Parti de Liverpool... / Hans le marin / Le sel de la mer - Edouard Peisson
C’est affreux ! Je (ta d loi du cine, « squatter » chez dasola) perds la mémoire. Sur les trois romans d’Edouard Peisson (1896-1963) que je chronique aujourd’hui, j’étais persuadé qu’il y en avait un que je ne connaissais pas. En fait, ils étaient tous trois dans ma pochothèque depuis quatre décennies.
Hans le marin, Le livre de Poche N°257, 2e trim. 1964 (© Bernard Grasset, 1929), 180 pages
Parti de Liverpool..., Le livre de Poche N°855, 4e trim.1966 (© Bernard Grasset, 1932), 241 pages
Le sel de la mer, Le livre de Poche N°518-519, 3e trim. 1965 (© Bernard Grasset 1953, 1954, 1955), 499 pages
Je commence par celui qui peut avoir un intérêt sociologique, mais qui est davantage un "polar" qu'un "livre de métier". Dans Hans le marin, nous n’avons guère de navigation, plutôt une mésaventure portuaire. Hans Muller est un jeune (25 ans) marin américain, né à Hambourg, et qui a manifestement fait la guerre (le roman date de 1929). Dans quel camp ? On ne le saura pas. Ni exactement le pays où il a passé son enfance, en rêvant de bateaux. Quand l’Alabama sur lequel il navigue fait escale à Marseille, il descend à terre avec trois autres matelots, dans l’idée d’y passer la nuit (« petites femmes ? »). Il se réveille à l’hôpital, blessé d’un coup de couteau, dépouillé de ses dollars : il s’est fait « entôler » par une certaine Marcelle, qui l’a soûlé puis amené dans un guet-apens. Guéri, mais sans argent ni papiers, il va devoir apprendre à survivre en marge de la société. Dans cette Marseille de l’entre-deux guerre, avant même la grande crise économique, la vie est dure aux miséreux. À l’asile de nuit, il rencontre un « gueux » (La Bête), et se fait chiffonnier pour survivre, puis « guide » pour marins débarqués ou bourgeois souhaitant s’encanailler. Quand l’Alabama repasse à Marseille, six mois plus tard, il a l’occasion de revenir à bord (certains marins le connaissent). Mais la vengeance est un plat qui se mange froid…
J’ai relu en deux heures ce roman nerveux, tout en phrases courtes et en amères notations. Mon exemplaire est aussi vieux que moi. Il m’avait été offert en vue de mes 17 ans.
Aujourd'hui, une recherche sur internet pour savoir si des blogs ont pu en parler ramène l'exaspérant "Certains résultats peuvent avoir été supprimés conformément à la loi européenne sur la protection des données."
Partis de Liverpool…, je l’ai lu en plusieurs éditions différentes (sans jamais avoir l’occasion de les confronter l’une à l’autre). Chez mes grands-parents, d’abord (une édition plus vieille que moi, mais intégrale, je crois). En vieille « bibliothèque verte », à l’époque où j’en complétais la collection chaque année dans notre « maison de campagne » familiale ». Et mon propre exemplaire en Poche, acquis en …1979.
C’est de ce livre que je me souvenais le mieux.
Si les jours de semaine qui sont indiqués ont une signification (le livre commence lundi 11 mai 19…), nous sommes en 1903, 1908, 1914, 1925 ou peut-être même 1932 (année de parution).
Pour son voyage inaugural vers New York, l'Etoile-des-Mers a ordre de battre, "coûte que coûte", le record de la traversée (ce qui va l'amener à foncer à 28 noeuds dans la brume). Les conditions de cette "course" sont celles du début du XXe siècle : pas de radar, encore moins de GPS, mais une vitesse incommensurable par rapport à la marine à voile. Je me rappelle avoir vu récemment ce qui est maintenant un vieux film, Les marins de l’Orgueilleux (Henry Hathaway, 1949) : au XIXe siècle, un baleinier à voile entre en collision avec un iceberg dans la brume… et y survit. Ici, quand le roman d'Edouard Peisson est publié, nous sommes 20 ans après l'histoire tragique du Titanic.
Toute l'action se joue en deux jours de début de traversée de l’Atlantique nord. Le récit m’a fait songer à l’odyssée du croiseur qui escorte un convoi vers l’URSS, durant la Seconde guerre mondiale, dans HMS Ulysses d’Alistair McLean. Mais dans Parti de Liverpool... nous sommes en temps de paix, il n’y a ni sous-marins, ni avions, ni navires de guerre ennemis. Nous voyons travailler, agir, discuter, douter, les officiers (pont, machines), et leurs hommes plus anonymes. Les couvertures de certaines éditions insistaient sur le véritable « binôme » constitué par le Capitaine Davis et son Second, Haynes. Le choc (relativement léger) réveille l'un des officiers vers 11 h du soir (p.167). La catastrophe s'annonce inévitable p.197. Tous les capitaines de la « ligne transatlantique » se connaissent (de quelque nationalité qu'ils soient), et le Berlin accourra au secours de l’Etoile-des-Mers. Mais ni le capitaine, ni le second, ni l'officier mécanicien du malheureux paquebot ne survivront pour en révéler les malfaçons.
ClaudiaLucia en a parlé récemment.
En toute bonne foi, je croyais ne jamais avoir lu Le sel de la mer. Or, j’en avais un exemplaire dans ma pochothèque, et il est annoté « acheté en 1981 pour le voyage en Roumanie ». L’y ai-je finalement emmené lors de ces deux semaines de vacances estivales en 1981 avec mes parents, pour la dernière fois (j’avais 17 ans), ou pas ? Je conserve le souvenir d’avoir dû me séparer d’un livre de poche sur le Débarquement de Normandie (Georges Blond ? Cornelius Ryan ?), au profit d’un enseignant roumain, collègue de mes parents, intéressé par mon livre parce qu’à l’époque, leur « histoire officielle » de la seconde guerre mondiale était toute à la gloire de l’Armée rouge et ignorait superbement le « front de l’Ouest ».
