D'où viens-tu, berger? - Mathyas Lefebure
Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) n'avais pas pu rendre le livre D'où viens-tu, berger de Mathyas Lefebure récemment terminé, puisque les bibliothèques parisiennes étaient fermées le samedi pascal (et sont fermées de toutes manières le lundi). Du coup, j'en avais prolongé l'emprunt par voie électronique... et me suis endormi sur mon projet de billet toute une semaine! Le voici enfin. Comme l'avait signalé dasola, c'est la vision du film Bergers de Sophie Deraspe qui m'a amené à cette lecture.
Mathyas Lefebure, D'où viens-tu, berger? (roman), Babel, 2024, 290 pages
[mais copyright Leméac éditeur, 2006!]
Le livre commence par un appel téléphonique de Mathyas vers la France, vers un numéro qu'il a obtenu par un concours de circonstances, celui d'un éleveur de moutons. Il réussit au téléphone à convaincre de sa motivation à devenir berger son interlocuteur: on l'attendra début janvier de l'année suivante. Sauf que quand il arrive, la place a été réattribuée. Il lui est alors conseillé d'aller "se vendre" à la foire ovine de la Saint-Valentin, à Saint-Martin de Crau. Or, celle-ci n'a pas lieu à la date de la Saint-Valentin du calendrier, mais quelques jours avant. Comme dans le film, il réussit tout de même à oser "déranger" quelques éleveurs en train de boire au café, et s'attire cette question: "d'où viens-tu, berger?" (p.35). L'un des éleveurs se dévoue (comme dans le film) pour montrer son mas à un Canadien, et, comme dans le film, c'est plus compliqué qu'on ne pense d'attraper une brebis. Retour en ville, pour noyer ses chagrins dans l'alcool. Puis un coup de fil salvateur: "- Vous avez de l'expérience? - Je veux commencer comme apprenti. - Vous pouvez commencer vendredi?" (p.45). L'expérience du mas Crapule (sic!) dure 90 pages (démission et départ pour aller vers l'arrêt du car, p.135): entretemps, le berger a appris rudement les rudiments du métier de berger, au contact d'employés et d'un patron qui ont pratiqué ce métier toute leur vie parce qu'ils n'avaient aucune autre perspective d'existence, mais qui ne sont pas les plus pédagogues des hommes.
p.137, justement, il est fait mention de L'Ecole du Merle, "centre de formation de bergers accréditée en France". Mais Mathyas persiste à croire qu'il faut d'abord rêver pour devenir berger. p.140, coup de chance, l'éleveur qui lui avait posé un lapin après l'avoir attiré en France le recontacte. Le monde de l'élevage étant petit, l'éleveur a su qu'il avait démissionné du mas précédent. Cette fois, serait-ce la bonne? Le chapitre est titré "Le mas du bonheur". Là, on va effectivement lui enseigner, pendant deux mois, comment faire paître au mieux et soigner les brebis dans les différents cas de figure. Ce n'est qu'ensuite que lui et "la bergère" (l'amoureuse du début, que cette vie rêvée intéresse aussi) feront leur choix parmi les offres qui commencent à pleuvoir. La chienne Chipie (border collie), qui, à deux ans, fera sa première saison en solo, leur est fournie par l'employeuse finalement retenue. Le reste du livre relate l'alpage, là-haut, avec la solitude à deux, l'inénarrable Dudu (voisin d'alpage), la visite de la DDA (direction départementale de l'agriculture) qui prévient de la présence du loup, face au déni des éleveurs (qui devraient engager des frais conséquents à titre préventif si le loup était là... loup qu'ils accusent les écologistes d'avoir eux-mêmes introduit). Les enjeux sont brouillés: accepter la présence du loup, c'est s'interdire de le tuer, et se contenter des indemnités par bête tuée. La manifestation des bergers semble dans la réalité avoir été un événement plus conséquent qu'il n'est sous-entendu dans le film.
Au final, je dirais que les sept chapitres (piliers?) de ce livre font peut-être plus "vrais" que le film (sagesse?). En comparant celui-ci avec le livre d'origine, je me dis qu'un avocat a probablement dû lire le scénario en amont, les enjeux n'étant pas les mêmes (des centaines de milliers de spectateurs potentiels, versus un livre imprimé à combien de milliers d'exemplaires en France?). Pour essayer de me faire comprendre, je dirais que le film "raconte une belle histoire", tandis que le livre est constitué du vécu (y compris introspectif) de Mathyas, sans se voiler la face par rapport à un certain réalisme de situations (parfois lourdement répétitives), là où les "images-qui-bougent" sont parfois plus elliptiques. Les "situations" présentées dans le film figurent bien, pour la plupart, dans le livre (sauf la houlette symbolique, sauf erreur de ma part), mais elles ont été soigneusement "mises en scène", parfois édulcorées, pour construire toute une belle histoire (là où le livre semble davantage décrire un vécu "au jour le jour", en parlant de l'ordinaire ou de ce qui en sort, exceptionnellement). Le véritable Mathyas nous présente dans son livre un parcours personnel et très "intellectuel" (il se regarde quand même un peu écrire, je trouve), là où le film était (forcément) très concret et nous montrant des images du "vécu" quotidien d'un berger. Dans le livre, il tient un blog, qu'il alimente quand il le peut, sur ses découvertes du "pastoralisme", et cite Cioran à tout bout de champ. Le personnage de "l'amoureuse" est évoqué de façon suffisamment ambiguë pour qu'on ignore d'où l'auteur la connaît, si elle est québécoise ou française. Le film a fait le choix de nous montrer une jeune fonctionnaire attendrie par le parcours du Québécois. Le métier de berger "à la française" est aussi relativement "idéalisé" via le film (la transhumance "à l'ancienne", alors que le roman parle plus crûment d'un trajet en camion). Le film nous épargne la "météorisation" à la luzerne de quelques douzaines de brebis, auquel notre berger a dû faire face (pas trop tard pour le trocard). Et, dans le film encore, l'attachement du chien qui décide de l'accompagner en quittant son foyer d'origine, c'est une jolie histoire, mais pas présente dans le livre ni sans doute dans une réalité plausible.
C'est en regardant la page de garde que je me suis aperçu que le livre d'origine était bien plus ancien que le film puisque paru en 2006 au Québec. Le blog Pageparpage parle d'une récente réédition québécoise.
Après les événements racontés, Mathyas a ensuite vécu en alpage pendant 10 ans. Dasola m'a rappelé (je l'avais oublié) que quelques lignes s'affichaient bien à la fin du film pour nous en informer.
En tout cas, je crois que, pour moi, le mécanisme de découvrir un livre par curiosité après avoir vu un film qui en avait été tiré (adapté) fonctionne mieux que l'inverse (je suis trop souvent déçu quand le film n'est pas absolument fidèle au livre que j'ai en premier apprécié).