de la quinzaine de "centres périphériques" pour nos quatre facs afin d'y vendre à la criée le nouveau numéro...). Fin de cette seconde parenthèse personnelle].

Luz ne se prive pas de réflexions sur le travail du dessinateur. Sur huit pages, nous avons droit ensuite à une évocation de séance de gommage de crayonnés, sur table puis autour de la table... avec toute l'énergie rageuse de Riss (je crois?). Je ne sais pas si Luz possède effectivement des "chiures de gomme" pouvant être attribuées à chaque dessinateur selon sa méthode (comme évoqué p.60)...

L'ambiance dans la salle de rédaction, les "jours de bouclage", est mise en scène à de nombreuses reprises (avec l'indispensable Luce pour rappeler les délais à tenir), et montre bien l'engagement militant des dessinateurs-journalistes (à l'époque de la seconde cohabitation, notamment) en-dehors de leur salle de travail. On est plongé dans le bain d'une manif dans le contexte de l'époque, et un gnon qui vaut à Luz un point de suture sur le crâne (et une troisième mi-temps post-manif) refait surface. Dessinateur, c'est un métier!

Séquence pédagogique concernant l'académie de la grande Chaumière: Cabu y a emmené les "p'tits jeunes" (Charb, Riss, Luz) faire du dessin d'après modèle vivant... Je retrouve dans mon exemplaire une coupure d'un article paru dans Le Canard Enchaîné du 31/08/2022 (p.5): à ce moment-là, la Grande chaumière semblait sous la menace d'être expulsée de l'atelier où avaient lieu les séances depuis des décennies... Vérification faite ce jour, les activités continuent (même avec des horaires restreints pour raisons financières, depuis septembre 2022): https://www.academiegrandechaumiere.com/

Voici un exemple de séquence d'ambiance de rédac', ensuite (il faut lire chaque bulle, apprécier chaque détail et chacun des personnages croqués), qui commence par le dessin ci-dessous.

P1150624 p.95, une image magnifiquement construite, autour de la "figure tutélaire" (rayonnante?) de Cabu ("le mentor")... 

Vient ensuite un bel hommage à Gébé, accompagné en manif: est-ce une anecdote vécue, un souvenir de discussions qui ont réellement eu lieu, ou un regret de ne pas avoir assez parlé avec ce dessinateur et auteur complet de son vivant (il a été Directeur de la publication de Charlie jusqu'à sa mort en 2004)?

P1150623 L'auteur en lévitation après une couv' publiée et reprise par des manifestants... (p.118-119 - hommage à Gébé - "juste Gébé"). Les pages qui précèdent expliquent bien le processus contributif (itérations successives pour un dessin, sa légende, sa construction) qui pouvait régner au sein de la rédac'. Cette élaboration collective sera montrée à une autre occasion dans l'une des dernières séquences, lorsque Luz s'acharne à (re)travailler sa toute première couv'...

Mais il n'y avait pas seulement Charlie Hebdo dans la vie de dessinateur de Luz à l'époque. Il raconte ainsi une séance de dédicace à Angoulême pour un canard sans beaucoup de lecteurs (Chien méchant), où les dessinateurs boivent des coups en attendant le chaland, font passer de fausses annonces à la sono, et dessinent sans filtre... (à la plus ou moins grande satisfaction des dédicataires et de leurs "accompagnateurs"). On a droit plus loin à nn autre grand moment de dédicace, sur un support original, à la fête de l'Huma... 

Et puis retour au journal, pour de courtes évocations de séances de travail à la fois collectives et individuelles: chacun dans son dessin, mais en demandant parfois de l'aide pour croquer un personnage, pour trouver une photo sur laquelle s'appuyer (sans internet, encore)... séquences reliées les unes aux autres par ses réflexions nocturnes et colorées (les séquences, elles, sont en noir et blanc). "C'est vrai que, parfois, on était plus droles à faire le journal que dans le journal" (cf. dessin plus haut, de la p.142).

L'une des explications possibles du titre arrive peu avant la page 200: ayant pris de mauvaises habitudes en tenant feutre ou pinceau, Luz avait les doigts en permanence incrustés d'encre, ce qui n'était pas sans poser quelques soucis intimes... (séquence auto-dérisoire!).

Ma (courte) séquence préférée reste la série de réactions de Cabu devant la nouvelle photocopieuse (une jolie historiette, que j'avais découverte comme "bonnes feuilles" au moment de la sortie du bouquin, dans une publication de presse...).

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Côté avancées technologiques, on a aussi droit à l'arrivée de la "tablette graphique" utilisée par Tignous. Bah oui, mais si quelqu'un arrache le fil alors que le dessin n'était pas sauvegardé, il n'en reste rien... 

Luz nous partage encore ses souvenirs sur diverses aventures. Par exemple, en reportage dessiné lors d'une tournée musicale de Renaud et Val durant la guerre de Bosnie... On n'a pas envie d'être à sa place! La Bosnie, c'est compliqué. Chez les sado-masos (avec sa compagne), l'atmosphère est autre. En banlieue, c'est autre chose, un autre univers. Et son infiltration chez les Chiraquiens en 1995 a été l'occasion de tenter le "dessin dans la poche" dont Cabu maîtrisait la technique! Encore une séquence retraçant une visite à la prison d'Angola en Louisiane (lors d'un reportage avec Val, alors Directeur de la publication), qui enchaine sur l'art de dessiner pendant les concerts: cette fois-ci, c'est Luz qui (dé)montre une nouvelle technique à Cabu: la "perception rétinienne".

Finalement notre insomniaque se rendort (il est 4 h du matin), ...et une dernière séance en bichromie commence. C'est le jour de la mort de Johnny Hallyday. J'ai trouvé cette ultime séquence très belle. Elle est colorée avec discrétion. On y voit un bouclage à la rédaction, à l'occasion du décès de ce chanteur populaire en France (intervenu en décembre 2017...): tous les "anciens" croisés par Luz sont présents / se présentent pour l'occasion, notamment Cavanna, Gébé, Renaud bien sûr ("alors comme ça, on a éliminé la concurrence?")..., et cette fois-ci, contrairement au début du "roman autobiographique", ils lui parlent et entendent ses réponses (et ceux qui ne se sont jamais croisés en réalité interagissent aussi).    

