Comment construire une cathédrale - Mark Greene / Les mains pleines - Guillaume Collet
Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) vais présenter aujourd'hui deux courts livres que j'ai lus récemment, sans les avoir payés bien cher. Et pourtant, il m'ont fait, chacun, forte impression, pour des raisons différentes. Je ne sais pas trop quel niveau de notoriété ils peuvent avoir dans la blogosphère...
Mark Greene, Comment construire une cathédrale, Plein jour, 2016, 95 pages
Guillaume Collet, Les mains pleines, Christian Bourgeois éditeur, 2024, 109 pages
Je commence par Comment construire une cathédrale, dont je ne connaissais ni l'auteur (ni son homonyme en feuilleton!), ni le sujet, ni la Maison d'édition, et que j'ai découvert dans une "bouquinerie associative" (basée sur le don de livres, revendus ensuite à prix ultra-doux).
L'auteur, franco-américain né en Espagne et vivant aujourd'hui en France, commence par raconter comment il a été contacté par des éditeurs pour rédiger cette "oeuvre de commande". Puis, assez vite, il évoque "Justo", qui, avec sa pelle et sa pioche, a creusé les fondations de la cathédrale qu'il avait en tête. Il tisse tout au long du livre l'histoire de cet homme qui, contrarié dans sa "vocation" de devenir moine, a décidé d'offrir à son Dieu un bâtiment pour honorer sa foi, sans le moins du monde se laisser démonter par quelque obstacle que ce soit. Un terrain familial, le soutien indéfectible de sa mère pour les contingences du quotidien (jusqu'au décès de celle-ci), la "récupération" de matériaux plus ou moins au rebut parce qu'invendables... et du temps. Une éternité: plus de 60 ans! Justo et son projet (commencé en 1961, sous Franco) ont traversé les décennies. Lorsque le livre est rédigé, Justo a 95 ans et travaille encore à son bâtiment (avec un soutien médiatique certain). Mark Green construit aussi son récit de bric et de broc, en l'entremêlant de souvenirs personnels, de récits de rencontres avec Justo, d'anecdotes arrivées à celui-ci durant la construction (une nuit passée sur le toit de l'édifice, alors que l'échelle s'était éloignée dans l'obscurité...). Mais aussi les réticences ecclésiastiques, municipales, administratives, face à la progression de son bâtiment, en-dehors de toutes normes légales concernant un édifice de cette taille, censé recevoir du public... et dont il fallait financer tant la poursuite de la construction que l'entretien de ce qui était déjà bâti. Depuis la parution de l'ouvrage, Justo Gallego Martinez est décédé (à 96 ans). D'après ce que j'ai pu lire sur internet, le bâtiment (sa "cathédrale Nuestra Señora del Pilar", située dans la province de Madrid) semble continuer à susciter des visites...
Le billet d'Ecureuil bleu en 2017 avait suscité pas mal de curiosité, sur la cathédrale elle-même plus que sur le livre (1), au contraire de celui de Lucie Combet. Le livre a même été adapté au théâtre.
Cette histoire m'a rappelé mes lectures et visions sur Les briques rouges / Bricks. En ce qui concerne la construction par un "architecte naïf" (autodidacte), on songe bien entendu au "rêve de pierre du facteur Cheval" (titre de l'article de Sélection du Reader's Digest qui m'en avait appris l'existence, il doit y avoir un demi-siècle). Lorsque Guédelon sera achevé (d'ici quelques années), qu'est-ce qui pourra être réalisé? La reconstruction des châteaux détruits en 1870 dans la Région parisienne semble exclue (notamment pour des raisons politiques). Notre-Dame vient d'être reconstruite, est-il pertinent de chercher à "construire une cathédrale" ex-nihilo? Il y a déjà la Sagrada Familia et ses défis techniques à Madrid. Alors, des thermes romains? Cela a déjà été fait (en tout petit, certes). Un théâtre (ou un amphithéâtre) romain, à l'écart d'un centre urbain existant? Y aura-t-il encore un public sous le velum?
