Deux livres condensés: Le Robinson des glaces - Marie Herbert / Alice van Meulen - Jacques Duquesne
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Cette fois, je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) crois que j'ai réussi un petit miracle: parler d'un livre dont, sauf erreur de ma part, il n'existe pas d'édition "à compte d'éditeur" en traduction française intégrale... Il s'agit d'un titre qui me paraît pouvoir tenir sa place dans le challenge Book trip en mer (saison 2) de Fanja, et je pense qu'on peut encore se le procurer d'occasion sur internet, dans l'édition que j'ai lue. Pour ma part, je l'ai déniché dans l'une des "bibliothèques partagées de hall d'immeuble" que je fréquente.
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Marie Herbert, Le Robinson des glaces (traduction par Denise Hélié de Winter of the white Seal, 1982), in Sélection du Livre, éd. Sélection du Reader's Digest, janvier 1986, 480 pages (2e oeuvre sur 4 contenues dans le volume, pp.128-223)
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Le livre à la première personne commence un peu comme Robinson Crusoé: un jeune homme (Jonathan Horn) "a pris la funeste décision de quitter le toit familial pour courir de par le monde". Mais là, nous sommes en 1818 et le jeune homme (fils unique d'un riche armateur qui lui refusait l'autorisation de naviguer) est né en 1798 à Liverpool. Parti à Londres, il comprend trop tard que le navire sur lequel il s'est engagé les yeux fermés, le Moonraker [décidément! Cf. mon billet du 30/08/2025] est équipé pour la chasse aux phoques. Il se retrouve en vue de la Georgie du Sud (sud de l'Atlantique). Apparemment, il n'a pas bien profité de ses études de comptabilité, quand il note que, ayant droit au cent-vingtième du bénéfice, il a droit au produit d'une peau de phoque sur 120 (confusion entre "chiffre d'affaires" et "bénéfice", disons!). Comme une flottille de navire occupe déjà la plupart des "territoires de chasse", leur bateau poursuit sa route vers le nord à la recherche d'une plage sans concurrence (ils cherchent des éléphants de mer pour leur graisse et des otaries principalement pour leur fourrure). Quelques pages décrivent les opérations - avant une attaque de matelots hollandais, au cours de laquelle notre héros renverse le chaudron d'huile bouillante, ce qui met fin au combat! Au bout de 18 jours, après avoir "épuisé" une seconde plage, ils se dirigent vers le cap Horn. Après des jours et des jours de navigation, le 22 novembre 1818, ils jettent l'ancre dans une baie, et le lendemain trouvent une presqu'ile "où des milliers de pinnipèdes se prélassaient sur les plages".
Notre matelot (affecté au débitage du lard) est charmé par "(...) une magnifique femelle à la fourrure blanche allaitant son petit dont le pelage était également blanc". Alors qu'un coup de feu enjoint aux marins à terre de rejoindre le bateau, Jonathan essaye d'empêcher un de ses compagnons de tuer "la bête superbe", et se fait assommer. Il revient à lui au milieu des phoques et la tempête fait rage. Il lui reste le chaudron, les tonneaux à graisse, les vivres prévus pour l'équipe d'abattage à terre, aucune allumette... mais le feu sous le chaudron, par chance, n'est pas totalement éteint: de quoi survivre, car le Moonraker ne reviendra jamais le chercher. Le bateau a manifestement coulé durant la tempête, et Jonathan n'en retrouvera sur la plage qu'une chaloupe échouée, deux cadavres et quelques épaves. Pour rallumer son feu, il utilisera le même moyen qu'un héros de Jules Verne: une lentille taillée dans la glace translucide et les rayons du soleil! Et nous en sommes à la fin du chapitre 3 (p.157).
À la fin du chapitre 10 (p.222), Jonathan semble sur le point d'être ramené à la civilisation par un navire qui aborde par hasard son île. Nous sommes en janvier 1820, plus d'un an a passé (description de la vie quotidienne: explorer et exploiter les maigres ressources locales, se nourrir...). Bien serrés afin de se tenir chaud, il s'est retrouvé à partager sa couche durant tout l'hiver (ant)arctique avec le jeune phoque albinos qu'il avait une nouvelle fois sauvé et appelé Gribouille. Mais la morale est sauve, c'était une femelle! Bref, je suis ressorti de cette lecture tenaillé, bien entendu, par l'envie de savoir ce que pouvait être l'oeuvre "non condensée".
Je n'ai malheureusement pas trouvé d'autre édition en français de ce livre (Winter of the white Seal) que l'édition "condensée" pour laquelle Sélection du Reader's Digest avait dû payer des droits, je suppose. En regardant la fiche de l'Irlandaise Marie Herbert sur wikipedia en anglais (consulté le 28 septembre 2025), je me suis demandé s'il n'y aurait pas eu abandon d'un projet éditorial puisque c'est à peu près le moment où l'auteure a vécu une tragédie familiale? Mais, faute d'informations, ce n'est qu'une supposition de ma part bien entendu.