P1150625 Une belle double-page colorée: le dialogue apaisé (p.302-303)

Et la couv' du numéro bouclé ce jour-là, bien sûr, c'est Cabu qui réussit à la dessiner (et tous de s'extasier). Je ne peux vous la montrer: il faut juste l'imaginer. Bel hommage.

Le 7 janvier 2015, Luz avait 43 ans. Du coup, il est arrivé en retard à la conférence de rédaction, ce qui lui a vraisemblablement sauvé la vie contrairement à tant de ses copains. Si vous songez toujours aux journalistes assassinés (au moins une fois par an, lorsque leurs proches pensent à eux tous les jours), si vous êtes toujours Charlie, alors lisez cet album.

Je suis certain d'avoir croisé ici ou là sur la blogosphère une chronique sur Indélébiles. Mais aujourd'hui, dans l'urgence, je n'ai pu en trouver que deux via moteur de recherche: The killer inside me et Collectif polar. Si je tombe directement sur d'autres par la suite, je les rajouterai en "post-scriptum".

 *** Je suis Charlie ***

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mercredi 7 décembre 2022

Charlie Hebdo, 1992-2015 - Charb

Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) ne vois aucune raison de m'énorgueillir pour le n-ième "hommage à Charlie Hebdo" que j'ai péniblement réussi à rédiger vaille que vaille. S'il y a a sujet à appréciation, c'est bien sur l'objet lui-même, une "somme" sobrement intitulée Charb, Charlie Hebdo 1992-2015

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Cette "compilation" en 333 pages est parue en novembre 2016. Je me suis acheté mon exemplaire en août 2019. Je me rappelle avoir remarqué en début d'année 2022, au moment où ce recueil constituait le cadeau offert aux nouveaux abonnés à Charlie Hebdo, que l'"offre [était] valable jusqu'au 31/01/2022"... y compris dans le N°1541 paru mercredi 2 février! Comme quoi il peut arriver qu'une publication prenne un certain retard. 

Le livre commence par trois pages de préface où Luz s'adresse au lecteur (il y précise bien que le livre ne couvre pas toute la production de Charb, mais seulement celle publiée dans Charlie). Les dessins sont classés par année (de 28 [en 1992!] à jusqu'à 60 dessins par année): je suppose qu'il s'agit plutôt d'un recueil exhaustif que d'une sélection? A l'époque où je l'avais acquis, j'avais moi-même consulté les deux premières années de Charlie Hebdo nouvelle série, et il me semble que la plupart des dessins aperçus au fil des pages du journal se retrouvent dans les années concernées du livre (à l'époque, j'avais fait en bibliothèque un relevé des dessins "intemporels" dont je pensais suggérer à Charlie la "repasse" à raison d'un par semaine pour les numéros de ce XXIe siècle, dans une rubrique dédiée). Charlie Hebdo "seconde série" a désormais plus de 30 ans, depuis cette "refondation" en juillet 1992 où Charb - entre autres jeunes dessinateurs - a rejoint les "historiques" de la 1ère série!

Pour en revenir au recueil, on y trouve jusqu'à 6 dessins par page (mais c'est rare), et au total plus de 1000 dessins (en faisant le total des 24 années, j'en ai compté exactement 1055 - avec les habituelles approximations de comptage, entre une double-page foisonnante et un minuscule crobard, qui comptent tous deux pour "1"...). Chaque année s'ouvre souvent sur une couverture de Charb emblématique de cette année-là. Bien entendu, les couv' figurent dans le recueil "Les 1000 Unes 1992-2011" qu'il faudra bien que je finisse par présenter un jour.

J'ai décidé de vous présenter en "citations" uniquement ma propre sélection parmi les dix premières années (1992-2001). Du coup, voilà une bonne raison pour (vous) offrir ce recueil, un beau cadeau pour garder la mémoire!

P1150570 p.10, l'un des tout premiers dessins, en 1992 (n'apparaît-il pas daté aujourd'hui?).

P1150572 p.55, dessin de 1995.

P1150571 p.22, reprise de la couv' du N°40 (31 mars 1993).

P1150573 p.48, dessin de 1995 (en 2022, il ne s'agit plus des mêmes personnes, mais...?).

P1150574 p.63, dessin de 1996 (encore un dessin intemporel?).

P1150575 p.67, dessin de 1996 (avant qu'on parle d'économie circulaire?).

P1150576 p.80, dessin de 1997.

P1150577 p.94, est-ce que la situation s'est améliorée depuis 1998? On pourra bientôt passer un coup de fil à la machine pour qu'elle se mette en marche - et, après-demain, pour qu'un drone nous fasse boire la tasse?

P1150578 p.102 (dessin de 1998, bien sûr...).

P1150579 p.114 (1999): COP, COP, COP... Cocorico?

P1150580 p.136 (dessin de 2000).

P1150581 p.136 encore (2000 toujours). Points de vue et images du grand monde. 

P1150582 p.145: nous y voilà bientôt (2001).

*****

P.S.: dans Charlie Hebdo N°1585 de ce mercredi 7 décembre 2022, je me trouve particulièrement en accord avec l'édito signé par Riss p. 3, titré "Conseil d'ami pour le XXIe siècle", qui commence par "Vivre sans électricité, c'est le défi de la semaine". Je vous cite encore une phrase (vers la fin de la colonne): "En réalité, notre niveau de consommation d'énergie n'a pas été conçu pour satisfaire nos besoins vitaux, mais ceux du marché, qui a besoin de millions de consommateurs pour exister." Vous pouvez lire le texte complet sur le site du journal.

*** Je suis Charlie ***

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lundi 7 novembre 2022

Bidoche - Fabrice Nicolino

Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) vous présente aujourd'hui un cinquième livre de Fabrice Nicolino, que j'ai acheté récemment. Bidoche est par contre un livre déjà ancien, mais il reste intéressant par l'éclairage qu'il donnait déjà, à l'époque, sur les filières industrielles de la viande et plus généralement de l'alimentation. Pour rappel, Fabrice Nicolino est l'un des survivants blessés de Charlie Hebdo, et le seul dont les membres inférieurs conservent les traces non pas d'un, mais de deux attentats. 

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Bidoche, éd. LLL (Les Liens qui Libèrent), 2009, 381 p.

