Tueur de bisons - Frank Mayer
J'ai (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) fini de lire ce livre quelques heures seulement après l'avoir acheté (neuf!) sur un "coup de coeur" en librairie.
Frank Mayer, Tueur de bisons, Anarchasis, 2025, 121 pages
(copyright 2010 pour la traduction de l'anglais par Frédéric Cotton)
Titre original: The Buffalo Harvest (1958)
Je dirais que la lecture de cet ouvrage, qui se présente comme le récit d'un des derniers témoins et acteurs de l'extermination du bison d'Amérique, nécessite de disposer d'une grille de lecture bien ajustée afin d'en tirer tous les enseignements. La présentation de l'éditeur évoque un Frank Mayer né vers 1850 (à ce qu'il dit [de] lui-même, "faute de traces vérifiables") et mort à 104 ans en 1954, cependant que l'auteur qui consigna la publication posthume en 1958 de ses souvenirs était un certain Charles B. Roth, "journaliste affairiste du Middlewest": "il reste difficile de savoir avec certitude quand et où les propos que l'on va lire ont été délivrés". Voilà pour la véracité historique de l'ouvrage. Il n'en demeure pas moins que celui-ci présente un intérêt certain et est bien écrit ("avec une gouaille non dénuée d'auto-dérision, [Frank Mayer] rapporte le quotidien des "coureurs" de bisons lorsque, sur les pistes, ils exterminaient l'espèce")!
Nous avons bien entendu tous appris au lycée que le bison a été exterminé, en une décennie à peine, pour mettre fin au mode de vie des Amérindiens et permettre "l'ouverture à la civilisation" de leurs immenses territoires de l'Ouest américain. Ici, le "récit à la première personne" donne de la substance à cette vision "théorique". Et, en "homme d'affaires", Frank nous donne des chiffres bien plausibles sur le "pourquoi" et le "comment" de cette extermination (sur l'air de "si ce n'avait pas été moi, d'autres en auraient tiré profit").
Au départ de la "ruée vers le bison" du début des années 1870, une peau d'animal amenée en gare rapportait 3 dollars. La population de bisons étant potentiellement de 20 millions, il y avait 60 millions de dollars à disposition de qui voulait se les approprier. Nous sommes bien en Amérique, avec un capitalisme prédateur totalement désinhibé et sans aucune préoccupation environnementale à ce moment-là, mais un calcul "coût-bénéfice" clair. Il s'agit d'abattre, chaque jour, autant de bisons que les "dépeceurs" d'une petite équipe (5 hommes, dont le "patron/tireur") peuvent dépouiller de leur peau. Il s'agit juste d'être "efficace".
L'auteur nous parle au fil des pages du prix d'un bon fusil, à la fois puissant et précis à longue portée. Il assume son comportement de prédateur le plus désinhibé qui soit, avec calcul coûts-bénéfices (il est aussi capable de parler, avec le recul des années écoulées, de la loi des rendements décroissants). Il tenait compte du prix des cartouches qui, industrielles, coûtaient 25 cents, mais la moitié de ce prix en fabriquant soi-même ses cartouches (bonne poudre anglaise choisie par lui, étuis recyclés...). Au plus fort du massacre, 5000 chasseurs traquaient non pas les deux "immenses troupeaux" (nord et sud, qui ne se mélangeaient guère) décrits par l'imagerie, mais des hardes éparses de quelques dizaines à quelques centaines de bêtes menées par une matriarche qu'il s'agissait de neutraliser en premier, désorientant les autres ("animaux stupides")... jusqu'à extermination totale.
Le récit, très vivant, est illustré d'anecdotes, de quelques rencontres avec des indiens, avec des personnalités de l'époque... J'extrais (p.34) ce qu'il rapporte des dires d'un officier l'approvisionnant en munitions gratuites: "Mayer, de deux choses l'une. Soit les buffalos doivent disparaître, soit les indiens doivent disparaître. C'est seulement lorsque l'indien sera totalement dépendant de nous pour tous ses besoins qu'on pourra le maîtriser. Pour le buffalo [sic!], il est trop indépendant. Mais si on tue le buffalo, on conquiert l'indien. Ça paraît plus humain de tuer les buffalos plutôt que les indiens, alors les buffalos doivent disparaître, il a conclu."
Pour un investissement initial de 2000 dollars (pas à la portée de n'importe quel coureur de plaines), il dit avoir gagné, net, deux ou trois mille dollars les meilleures années... argent qu'il dépensait avec facilité. Une fois le "filon" épuisé et même gaspillé (certaines peaux étaient trop détériorées pour être vendues...) et les ossements de bisons jalonnant les plaines, sont arrivés d'autres hommes d'affaires avisés pour collecter lesdits os afin d'en faire des matières-premières industrielles ou agricoles. Il est ressorti de l'aventure avec... 2000 dollars, et tous ses souvenirs, dit-il.
J'inscris ce billet au challenge "American Year" 2025 chez Belette2911, ainsi qu'au challenge "2025 sera classique aussi" organisé par Nathalie.
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Foalferie et Yan (derniers billets en 2024) ou encore Nébal et Sandrine, avaient parlé d'une édition de 2013. Je n'ai pas encore trouvé de références vers celle qui vient de paraître.