Je continue par un livre qui, lui, incite nettement moins à optimisme sur la destinée des êtres humains. Guillaume Collet, jeune trentenaire, a écrit un livre malheureusement universel, alors qu'on peut s'interroger sur la part de réalité ou de fiction qu'il contient.
Les mains pleines conte amèrement la découverte, par un jeune homme de 25 ans, qui se cherche dans des prestations improbables de cascadeur spécialisé, de l'état du couple de ses grand-parents paternels. "Famille" ignore ce qui se passe, juste que "Grand-père" et "Grand-mère" ont toujours clamé n'avoir besoin de personne, préféré voyager qu'assister aux réunions de famille, et ont suffisamment d'argent pour qu'il suffise à leur autonomie. À "Petit-fils", qui n'a pas, lui, un vrai travail prenant, contrairement à "Oncle", "Tante", "Frère" ou "Mère", à lui "le seul adulte sans horaires de bureau" (p.10), est dévolu le privilège de se dévouer pour aller voir, dans la grande maison à la campagne, ce qu'il se passe, qui sont les "nuisibles" qui perturbent "Grand-mère"...
Il s'agit d'un livre sur la vieillesse et ses naufrages, la déchéance, lorsque subsiste une écorce reconnaissable, habitée par des paroles plausibles, sauf si on prend la peine d'aller voir ce qu'il se passe au coeur de l'arbre... et quels vides sont camouflés par les apparences. C'est très bien écrit. C'est déprimant, tant ça rend bien compte des illusions, désillusions et découvertes progressives (des cadavres dans les placards...). Je vais juste donner quelques extraits.
p.73: "un grand nombre des pays visités par Grand-Père-Cendre et Grand-Mère-Cyclone sont en guerre ou en situation d'instabilité. Petit-fils ne pourra jamais y aller comme touriste. Certains ont quasiment disparu à cause des catastrophes climatiques. D'autres sont resté touristiques, si bien qu'ils ne sont plus synonymes que de foule autour de vieilles pierres. À leurs époque les grands-parents étaient presque seuls à y aller et ont pu entretenir l'illusion de leur solitude. Il y a ceux qui se font avoir et les autres."
Réflexion faite, je vous épargne la séance d'anthologie que constitue un repas pris en commun (p.62 et suivantes...). Je peux vous garantir que le livre est rude jusqu'à la fin (comme la pente - mais ici à la descente). Je pense que cette "tranche de vie" peut servir de miroir pour bien des familles contemporaines. En tout cas, même exacerbé et poussé à l'extrême, il m'a évoqué de mauvais souvenirs personnels. Mais bon, autant regarder les réalités en face, non?
J'ai trouvé quelques traces sur la blogosphère. Christlbouquine a suscité quelques réactions.
Pierre Ahnne en dit beaucoup, tout comme le blog (pro?) Ma collection de livres de H.C. Dahlem.
Je connaissais les exemplaires de livres estampillés "Presse", que je trouve souvent, dédicaces comprises, dans les bacs d'occasions bradés. Je connaissais aussi les exemplaires "épreuves provisoires non corrigées", censés permettre aux journalistes des mensuels, bimestriels ou trimestriels de rédiger leur article (concernant des titres encore "sous embargo") dans les délais compatibles avec leurs dates de "bouclage". Pauvres journalistes, qui, ne sachant que faire de ces mètres cubes, sont contraints de les amener par cabas entiers aux libraires spécialisés pour les troquer contre quelques malheureux euros...
J'ignorais encore, par contre, l'existence d'exemplaires spécialement dédiés aux "offices", envoyés sans qu'ils les aient demandé, comme leur nom l'indique, aux libraires! Et je remercie ma librairie de quartier de les utiliser comme "cadeau" à ses clients réguliers.
(1) Edit du 20/02/2025: Ecureuil bleu a ajouté un nouveau billet où elle parle aussi du livre.