Pour qui ne connaît pas le sujet (évoqué dans le bandeau rouge), ce titre constitue une bonne mise en bouche pour soulever le coeur du système de l'industrie agro-alimentaire en France depuis l'après-Seconde Guerre Mondiale et le mettre au jour. Au long du livre, Nicolino raconte, rencontre, rend compte, révèle, dévoile, explique... 

L'auteur commence par préciser qu'il mange (encore) de la viande, mais de moins en moins: le livre explique pourquoi. Il commence par s'intéresser aux hommes, avant les animaux. Pour le dire vite, avec l'augmentation de la productivité agricole apparue dans les années de l'après-guerre, la France a cherché à ce que sa population toute entière ne se retrouve plus dans la situation de restrictions alimentaires qui était celle en vigueur sous l'Occupation. Pour cela, il fallait augmenter les rendements végétaux, et privilégier des "races" animales plus productives (des animaux à viande qui engraissent plus vite, qui ont des muscles plus volumineux; des femelles laitières inséminées artificiellement à partir de reproducteurs sélectionnés; des poules pondeuses "optimisées" pour cela - et différentes des poules "à viande")... Les sagas des différentes filières nous sont contées. Et puis, on voit, on comprend le basculement se faire à partir du moment où l'élevage ne vise plus seulement à d'apporter des produits animaux en "quantité suffisante" à la population française, mais lorsque un système "industriel" cherche à développer ses produits financiers (quitte à utiliser tous les moyens pour inciter le "consommateur" à consommer): on est passé de la production d'aliments "pour vivre" à la recherche de parts de marché pour gagner encore davantage d'argent en diminuant autant que possible les coûts de production. Bref, le système capitaliste, dans toute son horreur. Pour obtenir les "rendements maximaux" de ces "usines à viande" (ou à oeufs, ou à lait...) standardisées (au détriment de la diversité des anciennes "races locales" de terroir), la "ration" doit être optimisée en terme de coût et de profitabilité (prise de poids par l'animal). Aliments miracles (au détriment des vieux pâturages...): le maïs (qui peut être produit en France... mais est extrèmement gourmand en eau), et surtout le soja, importé massivement d'Amérique du Sud (au détriment des forêts primaires et des populations locales). La Bretagne a été choisie pour y développer en masse la production porcine: on en constate depuis déjà quelques décennies les résutats environnementaux (pollution des eaux potables et algues vertes sur les plages).

Beaucoup de thèmes s'entrecroisent dans ce livre cohérent: au départ, la volonté politique de transformer la paysannerie traditionnelle, ventilée à l'époque en trois catégories: ceux qui devraient disparaître (inadaptés et inadaptables); ceux qui étaient considérés comme les "premiers de cordée" de ce temps-là, capable d'atteindre la masse critique visée en supportant les investissements nécessaires; et ceux qui devaient bénéficier d'un "accompagnement" vigilant de la part des pouvoirs publics ou... para-publics. Puis les moyens pour ce faire: imitation de ce qui se pratiquait déjà aux Etats-Unis, en terme de passage à une industrie de plus en plus soutenue par la chimie (engrais pour les plantes, et pratiquement pour les bêtes, traitées à coup d'antibiotiques, à défaut d'hormones comme nos "concurrents" des Etats-Unis). Tout au long de l'ouvrage, notre journaliste cite des noms, donne des détails, le tout non sans l'ironie caustique qui fait partie de son style. Les collusions incestueuses entre chercheurs et laboratoires, députés soutenant telle ou telle filière à coup d'amendement plus ou moins téléguidé, lobbyistes orchestrant l'organisation de colloques, campagnes de presse coordonnées, éléments de langages cités en boucle... sont explicités. Un certain "comité Noé", cercle informel dont la liste des membres n'est pas "publique", a été mis en place pour contrer tout discours susceptible de mettre en péril les intérêts (financiers) de l'industrie agro-alimentaire. Il est clair que le consommateur final français (nous) est manipulé (puisque c'est pour notre santé, on vous dit!).

Après vous avoir exposé ce que j'ai personnellement retenu du livre, je vais en profiter pour dire quelques mots à propos des "vegans", idéologie à la mode en 2022, en pointe sur ce qu'ils appellent "antispécisme". Bidoche, en 2009, ne mentionne pas le terme de vegans sauf erreur de ma part. Le terme (la marque...) a connu une éclosion médiatique plus tardive en France. A l'époque, L214, aujourd'hui célèbre pour ses vidéos filmées clandestinement dans des abattoirs, s'occupait surtout du gavage des oies et canards pour produire du foie gras (évoqué dans Bidoche). Aujourd'hui, L214 interroge plus généralement sur la légitimité de tuer les animaux "sans nécessité", et j'ai bien l'impression que vouloir les manger (et/ou/puis se vêtir grâce aux produits qu'ils nous fournissent, entre mille et un motifs d'"élever" les animaux) ne sera jamais, à leurs yeux, une raison légitime... Pour ce qui concerne les "visées ultimes" et les conséquences finales de cette action quand elle aura été poussée à son terme, je préconise la lecture de La cause vegane, un nouvel intégrisme?, de Frédéric Denhez, dont la lecture m'avait personnellement intéressé (même si, je l'avoue, je n'ai pas enquêté pour savoir par qui ou par quels intérêts il était soutenu ou financé).

J'ai pris par contre la peine de vérifier la position de Fabrice Nicolino sur les vegans. Sans prétendre être exhaustif, je citerai un article (paru dans Charlie Hebdo N°1394 du 10/04/2019) concernant une action de L214 contre le sort fait aux 1000 milliards de poissons tués dans le monde chaque année pour notre alimentation, qui contient les phrases suivantes: "Je ne suis pas vegan et ne compte pas le devenir. J’ai ferraillé contre ce mouvement, et je recommencerai, mais dans l’amitié qui me lie aux deux fondateurs de L214, Brigitte ­Gothière et Sébastien Arsac." Dans CH N°1355 du 11/07/2018, il mettait en garde contre les excès possibles.

Evidemment, pour une raison d'âge (le mien, et le sien), je fais bien plus confiance à la qualité des informations de Fabrice Nicolino qu'à celles d'un quelconque freluquet de 20 ans militant de fraîche date chez telle ou telle association, ou même qu'à un journaliste ou un diplômé Master 2 de ceci ou de cela (de moins de 25 ans) frais émoulu de l'Ecole de journalisme, de la Fac ou d'un Grande Ecole quelle qu'elle soit. Ces "jeunes" parfois excessifs, à mon avis, n'ont pas eu le temps d'acquérir l'épaisseur et la largeur d'esprit qu'amènent les années et - désolé du gros mot - les expériences successives non moins que partagées.

