Les Rougon-Macquart (Pléiade, tome I) - Emile Zola
J'ai (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) jeté un oeil sur une édition "Pléiade" du cycle romanesque Les Rougon-Macquart d'Emile Zola, qui appartient par héritage à dasola (5 volumes), notamment sur la préface et les deux versions d'arbre généalogique (1878 et 1893). J'avoue que ma (re)lecture en cours des 20 titres s'effectue sur mes propres éditions "poche" acquises dans les années 1979-1980 (second cycle du secondaire puis classes prépas) (2).
Emile Zola, Les Rougon-Macquart, tome I, La Pléiade (copyright 1960, DL 1er trim. 1980): La fortune des Rougon / La curée / Le ventre de Paris / La conquête de Plassans / La faute de l'abbé Mouret (1720 pages)
Comme dit plus haut, j'ai opté pour une lecture "mixte": à la maison (chez dasola), j'ai découvert l'introduction et les commentaires d'Armand Lanoux dans le volume de la Pléiade; mais pour mes trajets quotidiens en métro, j'ai relu un par un mes vieux tomes en "poche". Et je dois signaler que c'est "un copain de trente ans" qui m'a donné l'idée (par l'exemple) de me plonger dans ces relectures: sachant que j'en possédais des éditions "poche", il me les a empruntées par lots de deux ou trois... mais je pense que je ne tarderai plus guère à le rattraper là où il a fait une pause! Pour ma part, cela m'a fait plaisir de me replonger dans ma vieille collection. C'est vrai que, si je me l'étais constituée moi-même au lieu de me la faire offrir tome par tome, j'aurais sans doute pris les 20 dans la même édition, la plus ancienne des deux représentées ici, celle avec les bandes horizontales de couleurs...
Pour nous qui connaissons les suites de l'histoire, Zola a clairement bien choisi son moment pour rédiger et faire publier ce premier roman des Rougon-Macquart, La fortune des Rougon. Quand il contacte un éditeur, sa série de romans sur une famille ne prévoit encore que dix titres, qui passeront vite à douze pour finir à vingt, plus de deux décennies plus tard. Pour le moment (1870), c'est dans le journal Le siècle que commence la parution en feuilleton de cet ouvrage, avant que la publication soit interrompue, fin juillet, par la guerre franco-prussienne (déclarée par la France de Napoléon III au roi de Prusse Guillaume Ier). Le roman avait sans doute été rédigé principalement dans le second semestre 1869 (entre juin et décembre). Il pose les bases de tout le reste du cycle.
Ce premier volume, construit en "analepses" (1) (comme je l'ai découvert chez DonaSwann), nous présente la famille "recomposée" par la matriarche Adélaïde Fouque (qui survivra, centenaire, jusqu'au vingtième et dernier volume!): elle représente la première génération d'une famille dont les plus jeunes enfants qui seront évoqués constitueront jusqu'à la cinquième génération. Orpheline sauvageonne, Adélaïde a épousé son garçon jardinier, un certain Rougon. Après la mort de celui-ci, elle se mettra en ménage avec un certain Macquart, contrebandier. Analepse oblige (1), cela ne nous est dévoilé qu'au fil des pages. Quand le roman commence, nous sommes aux premiers jours de décembre 1851. Les Républicains des environs de la ville provençale (fictive) de Plassans se mobilisent contre le "coup d'Etat" de Louis-Napoléon Bonaparte à Paris. Parmi eux, le jeune Sylvère (arrière-petit-fils d'Adélaïde, qui vit chez elle et s'en occupe), dont nous découvrons les amours juvéniles avec la jeune Miette (13 ans), qui va devenir porte-drapeau pour la colonne républicaine. Mais, après avoir traversé Plassans où elle a terrorisé les bourgeois et amené un des fils d'Adélaïde (côté Macquart) à s'installer à l'hôtel de Ville, la colonne républicaine rencontrera les soldats du parti de l'Ordre... L'agitation révolutionnaire aura surtout servi au plus opportuniste des deux frères (le légitime, celui qui porte le nom de Rougon, Pierre) à apparaître comme le "sauveur" de la ville de Plassans (du moins, c'est ce qu'on pourra lire dans les journaux et qui fera foi - pas de réseaux sociaux "instantanés", à l'époque!), avec la complicité mi-forcée mi-intéressée de son demi-frère Antoine Macquart, et au prix de quelques morts... Peu cher payé pour l'ascension sociale d'une famille (les Rougon, qui ont végété sous la Restauration puis sous la Monarchie de juillet, y apparaissent comme les plus assoiffés de pouvoir, de prestige et de réussite sociale) alors que s'annonce le Second Empire (qui sera proclamé un an plus tard). D'autres analepses (1) nous avaient présenté les différents rameaux de la famille (troisième génération). Il semble que Zola ait rajouté quelques membres de la famille en cours de route et au fil des rééditions.