Ce tome unique ("volume double") en Poche intitulé Le sel de la mer contient en fait une trilogie, formant un récit choral par la diversité des points de vue alors que toute l'histoire tourne autour du même événement envisagé sous plusieurs facettes: le capitaine Godde a dû prendre "à l'improviste" le commandement d'un paquebot, le Canope, que sa compagnie venait d'acquérir en vue de traversées transatlantiques alors qu'il était déjà passé de mains en mains chez plusieurs armateurs, et alors que lui-même en était depuis peu le "second" jusqu'à l'AVC qui frappe le commandant en titre. Le bateau finira au fond de l'eau. Toute la question du livre peut se résumer à: "à qui la faute?".
Je dirais que ce sont les faits qui nous sont exposés dans Capitaine de la route de New York (avec, très important, le point de vue du capitaine Vox (!), commandant du Virginia venu au secours du Canope, qui connaît Godde de longue date).
Dans la seconde partie, Le sel de la mer (qui, dans l'"édition revue par l'auteur", a donné son titre à la trilogie), nous assistons à l'enquête après le naufrage. Les enquêteurs s'efforcent de tout reconstituer: les conditions, l'enchaînement des faits (le Canope s'est dérouté en affrontant des conditions de mer pénibles pour venir au secours d'un cargo italien, le Marco-Polo, qui s'est perdu corps et biens), la chaîne des décisions prises et jusqu'aux pensées du moment, face au capitaine Godde, seul responsable à bord, qui a survécu. Le capitaine décide et tous doivent obéir à ses ordres, mais lui assume aussi la responsabilité de ceux-ci, notamment en cas de "fortune de mer"... Les échanges "entre professionnels" sont passionnants. On sent que l'auteur connaissait son sujet, il nous fait baigner dans un langage codifié, économe de mots et où chacun compte. Reconstituer ce qui s'est passé, minute par minute, doit permettre de comprendre comment ce qui s'est passé (qui est connu quand commence l'enquête) est arrivé, et si cela aurait pu être évité. Autrement dit, y a-t-il eu, ou non une ou plusieurs décision(s) erronée(s)?
Enfin, dans Dieu te juge!, 6 ans et une guerre après les faits, nous avons la fin de l'histoire (et de Godde), mais aussi l’avis du journaliste qui avait raconté l'histoire et celui de plusieurs autres capitaines, dont Vox. Dans ce livre, on sent particulièrement la solitude, l’isolement, d’un commandant de navire, seul « responsable » à bord, devant assumer ses décisions sans avoir eu à les expliquer à qui que ce soit (aussi longtemps que tout a bien été), évitant de partager ses doutes (il lui est interdit de faire preuve de la moindre faiblesse…). On constate aussi que le "commandement" se base sur un mélange subtil d'expérience, d'intuition, d'instinct, de chance, et n'est pas forcément une « science exacte » puisqu’elle contient une telle part de subjectivité... À la fin du livre, Godde, blessé à mort, coule avec le Woërmann, le cargo à bord duquel il avait retrouvé un commandement.
Ce roman ne donne pas beaucoup de place aux femmes: leur rôles sont ceux de passagères, ou d'épouses. Celle de Godde lui est d'un soutien indéfectible.
Le côté répétitif, « ressassé » ("ressasser les mêmes pensées, détailler les mêmes images", p.277), de ce livre m’a peut-être désarçonné quand j’étais jeune? Peut-être avais-je sauté quelques pages?
Lors de ma relecture globale des trois livres, j'ai été frappé par le fait que la typographie du volume double Le Sel de la mer étaient plus petite que ceux des deux autres livres: 34 lignes à la page, contre 29 (avec un corps de police nettement plus gros) pour Parti de Liverpool... et Hans le marin.
ClaudiaLucia en a aussi parlé.
Deux au moins des trois couvertures sont dues à Lucien Fontanarosa (1912-1975). Je lui aurais bien attribué les trois, mais je suppose que l’association qui gère la mémoire du peintre en sait davantage que moi !
Edouard Peisson est né à Marseille et y a vécu une bonne partie de sa vie. Il a navigué dans la marine marchande de 1914 à 1924 (radio-télégraphiste, puis capitaine).
Je pense que j’ai dû lire aussi un autre titre écrit par lui, L’aigle de mer. Mais je ne l’ai pas sous la main. Et… aucun souvenir du contenu. En à peine quatre décennies ! C’est comme si j’avais tout oublié de ce que je savais à l’époque de mon bachot (mais peut-être ai-je tout oublié de ce que je savais à l’époque de mon bachot !). C’est grave, docteur ?
J'ai eu plaisir à relire ces livres, et je finirai sans doute par en lire bien d'autres si je tombe dessus dans des bacs d'occasion. Mais cela ne me donne pas envie, pour ce qui me concerne, de devenir marin et de naviguer. Pourquoi serais-je assez bête pour m’exposer au froid, à la fatigue, au danger, à l'obligation d'anticiper en permanence tous les aléas qui peuvent survenir, pour vivre une vie emplie de sensations et d’événements, ...quand je puis la vivre « par procuration », en lisant des livres ou en regardant des films ?
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Je pense qu'au moins deux de ces trois livres (Parti de Liverpool... et Le sel de la mer) peuvent s'inscrire à deux challenges: "Book Trip en mer" chez Fanja, "Monde ouvrier et monde du travail" chez Ingannmic, et les trois titres sont admissibles pour le troisième, "2024 sera classique aussi" organisé par Nathalie.