*** Je suis Charlie ***

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vendredi 7 octobre 2022

La rafle du Vel d'Hiv - Cabu

Le sujet de l'"hommage du 7" que je (ta d loi du cine, squatter" chez dasola) vous livre ce mois-ci présente un lien indirect avec l'actualité. Dasola m'a offert à sa sortie le beau livre ci-dessous. Il s'agit du catalogue d'une exposition qui remet au jour une quinzaine de dessins de Cabu réalisé dans les années 1960. L'ouvrage, paru chez Taillandier, peut bien sûr se lire tout à fait indépendamment de l'exposition. Pour ma part, j'ai été visiter celle-ci il y a déjà plusieurs semaines (les photos y sont interdites). 

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Taillandier, DL juin 2022, dessins Cabu © V. Cabut, 56 pages.

Depuis le 1er juillet 2022 et jusqu'au 7 novembre 2022, une exposition commémorant le 70e anniversaire de la Rafle du Vel' d'Hiv et présentant des dessins de Cabu est donc en cours au Mémorial de la Shoah à Paris (au 3ème étage, "entrée libre" - gratuite). 

Comme l'explique l'introduction du livre ci-dessus, en avril 1967, le magazine Le nouveau candide publie les "bonnes feuilles" d'un livre à paraître chez Robert Laffont, La grande rafle du Vel' d'Hiv (de Claude Lévy et Paul Tillard). Fondé en 1961, le magazine est un journal de droite (gaulliste), qui cherche à contrebalancer l'influence de L'Express alors positionné au centre-gauche. Le nouveau Candide cessera sa parution en décembre 1967. Pour le moment, le magazine commande une quinzaine de dessins d'illustration, pour les quatre numéros du journal concernés, à un dessinateur de 29 ans: Cabu (qui collaborait déjà au journal depuis 1964). Mais on n'est pas chez Hara Kiri: les couvertures du Nouveau Candide ne sont pas dessinées, en tout cas pas celles ci-dessous qui annoncent la parution de notre "feuilleton" (pp. 12-13 du catalogue). 

P1150504En 1967, la rafle du Vel' d'Hiv a été oubliée du fait des années passées sinon de par l'historiographie officielle. Alors que la police parisienne a été glorifiée pour sa contribution à la Libération de Paris en août 1944, il n'était pas simple de rappeler sa participation vingt-cinq mois auparavant à une rafle visant à livrer à l'occupant allemand des juifs étrangers, pour un voyage que l'on sait aujourd'hui sans retour pour une immense majorité. Sur les quelque 13 152 personnes (dont 4115 enfants) victimes de la rafle parisienne les 16 et 17 juillet 1942, une centaine d'adultes ont survécu et sont revenus des camps nazis. Rares sont les enfants (des adolescents, en général) qui avaient pu échapper, avant d'arriver à la destination finale, au sort qui leur était réservé. 

Je me suis rendu le mois dernier (jeudi 8 septembre) à l'exposition, après ma journée de travail. J'avais noté que, ce soir-là, Riss et Jean-Luc Porquet, entre autres, devaient apporter au cours d'une conférence des éclairages sur le travail de Cabu. Mais, ne m'étant pas inscrit à l'avance, je ne pensais pas pouvoir y assister (l'événement annonçait déjà "complet" bien avant mon arrivée). Au 3ème étage, au centre de la pièce consacrée aux dessins de Cabu, les originaux sont exposés dans des vitrines horizontales. Sur les murs s'étalent diverses reproductions de différents formats, accompagnés de textes explicatifs. Près de l'entrée, d'autres vitrines montrent des documents, courriers, photos, tapuscrits, différentes publications... (je reparlerai de l'une d'elles ci-dessous). Mais surtout, à mon arrivée, une visite guidée était en cours, et j'ai tendu l'oreille. Je ne m'étendrai pas sur un incident suscité par un individu qui a interpellé notre guide à la fin de son exposé, en arguant qu'il n'y avait pas lieu de "faire de l'humour" avec un événement tragique comme la rafle du Vél' d'Hiv'. Mon interprétation personnelle est que ce monsieur visait avant tout la reprise, par Cabu, de trois de ses dessins de 1967 dans un "remontage" publié en 1971 dans Charlie Hebdo pour attaquer une chanson trop patriotique (voir ci-dessous). Mais il n'a pas su le "verbaliser" et a refusé le dialogue avec le personnel du Mémorial. Ci-dessous, trois des dessins présentés par l'exposition (on peut y voir les originaux). 

P1150506p.50, je cite l'ensemble de la légende: "reprise par Cabu de trois de ses dessins de 1967 pour une double page de Charlie Hebdo (26 avril 1971)". Et p.48: "(...) Le tout est illustré par des extraits de la chanson de Philippe Clay, "Mes universités" (Polydor), dans un jeu de contraste entre les images terribles d'arrestation, d'internement, de déportation, et les paroles complaisantes du chanteur (...)". La chanson est clairement anti-mai-68.

P1150505 p.32-33, l'un des dessins repris ci-dessus.

 

 

P1150483 p.39: un dessin annoncé dans le catalogue comme "inédit", représentant la fuite d'une femme qui s'échappe du Vél' d'Hiv . Celle qui a inspiré le dessin retrouvera par miracle sa fille, poussée aussi vers l'évasion vingt minutes plus tôt). Leur fuite dans le métro est le sujet d'un autre dessin, publié, lui.