Mon exemplaire, imprimé au 1er trim. 1979, comporte 435 pages.
Le deuxième tome de la série, La curée, nous présente un autre membre de la famille Rougon, l'un des fils de Pierre et de son épouse Félicité, qui a préféré changer de patronyme pour "faire des affaires" et ne pas interférer avec la position de son frère Eugène, bien introduit dans les milieux bonapartistes. Aristide Saccard, petit fonctionnaire, a donc "fait son beurre" des informations qu'il a vues passer (ou qu'il a su dénicher) au sujet des grands travaux hausmanniens: boulevards à tailler à travers des quartiers, des immeubles, des maisons, des bâtiments déjà existants, dont il convient d'exproprier les propriétaires... Ceux-ci fussent-il de longue date ou récents (et bien informés...)! Et si l'on connaît du beau monde dans la Commission chargée de fixer l'indemnité d'expropriation, il peut y avoir moyen d'aller de culbutes en culbutes, alors que l'argent (ou plutôt l'or) coule à flots (3).
À ce qui, pour moi, fait figure d'intrigue principale, s'entremêle une intrigue sentimentale: Renée, la seconde épouse d'Aristide, s'ennuie dans leur hôtel particulier, et s'amourache de son beau-fils, Maxime (fils d'un premier lit d'Aristide), jeune homme viveur précoce. Je comprends que cet inceste ait pu choquer la France catholique de la fin du XIXe siècle: les deux protagonistes nous en apparaissent, à nous (lecteurs du XXIe), comme majeurs et consentants... ce qui est l'essentiel, n'est-il pas vrai? Dans ma lecture de cet ouvrage, l'intérêt pour les mécanismes financiers l'a largement emporté sur la violation de la morale ou de la pudibonderie. Ma sympathie va en tout cas à la gamine tubarde qui se fiche bien de ce que fricotent son fiancé et sa (future) belle-mère, et demande juste à pouvoir faire aussi, elle, ce que font les autres.
Mon exemplaire, imprimé au 1er trim. 1972, comporte 434 pages.
Pour lire Le ventre de Paris, il faut avoir l'estomac bien accroché et pas peur des noms d'aliments. Pour ma part, j'ai été un peu submergé par les pages et les pages d'énumération indigeste, qui sont plus longues que les descriptions d'actions proprement dites. Comme tout le monde le sait, ce ventre de Paris est symbolisé par le quartier des Halles et ses tout nouveaux pavillons Baltard (oui, ceux démolis entre 1971 et 1973). Nous le découvrons par les yeux de Florent, échappé du bagne de Cayenne où il avait été déporté pour raisons politiques (arrêté, plus ou moins par erreur, pour résistance au coup d'Etat de 1851...). Son demi-frère est un charcutier, Quenu, qui a épousé la fille ainée d'Antoine Macquart, Lisa. Leur belle boutique éveille la jalousie d'autres commerçantes ou habitantes du quartier. Au milieu de toute cette boustifaille, nous avons la métaphore de la lutte des "maigres" (les Républicains, parmi lesquels Florent, qui rêvent d'un grand soir dans l'arrière salle d'un café) contre les "gros" (les bourgeois bien établis, qui rêvent de l'ordre propice aux affaires et à leur quiétude égoïste). Dans ce Ventre, pour épicer tout de même le menu, il y a une tentative de viol dont l'auteur se fait quelque peu casser la tête (qu'il avait fragile d'ailleurs). Mais, je le redis, il y a surtout des listes interminables: légumes... Fruits... Volaille... Viandes... Charcuterie... des noms d'aliments, alignés sans une seule répétition, mais en veillant surtout à ne rien oublier, jusqu'à l'écoeurement.
Ecoeurante aussi, la manière dont, sur le dos de Florent renvoyé au bagne (avec quelques "complices" pincés en même temps que lui), s'engraissent tout ceux auxquels son arrestation a profité: les mouchards, les dénonciateurs et dénonciatrices, tous ceux qui ont "provoqué" la rédaction de son projet d'insurrection exaltée jusqu'à ce que le dossier soit bien monté et le gibier prêt à être capturé. Qui en récoltera de l'argent sonnant et trébuchant, qui une vengeance personnelle, qui la captation d'un héritage, qui un avancement dans la police... Le mot de la fin appartient à un autre membre de la "famille" que nous retrouverons à L'oeuvre, le peintre Claude Lantier, petit-fils d'Antoine Macquart. (3)
Mon exemplaire, imprimé au 2e trim. 1972, comporte 502 pages.