Cerise sur le gâteau: je n'avais même pas fait attention quand j'avais pris le volume en main qu'un autre des quatre titres qu'il contenait parlait aussi de bateaux: un autre livre condensé (mais cette fois-ci, la "version complète" en existe puisqu'il s'agit d'un roman français [qui venait d'être édité chez Grasset en 1985]). Un exemplaire du roman est disponible en "réserve centrale" des bibliothèques parisiennes!
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Jacques Duquesne, Alice van Meulen (même volume, 1ère oeuvre sur 4, pp.11-126)
[Edition originale: Bernard Grasset, 1985, 274 pages]
Après avoir lu ces pages, j'ai pensé à (du) Pierre Benoit, d'autant plus avec ce prénom qui commence par un "A". Alice van Meulen, qui donne son nom au roman, est l'un des personnages du livre, mais je ne sais pas si elle en est vraiment, ou non, l'héroïne principale. Dans son roman publié en 1985, le journaliste-romancier Jacques Duquesne (1930-2023) situe son intrigue un peu plus d'un siècle plus tôt, en 1880, dans les débuts de la Troisième République donc. À l'époque, la Commune de Paris remonte à moins de 10 ans, les grandes lois (Enseignement primaire [Jules Ferry, 1881-1882], Presse [1881], liberté syndicale [Waldeck-Rousseau, 1884]) n'ont, comme chacun sait, pas encore été promulguées, et l'Etat ne s'est pas encore séparé de l'Eglise. Le romancier aborde dans son ouvrage, à sa manière (il y a 40 ans tout d'même!) les thèmes de la romance, de la place de la femme dans la société, voire de l'intégration des enfants "différents". Mais commençons par le début.
Au large de Dunkerque, dans la nuit et la tempête, le canot insubmersible de l'Association Dunkerquoise du sauvetage en mer sauve deux passagers d'un schooner en détresse (qui les avait amenés à sortir) et croise durant cette sortie en mer un navire bizarre. Dans le même (premier) chapitre, nous sont présentés Pierre Vandromme, propriétaire d'un chantier de construction navale, et Alice van Meulen, veuve d'un brasseur de l'entreprise duquel elle a repris fermement les rênes et mère d'un jeune garçon (Félicien, l'héritier, 6 ou 7 ans) qu'elle couve (et étouffe), qui se croisent pour la première fois dans un bal masqué à Lille. Lui va se trouver en butte au soupçon d'avoir fait construire par son chantier un navire servant à la contrebande du tabac (un coup monté qui se résoudra dans les dernières pages), elle va trouver toutes les raisons du monde pour lui courir après (jusqu'à le demander en mariage - incroyable pour l'époque!), même s'il a une maîtresse (Mathilde, rescapée du naufrage du schooner où elle était passagère, de retour des "Iles" après un séjour de 3 ans). Ajoutons l'histoire d'une maquette de bateau offerte au jeune Félicien, qui la fracassera dans un accès de rage, l'histoire de Jean Bart (Dunkerquois) contée à l'enfant, de même que les aventures de la mère de Pierre, du temps où elle naviguait à bord du navire de son capitaine de mari (père de Pierre), avant la création du chantier naval... et l'on voit que navire et mer sont largement présents dans l'histoire. Je ne savais pas que dessiner des moustaches à la figure de proue féminine d'un bateau (de pêche) était la pire insulte possible contre un capitaine (p.73). Côté "romance", j'ai apprécié à sa juste valeur la scène de rupture avec la maîtresse (pp.60-61).
"- Je ne viendrai plus, Mathilde. (...) Elle s'était laissée tomber à ses pieds, les mains sur les oreilles, pour ne rien entendre. Il allait donner des raisons, bien sûr - les hommes donnent toujours des raisons: comme si les raisons avaient un sens, comme si les raisons étaient des excuses, comme si elles cicatrisaient les plaies, empêchaient le mal, et permettaient d'oublier. Au diable, les raisons! (...)
- Dehors! Elle s'était relevée, le repoussait.
- Ne renverse pas les rôles. Ce n'est pas toi qui me chasse. C'est moi qui m'en vais. Tu comprends: c'est moi".
On a aussi quelques scènes cocasses avec une "feuille à chantage" (comme dans Topaze de Marcel Pagnol) qui cherchait à faire chanter Pierre. Mais tout finira bien...
Les deux autres "condensats" du volume sont Quatre enfants et un rêve (Christian & Marie-France des Pallières) et Fête fatale (William Katz). Je ne les ai pas lu, j'ai juste vérifié qu'il n'y était pas du tout question de bateaux.
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Sélection du livre était le "club de livre" du magazine Sélection du Reader's Digest. Moyennant un abonnement, un certain nombre de volumes était proposé chaque année. La spécificité de ce club-là était que chaque volume contenait quatre titres "condensés" (et non en "texte intégral"), ce qui fait que, malgré la belle reliure (dorure sur faux cuir...), ils sont peu recherchés par bibliothèques ou libraires d'occasion (on trouve sur le net le conseil de les donner à des EHPAD ou des prisons, ou d'en mettre le papier au recyclage). Quarante ans après, le papier en a beaucoup jauni en tout cas. Ceci dit, j'ai vérifié qu'on peut s'en procurer des volumes (dont celui-ci) sur internet.