A l'issue de la visite guidée et de l'incident relaté ci-dessus, il a été proposé au groupe du 3ème étage de pouvoir assister à la fin de la conférence, sous condition de disposer d'une pièce d'identité à présenter au personnel de sécurité à l'entrée de l'auditorium (où quelques places au fond avaient été pré-réservées). J'ai aussi pu m'y joindre, prendre quelques notes sur ce qui était dit par les différents intervenants (je n'ai bien entendu pas pu tout noter!), et même, à la fin, prendre le micro pour poser deux questions. J'espère ne pas avoir fait d'erreurs dans ma prise de notes! Selon elles, à la tribune se trouvaient Jean-Luc Porquet et Riss, ainsi que deux autres personnes. Laurent Joly, qui a écrit les textes de présentation, n'avait pu être présent ce soir-là. Je n'ai pas bien compris si Véronique Cabut était dans la salle ou non, elle n'était pas à la tribune. Son témoignage rapporte en tout cas que Cabu n'en revenait pas que les gens ne connaissent pas la Rafle du Vél' d'Hiv". Lui-même, lorsqu'il préparait ses illustrations en 1967, en a fait des cauchemars. Jean-Luc Porquet a précisé que Cabu avait été sensibilisé, vers l'âge de 12-13 ans, par un aumonier, l'abbé Grazer (?), qui avait été déporté. Il a amené ses jeunes ouailles visiter le camp de Struthof. Cabu ne l'a jamais oublié. En outre, il était ami avec le secrétaire de l'association des anciens de Dachau. Cabu avait en général la mémoire historique (par exemple, il connaissait le CV des personnages politiques de la Ve République). A Riss, il a été demandé quelles sont les règles du dessin de presse par rapport à l'Histoire? Réponse: un dessin doit toujours vouloir dire quelque chose, ou attirer l'attention sur quelque chose. On peut faire de l'humour, mais pas faire des mensonges ou raconter n'importe quoi. Surtout, ne pas transmettre des choses mensongères et fausses. Le dessinateur de presse doit en permanence se demander comment les gens vont interpréter ce qu'il dessine. Riss se demande si les dessinateurs ont encore les outils, face à la force des réseaux sociaux? Cabu disait: on doit "venger le lecteur" (lui apporter ce qu'il ne voit pas suffisamment). Dans son cas, la guerre d'Algérie a joué un rôle déterminant: ce qu'il y avait vu n'était pas "dit" en France. Ici, dans un dessin, on peut se demander si dessiner un gendarme en tenue d'été n'était pas une réminiscence, pour Cabu? Riss se demande si elle était inconsciente, involontaire, ou bien réfléchie?

A ma question sur le fait que Cabu se soit représenté lui-même sur un dessin (petit garçon au visage rond, à la coupe au bol brune, à lunettes rondes, regardant le lecteur devant un gendarme, vers le centre du dessin pp.42-43...?), la réponse de la tribune est ferme: non. Riss rajoute que le lecteur ne doit pas "surinterpréter " un dessin. Et à ma deuxième question (sait-on pourquoi l'un des dessins est-il resté inédit - décision de Cabu ou du journal?), le "spécialiste" présent répond (confirme) que, non, on ne sait pas pourquoi. 

En conclusion, Jean-François Pitet, spécialiste de l'oeuvre de Cabu, analyse que ces dessins sur la rafle du Vél' d'Hiv' cumulent plusieurs techniques: rotring, plume travaillant à l'encre, lavis d'encre de chine, fusain, lame de rasoir (scarifications sur un fond noir). Les textes dans le livre sont un peu plus importants que les légendes de l'exposition, mais ils se répondent parfaitement.

P1150500C'est dans une des vitrines de l'exposition que j'ai vu un exemplaire de ce J'Ai Lu N°A195 ** (collection bleue "J'ai lu leur aventure"). Cela m'a rappelé que je le possédais moi-même (je n'ai pas la totalité des titres de cette collection, mais j'en ai accumulé un bon nombre au fil des décennies). Selon ce que j'avais noté à l'époque dans mon exemplaire, je me l'étais acheté (d'occasion, bien entendu) le jour où Maurice Papon était arrivé à Fresnes (23 octobre 1999) après son arrestation en Suisse deux jours avant. Je viens de finir de le relire (y compris la préface de Joseph Kessel). La grande rafle du Vél' d'Hiv est une litanie de cas individuels (dont les auteurs affirment que chacun s'appuie "soit sur un témoignage recueilli directement, soit sur un extrait de dossier officiel ou de livre déjà publié sur la question", à l'époque). Il vaut aussi témoignage en faveur de tous ceux (souvent anonymes) qui ont fait preuve de compassion et se sont efforcés, chacun à leur manière, de mettre des grains de sable dans le mécanisme mortel si bien huilé par Vichy et ses fonctionnaires zélés. Dans certaines pages du livre, on retrouve bien les "situations" qu'a illustrées Cabu.

Ci-après quelques liens vers d'autres blogs ayant parlé du livre de 2022. Le liste n'en est sans doute pas exhaustive, mais j'ai vraiment l'impression que les moteurs de recherche excluent volontairement les blogs de leurs résultats (sans doute est-ce en rapport avec le RGPD d'une part, et les sujets "sensibles" d'autre part - nous voilà "protégés" malgré nous!). J'ai tout de même déniché Henri GolantMatamoune, ou le blog Bonnes bobines

Sans oublier l'article de Riss paru dans Charlie Hebdo le 22 juin 2022 (N°1561).

Je peux aussi citer un album BD retraçant la rafle, que je ne connaissais pas, et dont j'ai trouvé trace chez Les Caphys.

Bien entendu, il existe d'innombrables dessins de Cabu bien antérieurs à ceux-ci. Un jour, il faudra que je présente le livre (que je possède depuis février 2015) Pas complètement BETE... mais pas encore MECHANT!

En tout cas, le présent billet, où je souhaitais aborder cinq sujets (la rafle de 1942, le livre de Claude Lévy et Paul Tillard et les dessins de Cabu de 1967, l'exposition et la conférence de 2022), est l'un des plus difficiles à écrire auxquels je me suis affronté depuis que je rédige cette rubrique. 

*** Je suis Charlie ***

mercredi 7 septembre 2022

Au diable vauvert - Maryse Wolinski

Ce mois-ci, dans le cadre de mes "hommages du 7", c'est un simple roman que je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) vais commenter. Mais bon, pas n'importe quel roman, puisqu'il s'agit du premier publié par Maryse Wolinski. Cela fait aujourd'hui presque un an que la veuve de Georges est décédée. J'ai trouvé ce livre d'occasion il y a quelques semaines, mais je vais ci-dessous me cantonner à une chronique littéraire "classique". 

