Charlie quand ça leur chante - Aurel
Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) fais aujourd'hui un petit "pas de côté" en parlant d'un ouvrage qui ne provient pas d'un dessinateur de Charlie Hebdo, mais d'un de leurs collègues dessinateur de presse (dont je vois chaque semaine des dessins parce qu'il oeuvre, notamment, dans Le Canard Enchaîné depuis des années).
Aurel, Charlie quand ça leur chante, Futuropolis, coll. Paroles, 2024, 32 pages
La 4ème de couv' de cet opuscule à propos de "l'esprit Charlie" en dit pas mal. Mais elle ne dit pas tout à mon avis. En tout cas, le titre et l'auteur, comme je l'ai dit, ont déclenché mon "acte d'achat". En bas de la 2e de couv', après 14 lignes d'avant-propos "cadrant" ce qu'est un dessin de presse, Aurel précise: "je ne suis le porte-parole de rien et m'exprime en mon nom". Dans les pages de cet ouvrage dessiné, le dessinateur se met lui-même en scène et s'adresse au lecteur (brisant un mur?), et nous amène à prendre conscience de l'état précaire du métier de dessinateur de presse (en France, quelques dizaines d'individus).
Il commence par poser que le dessin de presse (et plus largement l'humour d'actualité) se meurent, parce que la presse elle-même va mal: les ventes s'effondrent. Et lors de la "transition numérique" des journaux, le dessin est bien souvent oublié.
Puis, après deux pages où il raconte comment il a appris le massacre de ses collègues, Aurel explique ce qu'a signifié pour lui "Je suis Charlie" (p.7), alors qu'un copain (qui connaît [ses] différents politiques avec le journal) s'étonne de [le] voir arborer un badge quelques semaines après le massacre du 7 janvier 2015.
Il parle, ensuite, de "l'après": récupérations de tous bords (beaucoup de demande de dessins de soutien gratuits). Malgré tout, lui et ses collègues ont continué à faire ce qu'ils savaient faire de mieux: dessiner...
Dans la douzaine de pages suivantes, il continue à dénoncer l'hypocrisie de la profession, les bas tarifs du dessin de presse et la précarité du métier (cf. ci-dessous p.10). Mais le public (le lectorat) en prend aussi pour son grade!
J'ai été surpris par la manière dont il fait remarquer (ci-dessus) que les tarifs négociés par les syndicats de journalistes (CFDT ou SNJ-CGT) sont trois à cinq fois inférieurs aux tarifs réellement pratiqués, et nécessiteraient d'être sûrs de vendre 20 dessins par mois pour arriver péniblement au SMIC. Si je caricature: contester ces tarifs minimum n'équivaut-il pas à dire que le SMIC est lui-même inutile parce qu'il est trop bas? Je vois plutôt, pour ma part, le tarif négocié comme ce qu'on appelle un "minimum syndical": se met dans l'illégalité tout patron (de presse...) qui prétendrait payer au-dessous de ce tarif... mais rien, bien entendu, n'interdit aux dessinateurs de "se vendre" nettement plus cher!
"Le quotidien d'un-e dessinateur-ice est de se faire refuser des dessins pour plein de bonnes raisons. Et aussi des mauvaises." (p.23). Aurel rappelle aussi le pouvoir amplificateur des réseaux sociaux pour juger un dessin sans l'avoir vu.
Son propre discours sur la prise en étau des dessinateurs entre les néo-réacs d'une part (?) et la société qui évolue (bouillie au woke et arrosée de coca-cola, oserais-je dire?) est cohérent, même si on peut ne pas partager ses analyses. Il donne trois raisons expliquant pourquoi les dessinateurs de presse sont régulièrement pris à partie par des gens qui ne trouvent pas drôle ce qu'ils font, ou plus exactement qui leur reprochent de rire de tel ou tel sujet. Les dessins ont toujours déplu à une partie de la population, mais le "village global" de McLuhan en a multiplié la visibilité (c'est moi qui parle de McLuhan, Aurel parle des réseaux sociaux). Il y a un changement global de mentalité (les gens sont plus stressés et deviennent susceptibles...). Les nouvelles générations n'ont plus les mêmes codes ni les mêmes limites.
p.21-24, Aurel (né en 1980) nous rappelle que, dans les années 1960 (p.21-24), Cavanna, Cabu, Wolinski, Choron et consort (je ne les ai pas mis dans le même ordre que lui) inventaient un humour grinçant que les anciennes générations considéraient comme absolument inopportun.
Nombre des gages de "nos idoles" ne seraient plus possibles aujourd'hui, et pour Aurel c'est "Tant mieux". "Nous vivons sans doute la fin de cette ère qui avait pour objectif de pousser les murs d'une société étriquée en voulant pratiquer un humour sans tabou", constate-t-il. Pour en tirer la conclusion qu'il faut désormais vivre avec son temps (?).
Je pense que, pour ma part, je suis trop vieux pour avoir envie de renoncer à rire de tout. Mais il est vrai que je m'expose infiniment moins qu'un dessinateur de presse.
J'ai relevé que, si Aurel attaque nominalement, comme étant l'un de de ceux qu'il qualifie de "nouveaux réacs", Philippe Val (directeur de la publication du nouveau Charlie Hebdo de 2004 [après la mort de Gébé] à mai 2009), il n'évoque pas l'éviction de Siné en 2008 pour autant. Pas plus qu'il ne cite le nom de son collègue suisse Chappatte (qui depuis 2020 dessine, comme lui, au Canard enchaîné) comme exemple de dessinateur dont un dessin a amené un journal (le New York Times) à renoncer mi-2019 à la publication de tout dessin de presse.
Cela m'a aussi amené à me demander si, lorsque Cabu dessinait pour la télévision ou Wolinski pour Paris Match, les sujets de leurs dessins étaient les mêmes dans ces "gagne-pains" (je suppose) que dans les hebdomadaires qu'ils avaient fondés et dont ils maîtrisaient la ligne éditoriale... Une question que je creuserai ultérieurement?
Aurel conclut son pamphlet (?) avec une page où, l'oeil mauvais, il demande aux "néo-réacs" qu'il a égratignés dans nombre de ses pages de laisser les dessinateurs de presse dessiner tranquilles.
Ce petit ouvrage intéressant, et dont je vous conseille la lecture, contient une pensée logique même si contestable. Pour ma part, je crois que je n'ai pas envie de le suivre dans la partie où il expose son analyse des "néo-réacs". J'adhère à ce qui est dit seulement quand ça me chante, non mais!
Je suppose que d'autres blogs en ont déjà parlé en janvier 2025... mais seules des chroniques parues dans des titres de presse apparaissent dans les moteurs de recherche. Mots-clés trop clivants + loi RGPD = le néant... Je rajouterai des liens si je tombe dessus!
*** Je suis Charlie ***