Les armes de la lumière - Ken Follett
J'ai (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) réussi d'extrême justesse à finaliser une sixième et dernière participation aux challenges estivaux portant sur de gros bouquins. Cette année, c'est la "saga Kingsbridge" qui m'aura bien inspiré. Je pense que, pour l'an prochain, je lirai la "préquelle" (publiée en quatrième position) ainsi que le tome quatre (publié, lui, en troisième). Mais ici, c'est le cinquième titre dans la chronologie de la saga Kingsbridge dont il va être question (il couvre les années 1792-1824).
Ken Follett, Les armes de la lumière, Robert Laffont, 2023, 785 pages
Comme dans les autres volumes que j'ai lus (qui, eux, se situaient au Moyen Âge), nous suivons différents personnages, de différentes classes sociales. Mais cette fois-ci, plus de secret d'Etat comme "fil conducteur", celui-ci est plutôt remplacé par l'omniprésence de la guerre contre les armées de Napoléon: débouchés textiles pour fournir des uniformes d'une part, mais interruption du commerce avec les pays alliés de Napoléon, d'autre part. Par ailleurs, cette "histoire contemporaine" est plus proche de nous (nous sommes je suppose quelques-uns à pouvoir reconstituer tout ou partie de notre arbre généalogique sur deux siècles...). Impression sans doute accentuée par le qualificatif de "guerre mondiale" donnée dans le livre à la lutte des coalisés européens contre Napoléon.
En tout cas, cette Angleterre de la fin du XVIIIe et du début du XIXe laisse voir une "lutte des classes" extrêmement féroce entre ceux qui possèdent le pouvoir (que donnent les capitaux gagnés par l'exploitation des hommes) et les "prolétaires" qui n'ont que leur force de travail à vendre, sans avoir voix au chapitre sur les décisions les concernant, puisque la justice comme le pouvoir législatif sont aux mains des "puissants". Traversant cette société, on trouve aussi des divergences religieuses, entre l'église traditionnelle installée (l'église anglicane) et le mouvement de l'église "méthodiste" dont les tenants sont dépeints comme davantage soucieux de justice sociale dans ce monde-ci plutôt que dans l'autre. Du coup, je me suis demandé si "la lumière" faisait référence au "siècle des lumières" (de conception française et n'ayant pas été étrangère aux soubresauts provoqués par la Révolution française), ou bien à la lumière divine (montée des "méthodistes" en Angleterre). La partie I se déroule en 1792-1793.
Sal et Kit perdent leur époux et père, paysan, par la faute du fils du châtelain local, et se voient refuser par celui-ci toute aide, si ce n'est que le garçonnet (sept ans!) rentre à son service comme apprenti domestique. Pendant ce temps, à 21 ans, Amos se retrouve à devoir prendre la succession de son père, chef d'une entreprise tisserande, et découvre que celle-ci travaillait à perte et était lourdement hypothéquée au profit du plus gros manufacturier de Kingsbridge, Hornbeam. Elsie, la fille de l'évêque anglican, souhaite créer une "école du dimanche" à l'intention des enfants d'ouvriers. Elle s'entend pour ce faire avec quelques méthodistes, dont Spade, un entrepreneur qui ne déplait pas à sa mère. Avec encore nombre de personnages, il y a là matière à tisser force liens... et pas seulement force tissus.
Dans les parties et chapitres suivants, nous voyons arriver le machinisme à Kingsbridge, ce qui amène le regroupement des ouvriers dans des "fabriques" sous la férule des "patrons" alors que ceux-ci devaient anciennement "faire la tournée" de ceux (et surtout celles) qui travaillaient à domicile pour eux, par exemple comme fileuses ou comme tisserands. Je suppose que Ken Follett a lu Marx... au moins à titre de documentation? Sur ces décennies, nous assistons à la répression patronale contre les prolétaires travaillant dans les manufactures, qui n'ont pour subsister que le salaire de leur travail (à la pièce et non à l'heure). Il y a des gens de bon sens et de bonne volonté dans toutes les classes sociales. Mais l'antihéros qu'on aime haïr, celui qui apparaît comme le pire des salauds, est lui-même issu tragiquement de la misère (sa psychologie est décrite comme une peur panique de jamais y retomber: même s'il devenait l'homme le plus riche du monde, cela ne suffirait pas à le rassurer). D'où son intransigeance et sa lutte obstinée face aux ouvriers.
Cette "lutte des classes" s'enchevêtre dans le roman avec les guerres contre la France, qui amènent des besoins en terme d'uniformes (avec ou sans favoritisme voire prévarication pour les marchés avec la milice ou l'armée...). On peut lire des pages terribles sur le sort d'un gamin coupable d'avoir volé une bobine de rubans valant six shillings (et de sa mère). En Angleterre, on n'envoie pas un voleur au bagne comme Jean Valjean (pour un pain!) dans Les misérables... Certains des habitants de Kingsbridge, ouvrier, ouvrière, contremaître, propriétaire, évêque, fils de châtelain et j'en oublie, se retrouveront sur le champ de bataille de Waterloo. Avec cette multitude de personnages à suivre, nous nous trouvons infiniment mieux informés sur cette dernière bataille napoléonienne que ne le sont les lecteurs de La chartreuse de Parme par Fabrice Del Dongo (par contre, Ken Follett n'était pas sur le champ de bataille, cependant que Stendhal, s'il n'était pas à Waterloo, a participé à la campagne de Russie...).
Je voudrais encore dire que j'ai eu l'impression que ce roman était encore plus "dans l'air du temps" que les précédents, avec le développement de faits "de société" déjà présents, mais bien plus discrètement, dans des volumes précédents: un couple lesbien, un autre bien installé dans l'homosexualité masculine... Dans les dernières pages (à la fin de la partie VII qui couvre les pp.737-785 et les années 1815-1824), le méchant va à sa fin (la cathédrale y intervient), les maris encombrants disparaissent et les bons sont enfin récompensés (héritage, remariages, député, modification législative). Pour l'anecdote, je signalerais que, p.655, trois fautes de français m'ont griffé l'oeil dans le texte traduit. Mais comme quatre traducteurs sont crédités, impossible de savoir à qui cette page incombait!
Ce roman avait été lu par Anne-yes pendant les Epais de l'été 2024.
Et je vais conclure, avec ce billet, mes participations 2025 pour les challenges estivaux sur de gros bouquins: mon propre challenge des Epais de l'été 2025, mais aussi les Pavés de l'été 2025 chez Sibylline et les Pavés "saison été" chez Moka.
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