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Le dessin de couverture, non signé, est bien sûr de Georges, pour l'édition en "poche" (J'ai lu N°2560, mars 1989) du 1er roman de Maryse (Flammarion, 1988, pour la 1ère édition). Mon exemplaire avait été acheté en octobre 1989 par son ou sa premier(e) propriétaire...

La première partie commence par l'exposition des personnages, autour de la famille Sainte-Lagüe, dans l'après-guerre de 1940-44. Ida se trouve être la mère de famille. Anna, sa fille, l'héroïne principale, a 5 ans au début du récit, lorsque naissent ses deux frères jumeaux Antoine et Amaury. Etienne Sainte-Lagüe, le père, représente une sorte de hobereau local. Parmi l'entourage de la famille, on trouve encore Clémence, la grosse cousine (secrètement amoureuse du père), Fernand, le fermier, et Raymond son fils, de 4 ans plus âgé qu'Anna, et enfin Estrella, la belle Andalouse, mère d'Inès (sa seconde fille), une des maîtresses d'Etienne, devenue fille-mère (de Violetta).

A l'occasion de la naissance des jumeaux, Etienne décide de racheter le château local (en ruine), Seyrac-de-Haut qui surplombe le village et la Baise, rivière capricieuse. Ah, et le Diable vauvert, me direz-vous? Il s'agit d'une bâtisse abandonnée dépendant du château, que découvre à 5 ans Anna lorsque la famille s'installe dans celui-ci. Et voilà le décor planté pour une tragédie clanique. A 10 ans, Anna ne supporte pas d'entendre dire que ce sont ses frères qui reprendront les vignes familiales (p.34). Anna a les mêmes yeux vairons que sa tante maternelle décédée. Sa seule amie est Elisa, le même âge qu'elle, fille d'une voisine. Dès ses 16 ans, pour sa part, Raymond a déjà tous les vices (il boit, notamment)... 

La deuxième partie, la plus longue, reprend l'histoire lorsque, à 22 ans, diplôme de l'Ecole d'agriculture de Bordeaux en poche (elle y a passé 3 ans en internat [?]), Anna revient sur le domaine (p.60). Elle doit épouser un étudiant en droit, Philippe, fils des plus importants viticulteurs de la région. Et, le lendemain de son retour, encore un drame: une sale affaire, dans laquelle les coupables seront finalement... ses frères. Verdict: cinq ans de prison, dont un avec sursis. Alors qu'Anna avait pris fait et cause pour la victime, ses beaux-parents potentiels, eux, conseillaient de "ne pas rompre la loi du silence" (p.116). 

Dans la troisième partie, quelques années plus tard, Anna a fini par épouser Jules, le maire dilettante, malgré ses quelques années de plus qu'elle, et a pris en main en son nom la coopératve viticole, les affaires de la commune... Mais survient la mort du père, avant celle du mari (un accident de voiture, avec le volant pris un peu trop imbibé...).

Maintenant que j'ai raconté une partie de l'histoire (qui s'étend sur plus de 200 pages, je le rappelle), quel est mon sentiment sur ce livre? Je dirai que sa lecture n'est pas forcément faite pour apaiser l'esprit. Bien sûr, ces histoires d'enfants et d'enfance ne comprennent ni vampires, ni zombies, ni magie, ni superpouvoirs ou technologies surpuissantes... Rien que du naturel! On n'est pas vraiment non plus dans de la "Chick Litt" (si ce n'est que l'héroïne dévoile au fil des ans des talents d'entrepreneuse et de politicienne). Mais les péripéties sont noires, ou plutôt sanglantes.

Quelles autres oeuvres puis-je évoquer sur le thème de l'enfant mal aimé par sa mère? Je pourrais l'inscrire dans la lignée d'autres livres que j'ai lus jadis: Poil de Carotte, de Jules Renard, Vipère au poing, d'Hervé Bazin. Dans Malevil de Robert Merle, le schéma initial est inversé: ce sont les deux soeurs qui sont préférées au garçon... Et n'oublions pas le sort pas très enviable des gamines campagnardes tel que dépeint par Colette dans Claudine à l'école (paru en 1900!).

Vu l'ancienneté du livre Au diable vauvert, en cherchant sur internet, j'ai seulement trouvé un article universitaire, datant de 2014, de Lori Saint-Martin, enseignante canadienne à l'Université du Québec à Montréal et spécialiste des études féministes en littérature. 

Le site personnel (officiel) de Maryse Wolinski est toujours en ligne (avec un nom de domaine personnalisé). Il n'a pas été mis à jour après son décès, je suppose qu'Elsa n'en a pas les codes (ou bien aura souhaité le conserver "tel quel"?). La fiche du roman Au diable vauvert y permet de se le procurer en ligne.

*** Je suis Charlie ***

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dimanche 7 août 2022

C'était Calais - Hors-série Charlie Hebdo, décembre 2016 / janvier 2017 - Coco & Foolz

Ce mois-ci, je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) vous présente dans le cadre de mes "hommages du 7" touchant Charlie Hebdo un "Hos-série" sans beaucoup de rapport avec l'actualité. 

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 C'était Calais, novembre 2016, 48 pages, 6 euros

Ce Hors-série fait partie d'un lot que j'ai acheté il y a quelques mois (fin 2021 / début 2022...), 5 ans après sa parution, donc. Au moment où la France est en vacances, je me suis dit que je pourrais rappeler a contrario que la vie dans un département au bord de la mer n'est pas charmante pour tous tout le temps.

P1150429L'édito signé Riss, p.3, explique ce reportage et ce "hors-série comme destinés à "prendre date". C'est au moment où il était question de démanteler la "jungle" de Calais que Coco et Foolz, deux des dessinateurs de Charlie Hebdo, ont effectué ce "reportage dessiné". Pour rappel, des migrants venus de nombreux pays, souvent de religion musulmane, toujours pauvres, et souvent en proie à la guerre civile, ne rêvent que de passer en Angleterre pour y trouver de meilleures conditions de vie que celles qu'ils peuvent espérer chez eux, et pouvoir, éventuellement, soutenir leur famille restée au pays, qui s'est souvent saignée aux quatre veines, pour les envoyer vers le mirage occidental - je résume. A part la page signée Riss, il n'y a rien d'autre à lire que les légendes des dessins (qui contextualisent), ou leurs "récitatifs"", qui donnent un peu plus de détails... Tout y est dit, si l'on prend la peine de lire chaque mot.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire au vu du titre, ce reportage ne couvre pas seulement Calais, mais aussi Grande-Synthe (dans le Nord). Au fil des pages, nos reporters dessinent des tentes, des cabanes, des migrants, des boutiques de bric et de broc, la gadoue, la police, les bulldozers qui "démantèlent", des bénévoles, des vigiles, des voisins... Il faut regarder chaque détail, lire chaque mot gardé pour la bonne bouche...