Le titre La conquête de Plassans contient, à mon avis, un "double sens" (voire davantage). Il s'agit d'abord de la "reconquête politique" de la ville elle-même, qui a "mal voté" aux [dernières] élections législatives (s'agit-il de celles de 1857 ou de 1863? Ce n'est jamais précisé). Mais le livre raconte en parallèle, "à" Plassans, le "grignotage" d'une maison (bourgeoise, bien douillette et à la petite vie sans nuages) par des pique-assiettes. La demeure des Mouret, un couple de rentiers bien tranquille, lui républicain vaguement libre-penseur et elle indifférente (+ trois enfants), fait entrer le loup dans la bergerie sous la forme d'une location de deux pièces inutilisées à un prêtre aux dents longues (assoiffé de pouvoir, mais non d'argent ni d'amour pour son prochain ou sa prochaine!) accompagné de sa mère. L'abbé Faujas est (en secret) chargé de ramener le poste de député local à l'Empire alors que Plassans était passée à l'Opposition. Stratégiquement placé entre la "bourgeoisie orléaniste", la noblesse légitimiste et les notables de l'administration bonapartiste, il va réussir à les faire converger, bien aidé en sous-main par diverses ambitions plus ou moins cachées... En ce qui concerne les Mouret (tous deux cousins puisque descendants de l'aïeule des Rougon et des Macquart), la "maîtresse de maison" finira frappée d'hystérie mystique, tombée amoureuse de la religion sinon de son serviteur, tandis que le mari se retrouvera à l'asile!
J'ai été frappé par la place démesurée qu'occupent, dans cette petite ville, intrigues, querelles de préséances, mensonges et cancans. L'écrivain a l'art de faire endosser par ses personnages secondaires les explicitations qui font avancer l'intrigue ("pensa-t-elle", "dit-il à l'oreille de"...). Pour accabler le malheureux Mouret, on assiste à la mise en circulation de rumeurs assassines et fausses. J'ai eu l'impression qu'Octave Mouret tombait dans ce que j'identifierais comme une dépression, même si le diagnostic des symptômes minutieusement décrits ne pouvait pas être posé à l'époque (Zola parle de folie). Tous ces petits bourgeois, sous couvert d'intérêt pour autrui, ne s'occupent que de soi. La (courte) séquence consacrée aux élections elles-mêmes (au suffrage universel masculin) m'a fait songer à celles que l'on voit décrites dans un fragment de Lucien Leuwen (Stendhal), bien entendu ignorée de Zola puisque ce roman inachevé (datant de 1834, sous la Monarchie de juillet, à l'époque du suffrage censitaire) n'a été publié qu'en 1894. On retrouve dans La conquête... l'atmosphère de "salons" déjà décrite dans La fortune des Rougon, mais cette fois l'intrigue va plus loin et mobilise l'Archevéché (il ne s'agit pas uniquement de la seule conquête "bourgeoise" du pouvoir par un coup de force, mais bien du monopole de la représentation politique au profit du "parti de l'ordre", soit "l'ordre dans la liberté et la liberté dans l'ordre", slogan d'époque!) avec une alliance entre les partisans de l'Empire et les royalistes (légitimistes du quartier noble comme orléanistes bourgeois): 33 0000 voix (contre les 1500 des "républicains irréductibles").
Mon exemplaire, imprimé au 4e trim. 1978, comporte 440 pages.
Dans La faute de l'abbé Mouret (paru en 1875), on retrouve deux des personnages de La conquête de Plassans, le précédent tome de la série. Serge Mouret, fils cadet des époux François et Marthe Mouret, a fini son séminaire et a été ordonné prêtre. Il a pour paroisse un village fictif, désolé, en Provence: Les Artaud. Il a recueilli sa jeune soeur Désirée, simplette qui n'est heureuse que dans la basse-cour avec ses animaux chéris. Mais ce n'est pas avec sa soeur qu'il fautera...
J'avais l'idée (fausse) que le mot "abbé" était nécessairement lié à une abbaye, or il peut désigner un "prêtre séculier" depuis le XVIIIe siècle. On voit donc "l'abbé Mouret" célébrer une messe, un mariage... dans une Eglise plutôt peu voire mal fréquentée (mariage à l'aube en présence des parents, de leur nourrisson, et de la partie de la famille qui n'est pas occupée par plus important, à savoir le travail aux champs...). En tout cas, "telle mère tel fils", notre abbé fait preuve d'un mysticisme personnel exacerbé, mais que l'on finit par découvrir égoïste: si sa religion est douce aux pêchés d'autrui, c'est, me semble-t-il, bien davantage par indifférence à ce qui n'est pas sa relation "personnelle" à Marie ou à Jésus que par sollicitude ou bonté. Alors, cette faute?
