Arcachon, le long exil des marins sénégalais - Coline Renault (texte) & Riss (dessins)
Il est rare que je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) consacre un billet à un article paru dans Charlie Hebdo, mais il y a eu au moins un précédent, lorsque j'avais présenté le témoignage du webmestre de Charlie blessé lors de l'attentat, "Se réveiller dans un sarcophage". Cette fois-ci, mon intérêt a été attiré par la double-page centrale (rubrique "Charlie reporter") consacrée à une communauté dont j'ignorais l'existence, celle des marins-pêcheurs sénégalais qui travaillent dans le Bassin d'Arcachon (Gironde, 33).
Le "E" du mot "Exil" au centre de la page a été un peu trop "étroitisé" à l'impression.
C'est dans le numéro 1650 daté du 06/03/2024 que j'ai pu lire un article qui commence par l'histoire dramatique d'un naufrage, celui d'un petit bateau de pêche, survenu fin décembre 2023. Si le capitaine a survécu, les deux matelots, tous deux sénégalais, se sont noyés. Puis l'article déroule l'histoire de ces marins-pêcheurs originaires du Sénégal et qui se retrouvent à travailler dans ce port de pêche. A partir des années 1970, des marins sénégalais sont venus renforcer les équipages d'armateurs arcachonnais dont les navires et leurs capitaines avaient connu ces marins lorsqu'ils pêchaient, quelques années auparavant, au large du Sénégal. Des marins efficaces, ne rechignant pas à la besogne, ne buvant pas puisque musulmans... La journaliste cite dans son article de nombreux témoignages de ces marins africains venus travailler sur des navires de pêche sur la côte atlantique française. La raison de leur venue? L'argent! Gagner davantage qu'au Sénégal, et y envoyer la plus grande partie de l'argent gagné. Les plus âgés de ces marins sont désormais à la retraite, mais pas encore tous repartis rejoindre femme et enfants restés au pays.
Car l'article évoque aussi, à Arcachon, des univers qui ne se côtoient que de loin, si ce n'est à l'occasion des catastrophes, comme lorsque la presse locale voire nationale avait parlé de la perte du Cynos (le "fileyeur" cité ci-dessus), et de la mort de ses deux matelots sénégalais. Le métier de la mer est dur et reste périlleux. J'ai appris que le Banc d'Arguin n'existe pas seulement au large de la Mauritanie (là où s'est échouée La Méduse), mais qu'un autre borde aussi le dangereux goulet permettant de sortir du Bassin d'Arcachon vers la pleine mer.
Après la lecture de ce reportage dont le sujet m'avait intéressé, j'ai cherché à en apprendre davantage. Pour aller plus loin, on peut découvrir un documentaire de près de 25 minutes titré Les immigrés de l’océan, France 3 Ouest, 2006, accessible depuis 2017 sur Y**t*b*. Si j'ai bien compris, les images en ont été réalisées par Philippe Lespinasse (déjà auteur en 1999 d’un documentaire de 41 minutes sur les passes du bassin d’Arcachon), produit et co-distribué par la société Grand angle productions, créée en 1997 et établie en Gironde, qui revendique de "privilégi[er] une implication forte sur les thématiques Histoire, Société, Mer & Découverte".
Dans ce documentaire, j'ai trouvé entre autres intéressant le moment où un des Sénégalais témoigne, tout en tenant la barre d'un chalutier, qu'il a préparé les certificats pour devenir patron de pêche (si j'ai bien compris), mais s'est heurté au "plafond de verre" quand on lui a fait comprendre que, diplômé ou non, il ne pourrait jamais commander son propre navire à Arcachon faute d'être de nationalité française (ou du moins européenne, je suppose?). D'où une certaine frustration (même s'il a du mal à mettre les mots sur ce qu'il ressent). Un Européen y témoigne aussi de l'adaptabilité de ces marins, qui viennent de la pêche sur pirogue: en deux semaines, il apprennent à travailler au filet, à entretenir ceux-ci (épissures...). Y sont aussi interviewés tels ou tels de ces Sénégalais qui, visiblement, ne souhaitaient pas devenir pêcheurs comme leur entourage, mais qui ont bien dû constater que ce dur métier pratiqué comme "expatrié" était rémunérateur, tandis que leurs diplômes locaux ne leur donnaient pas accès à un métier permettant de gagner de quoi vivre au Sénégal. Quelques chiffres: en 2006, un mois avec de bonnes "marées" pouvait rapporter entre 2500 et 2800 euros en France. Déduction faite du loyer et des dépenses indispensable en France, cela permettait d'envoyer quelque 1400 euros au Sénégal, de quoi y faire vivre une famille (au sens large: ascendants et collatéraux compris) de quelque 20 personnes!
Enfin, je signalerai l'existence d'un polar local (que je n’ai pas lu): Le bassin broie du noir, Fabrice Duffour, Latitude Sud, 2020 (1).
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En plus de mon "hommage du 7", faire connaître ici cet article m'a permis de présenter aussi bien un "métier" qu'une aventure maritime (et de participer ainsi aux deux "challenges bloguesques" dont j'ai mis les logos, chez Fanja pour l'un et chez Ingannmic pour l'autre).
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Les internautes qui ne se sont jamais encore connecté sur le site de Charlie devraient pouvoir y lire l'intégralité du texte.
Edit du 10/04/2024: je viens de voir que depuis hier, en raison de modifications apportées par les récentes tempêtes, il y a des restrictions (interdictions) pour les entrées et sorties du Bassin d'Arcachon, essentiellement pour les navires de plaisance. Pour les professionnels, des conditions en terme de possession de brevet (STCW...) sont posées.
(1) Edit du 07/06/2024: Thaïs a lu et chroniqué (le 31 mai) Le bassin broie du noir.
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