Nous n'avons que les seuls dessins, et aucun contexte sur le "comment" ou le "pourqoi"du reportage, pas "d'histoire": quelles ont été exactement les dates du reportage? Qui en a eu l'idée ou l'initiative? Pourquoi, comment, en fait? Je regrette donc un peu le manque (à mon avis) d'analyses, de QQQOCP,... et de solutions. Je suppose que c'est parce qu'il n'en existe aucune, absolument aucune. Les flux de ces "migrants" en transit ne tarissent pas. Six ou sept ans après, il y en a toujours qui cherchent à passer en Angleterre, malgré le "Brexit" et autres changements politico-sociologiques. Sur les embarcations de fortune fournies par les passeurs, certains se noient, dans l'indifférence générale. Et le "pire" est certainement devant nous en terme de nombre de personnes concernées.

De mon côté, je n'ai guère réussi à choisir de montrer d'autres dessins. C'est difficile de résumer une synthèse: on ne peut guère "comprimer" davantage, il faudrait faire des choix, je préfère suggérer à mes lecteurs intéressés par le sujet d'investir eux-mêmes dans l'acquisition de cet ouvrage. Ce que l'on peut trouver déprimant, c'est qu'il n'y a pas de perspective. Les migrants arrivent, seuls ou parfois en famille, traversent pour certains, cependant que bénévoles et associations, inlassablement, essaient d'alléger la misère et d'améliorer les conditions de vie, dans le provisoire et un perpétuel recommencement... tandis que les pouvoirs publics, eux, cherchent à rendre "la vie dure" à tous ces "indésirables" pour à la fois respecter les obligations internationales (vis-à-vis de l'Angleterre) et éviter un "appel d'air" craint comme la peste.

Pour qui prend la peine de "suivre" un peu ce sujet, ce HS qui date déjà d'il y a quelques années recoupe d'autres articles que la presse évoque de temps en temps, à l'occasion (quand elle n'a pas d'autres sujets à aborder...), sur le "business" que représente l'activité pour les réseaux de "passeurs" organisés en mafia. Souvent, à mon avis, ces articles paraissent dans une visée "utilitariste", sont destinés à mettre en évidence l'absence de moyens de tels ou tels intervenants, lorsqu'il s'agit de sanctuariser un budget, ou d'essayer d'obtenir davantage de moyens, au moment d'arbitrages budgétaires... 

Ce hors-série est toujours en vente (6 euros) sur la boutique, mais sans que sa fiche comporte davantage d'explications.

Pour ma part, j'avais déjà abordé ce thème quelques années avant (décembre 2014) en évoquant le livre La jungle, un reportage photo de Jérôme Erquer sur le même thème.

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Dasola m'a offert un album récemment sorti qui reprend une quinzaine de dessins de Cabu publiés dans Le nouveau Candide en 1967 pour illustrer des articles sur la rafle du Vel d'Hiv. J'en parlerai un prochain mois.

*** je suis Charlie *** 

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jeudi 7 juillet 2022

Keynes ou l'économiste citoyen - Bernard Maris

== À nos lecteurs
La mise en ligne du présent billet a été retardée par les "indisponibilités" à répétition de la plateforme Canalblog. Je ne vous cache pas que je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) ressens une intense frustration à l'idée de tous vos "commentaires" que vous n'avez pu déposer ces jours-ci lors d'une éventuelle tentative de passage sur le blog de dasola. Frustration d'autant plus intense que nous, blogueurs, n'y pouvons mais... alors que ne s'affiche même pas toujours le message fatidique disant: "Oups! Une erreur s'est produite. Nous en sommes avertis. Si le problème persiste, contactez notre support technique"... ==

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Bref. Depuis le 7 janvier 2015, cela fait bien le dixième livre de Bernard Maris que je chronique, dans le cadre de mes "hommages du sept". Dans celui-ci, Keynes ou l'économiste citoyen, Bernard Maris nous présentait l'un de "ses" trois grands économistes. Je cite (p.57): "S'il fallait choisir trois noms dans l'histoire de la pensée économique, indiscutablement, ce seraient Marx pour sa vision du processus d'accumulation et de crise, Walras pour avoir révélé les concepts d'interdépendance des actions et d'équilibre, Keynes pour avoir introduit le déséquilibre, la monnaie et le temps en économie (et leur corollaire: l'incertitude)."

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Presses de Sciences Po, coll. La bibliothèque du citoyen, 1999, 93 pages.

Il s'agit donc d'un livre court, mais dense. Bernard Maris commence par des éléments biographiques, pour expliquer le cheminement de Keynes (1883-1946) vers sa position de "maître à penser" (théoricien, mais aussi praticien) de l'économie telle que mise en action par le pouvoir politique (notamment pour résoudre la "crise de 1929"). Fils d'enseignants universitaires, il a d'abord été un élève brillant à Eton, puis à Cambridge où il a fréquenté un certain nombre de jeunes peintres ou écrivains (qui constitueront le "groupe de Bloomsbury"), avant d'avoir un coup de foudre, vers l'âge de 21 ans, pour une jeune discipline: l'économie.

John Maynard Keynes devient rédacteur en chef de The Economic Journal en 1911, et commence à publier différents ouvrages de théorie économique. En 1919, son pamphlet Les conséquences économiques de la paix, critique du traité de Versailles rédigée en moins de deux mois, lui valent renommée et aussi aisance financière. Les grands thèmes keynésiens sont déjà présents dans ce livre. Selon Maris, ce n'est qu'ensuite qu'il devient un théoricien dont on s'inspirera (publication de sa Théorie générale en 1936). Il est intéressant d'apprendre que Keynes revendiquait un droit pragmatique au changement: "quand les circonstances changent, je change mon point de vue" (citation p.59). Au final, Keynes avait compris que le "doux commerce" et l'enrichissement mutuel apportent la paix aux nations, cependant que la concurrence sauvage (le libéralisme...) apporte la guerre, et il était donc partisan d'une régulation de l'économie. Concernant sa place dans la "vie de la cité", Maris nous signale la "défaite" qu'ont constitué les accords de Bretton Woods où, à la solution que Keynes préconisait (un système monéraire mondial basé sur une monnaie non-nationale, le "bancor") a été préférée la solution proposée par l'Américain White, à savoir l'utilisation du dollar (en principe rattaché à l'or) comme étalon international. Keynes est mort peu après. Il est bon de savoir que notre Pierre Mendes France national (né en 1907) avait lié amitié -professionnelle- avec Keynes à cette conférence de Bretton Woods. 