A force de prières à genoux, de veilles, de trajets à pied sous le soleil pour aller porter la bonne parole de Dieu aux malades ou aux mourants (ou à ceux crus tels, comme un certain Jeanbernat), v'là-t-y pas que notre prêtre tombe malade (il s'évanouit dans sa chambre devant la représentation de l'Immaculée Conception...)! Et tonton Pascal [Rougon], passant par là, décide (il aime bien les expériences anthropologiques, le Docteur Pascal) que son neveu sera mieux soigné chez des "étrangers" qu'à la cure par sa fidèle bonne, La Teuse.
Dans ce roman en tout cas, l'énumération, dont certains passages sont aussi écrasants que dans Le ventre de Paris, porte sur des fruits et des fleurs: les restes d'un verger, d'un potager et d'un jardin merveilleux, dans le domaine du Paradou, dont le château a brûlé des décennies plus tôt. Là survivent dans un splendide isolement le vieux gardien libre-penseur, ce fameux méchant de Jeanbernat, et sa petite-fille, élevée à la diable dans toute cette nature, Albine. Et la vie est si belle, au Paradou (pardon, au Paradis), que ce qui doit arriver arrive: le garçon et la fille se découvrent... Mais si le garçon (Serge) sera ramené dans le droit chemin de ses bondieuseries par un "frère" au catholicisme intransigeant, la fille (Albine) se suicidera de chagrin (asphyxiée par les fleurs témoins de leurs amours qu'elle a entassées, toutes fenêtres fermées, dans une chambre). Elle était enceinte. J'ai trouvé Jeanbernat bien indulgent à l'encontre de Frère Archangias.
Mon exemplaire, imprimé au 4e trim. 1978, comporte 437 pages.
Zola fait partie des "valeurs sûres" pour les blogs littéraires (que ce soit en première lecture ou en relecture, selon les âges des blogueurs ou blogueuses). Il n'est que de voir les réactions nombreuses à l'article de dasola relatant notre visite à Médan. Je signalerai donc juste que j'ai cru remarquer que Lybertaire a aussi depuis quelques années le projet de relire Les Rougon-Macquart et doit en être au tome 10...
L'apparat critique de cette édition de La Pléiade est dû à Armand Lanoux (1913-1983) [préface, p.IX-LXX] et à Henri Mitterand (1928-2021) [étude, notes, variantes et index, p.1529 et suiv.]. J'avoue les avoir parcourus en diagonale, pressé par le temps, et sans m'interdire d'y revenir une fois les challenges finis (ouf!). D'Armand Lanoux, j'ai lu jadis le roman Le commandant Watrin, et c'est en m'intéressant à cette édition en Pléiade que j'ai appris son rôle d'"éditeur", mais aussi de biographe de Zola (je n'ai jamais lu son Bonjour, Monsieur Zola de 1954). Je ne sais rien d'autre d'Henri Mitterand que ce que n'importe qui peut trouver sur Wikipedia. En tout cas, j'inscris cette dernière lecture estivale pour les trois challenges Les Pavés de l'été 2024 chez Sibylline, Les Epais de l'été 2024 chez dasola, et 2024 sera toujours classique organisé par Nathalie.
/image%2F1203477%2F20240917%2Fob_ae4955_2024seraclassiqueaussi-copie-768x430.jpg)
/image%2F1203477%2F20240917%2Fob_e604f0_paves-ete-2024-sibylline-lapetiteliste.jpg)
/image%2F1203477%2F20240917%2Fob_2aa8a5_epais-de-l-ete-2024.jpg)
Et voici les deux versions d'arbres généalogiques des Rougon-Macquart (1878 et 1893) que contiennent toutes deux les deux derniers tomes (tome IV et tome V) de La Pléiade.
(1) Oh bon allez, vous le saviez peut-être ou peut-être avez-vous déjà cherché, mais à toutes fins utiles... L'analepse (retour en arrière) "consiste à interrompre momentanément le cours d'une narration pour insérer une narration secondaire se déroulant antérieurement à la narration principale" (équivalent du flashback au cinéma).
(2) Et non 1879, évidemment. Bien vu Aifelle et Keisha, merci... et haro (pointé...) sur la première "relectrice" (et secrétaire de rédaction...) de mon billet!
(3) Je rajoute le logo du "challenge urbain" organisé par Ingannmic, la troisième édition de "Sous les pavés les pages" ["pavé" n'y ayant aucun rapport avec l'épaisseur des ouvrages!]: La curée et Le ventre de Paris, au moins, y sont éligibles, m'a-t-elle signalé.
/image%2F1203477%2F20240922%2Fob_bbdf76_challenge-urbain-souslespaveslespages.jpg)