Le livre est divisé en 5 chapitres et 25 sous-chapitres (inégalement répartis). Je n'ai pas pris la peine de tout retenir (voire de tout comprendre) dans ce livre (après tout, un 07 à l'écrit dans la spécialité "Sciences économiques et sociales" m'a largement suffi pour obtenir mon Bac de cette année 2022). En le lisant, j'ai eu par moments le sentiment que, tout en nous présentant sa vision de Keynes (personnalité complexe), Bernard Maris y mêlait ses propres "dadas" (la place de la psychologie humaine, sinon de la psychanalyse, dans les décisions prises par les acteurs économiques et leurs conséquences). Bernard Maris n'était pas pour rien un économiste hétérodoxe. La conclusion du livre laisse à penser que Keynes aurait pu inspirer ce que les économistes "sérieux" qualifient d'"utopie".

Je vous mets la fin d'une citation, faite par Maris, de l'essai rédigé par Keynes sur son maître Marshall (ça va, vous suivez?): "(...) le maître en économie doit posséder une rare combinaison de dons... Il doit être mathématicien, historien, homme d'Etat, philosophe à un certain niveau. Il doit comprendre les symboles et parler en mots. Il doit observer le particulier en termes généraux et toucher l'abstrait et le concret du même élan de la pensée. Il doit étudier le présent à la lumière du passé et à l'usage de l'avenir" (p.83). Et encore une autre, sous forme d'une boutade pour supprimer le chômage par le crédit et l'investissement: "si le Trésor était disposé à emplir de billets de banque de vieilles bouteilles, à les enfouir à des profondeurs convenables dans des mines désaffectées qui seraient ensuite comblées avec des détritus urbains, et à autoriser ls entreprises privées à extraire de nouveau les billets selon les principes éprouvés du laisser-faire [...] le chômage pourrait disparaître [...]. À vrai dire, il serait plus censé (sic!) de construire des maisons ou quelque chose de semblable, mais, si des difficultés politiques et pratiques s'y opposent, le moyen précédent vaut mieux que rien" (p.75). Si j'ai bien compris, la monnaie doit être employée, circuler, et non être stockée et stérilisée...

J'ignore par combien de mains l'exemplaire que je possède est passé. Le même jour, j'ai acheté (d'occasion aussi) d'autres bons titres, épaves manifestes d'une bibliothèque d'intellectuel... ou de journaliste (Arnaud Spire, qui était-ce?). En tout cas, je vous invite à lire ce court essai, écrit d'une plume brillante.

Pour finir, voici quelques liens vers des blogs ayant jadis mentionné ce livre: Bernard Ligot (dernier billet en 2007), Le blog du Shadokk (dernier billet en 2008). On en trouve aussi des citations sur divers blogs spécialisés en économie, dans des hommages très érudits rendus à Bernard Maris après janvier 2015...

Lors de mes recherches, en rebondissant sur d'autres liens, j'ai fini par tomber sur un documentaire sur Bernard Maris diffusé (le 3 janvier 2016) sur Public Sénat (une cinquantaine de minutes, un peu moins d'un an après son assassinat). Vers la 18e minute, Philippe Val (ancien dirigeant de Charlie) évoque l'origine du pseudonyme d'Oncle Bernard sous lequel Bernard Maris rédigeait ses articles. Keynes est cité peu avant la dernière minute. 

Coïncidences: hier mercredi 6 juillet 2022, Jacques Littauer, qui rédige désormais les rubriques "économiques" dans Charlie Hebdo, y citait aussi Keynes, à propos des prix de l'énergie qui devraient inciter aux économies d'énergie: "(...) les prix ne peuvent pas tout. Ou, plus exactement, comme le savent les économistes keynésiens ou marxistes, le libre ajustement entre l'offre et la demande peut conduire à des situations très douloureuses". Ce même jour, Charlie a entamé la publication d'une rubrique "Un été avec Honoré", dont le dessin ci-dessous met en scène Keynes (et Marx).

P1150341 
Charlie Hebdo N°1563 du 06/07/2022 (p. 8-9).

Ça me rappelle qu'il y a trois ans, j'avais eu le culot d'écrire à Riss pour lui proposer une rubrique hebdomadaire, consistant en la "repasse" commentée du dessin d'un des "anciens" dessinateurs de Charlie Hebdo, y ayant déjà été publié dans l'une ou l'autre série du journal, mais mis en lien (anachronique) avec l'actualité de la semaine courante... Je n'ai jamais eu de réponse. 

*** Je suis Charlie ***

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samedi 18 juin 2022

Jean-Louis Trintignant (12 novembre 1930 - 17 juin 2022)

Je viens d'apprendre avec une grande tristesse le dècès de Jean-Louis Trintignant, l'un des derniers géants du cinéma français. C'était un acteur discret avec une voix reconnaissable entre toutes. Je n'ai pas eu le bonheur de le voir sur scène et je le regrette. Il semble qu'il a tourné presque 120 films. Je ne les connais pas tous, en particulier Z que je n'ai jamais vu (mais je vais me rattraper). Il a interprété des premiers et seconds rôles toujours avec talent.

Je retiens parmi sa très longue filmographie Et Dieu créa la femme de Roger Vadim, Eté violent de Valerio Zurlini, Ma nuit chez Maud d'Eric Rohmer, Un homme et une femme de Claude Lelouch, Le conformiste de Bernardo Bertolucci, Le désert des Tartares de Valerio Zurlini, Le train de Pierre Granier-Deferre, Eaux profondes de Michel Deville, Le bon plaisir de Francis Girod, Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard, Ceux qui m'aiment prendront le train de Patrice Chéreau et Amour de Michael Haneke. 

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