Des Jules Verne qui nous mènent en bateau
Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) vous propose en ce dernier jour de septembre ce qui sera, je pense, mon dernier billet sur des oeuvres signées Jules Verne comportant bateaux et navigation maritime (les précédents ici, ici et ici). Je n'ai pas trouvé en bibliothèque parisienne tout ce que je souhaitais (par exemple, une édition "texte intégral" de Bourses de voyage). J'y ai tout au moins fait deux emprunts, que je complète avec deux achats (mais je n'ai pas non plus déniché de vieilles éditions "10/18", par exemple pour Les naufragés du Jonathan).
Le "signé Jules Verne" que j'employais ci-dessus n'est pas totalement innocent. En effet, les titres que je présente aujourd'hui ont en commun d'avoir été co-écrits par tel ou tel auteur, ...ou d'avoir été ultérieurement retravaillés pour publication par le fils de Jules Verne.
L'épave du Cynthia (publié en 1885) est à part dans l'oeuvre de Jules Verne. Elle est parue sous la cosignature de notre auteur et d'André Laurie. Ce dernier nom est l'un des pseudonymes utilisés par Paschal Grousset (1844-1909). J'ai appris en consultant aujourd'hui sa notice Wikipedia qu'il était également l'auteur initial de deux manuscrits qui, retravaillés par Jules Verne, ont donné, publié sous son nom par celui-ci, Les cinq cents millions de la Begum et L'Etoile du Sud (aucun bateau dans ces deux-là). Quoi qu'il en soit, leur Epave du Cynthia constitue un roman touffu. L'exemplaire que j'ai lu provient d'une réédition de 1977 dans la collection "bibliothèque aérienne" des Humanoïdes associés (Maison davantage connue pour sa production en bande dessinée qu'en roman!). Le directeur de collection, qui signe aussi la préface, est François Rivière: je suppose (sans certitude) qu'il s'agit du romancier, éditeur, scénariste de BD... dont la fiche wikipedia le concernant ne comprend comme seul lien avec les Humanoïdes associés qu'une BD parue dans Métal hurlant. On y mentionne aussi un essai titré Jules Verne, images d'un mythe paru en 1978. - Bon, t'as fini avec tes cuistreries? Quelle est la part respective de Laurie et de Verne? - J'en sais rien. - Place à l'histoire, alors.
Un bébé trouvé dans une bouée, confié à la mer pendant une tempête, en Scandinavie? Bon sang mais c'est bien sûr, il doit s'agir de... Thorghal Aegirsson, dans la série BD du même prénom (créée par Van Hamme & Rosinski)? Ben, non.
Dans le roman L'épave du Cynthia, parfois longuet (265 pages dans la présente édition, mais lu jadis en édition jeunesse, peut-être abrégée?) et d'autres fois expéditif, il est question de marins, de bateaux, mais aussi d'expédition vers l'océan arctique. Il constitue à la fois une "quête des origines" pour un enfant trouvé, un "roman d'aventures" et un "récit de voyage". Mais le récit prend son temps pour se lancer. Nous découvrons progressivement, par les yeux de ceux qui resteront des personnages secondaires jusqu'au bout, le jeune Erik, enfant recueilli en mer (bébé de 7 mois), qui vit dans le village de Noroë (près de Bergen, sur la côte occidentale de la Norvège). Elevé comme l'un de leurs enfants par de pauvres pêcheurs, c'est, quand l'histoire commence, un écolier d'une douzaine d'années. Meilleur élève de l'école locale, il a l'opportunité de poursuivre ses études jusqu'en médecine à Stockholm, tout en passant par plaisir le brevet de capitaine au long cours... et en s'efforçant de retrouver sa vraie famille. Plusieurs navires traversent le roman: la barque de pêche sans nom du père de famille, le fameux Cynthia perdu en mer à la hauteur des Îles Feroë (apprend-on), le Vega (navire de l'explorateur Nordentskiold), le Nordenskiold parti à sa recherche en suivant la même route, l'Alaska parti à sa rencontre par le passage du Nord-Ouest avec Erik comme second (au départ), le yacht l'Albatros (un navire pirate, quasiment). C'est à la recherche d'un marin signalé par le Vega qu'Erik se lance dans son périple et y affrontera mille dangers et un mystérieux ennemi. Entre autres, navigant sur carte dans des parages qu'il ne connaissait pas, le capitaine de l'Alaska, refusant d'écouter son second, ordonne une route qui flanque le navire sur un haut-fond, et se hâte de se suicider. Plusieurs heures s'écoulent ensuite, avant qu'on s'aperçoive que les cartes avaient été trafiquées par un malfaisant! Erik, qui en décembre 1878 venait d'entrer dans sa vingtième année, deviendra suffisamment célèbre au cours de ses aventures (auteur du premier périple circumpolaire) pour que sa vraie famille le recontacte: le voilà riche héritier et libre d'épouser qui lui chante. Cette fin m'a un peu fait songer au Sans famille d'Hector Malot. Le coup de théâtre final se dénoue dans les 2 dernières pages (p.148-150, prémonition...). Au final, il m'apparaît que "l'épave" ne désignait pas la carcasse d'un navire coulé ou échoué, mais bien "ce qui restait" du navire, à savoir Erik et la bouée à laquelle était accrochée son berceau.
J'ai presque eu la larme à l'œil en voyant sur la 3e de couv' de ce livre pourtant plus jeune que moi le "triangle" orange (abondant en consignes: "Rendez vite vos livres : d'autres lecteurs les attendent... [etc.]") qui indiquait que ce livre provenait bien d'un fonds datant d'un système de prêt que les moins de trente ans ne peuvent pas connaitre... (destiné à accueillir la carte du livre, sur laquelle étaient inscrits les numéros des emprunteurs successifs et tamponnées les dates de retour). L'ouvrage est désormais tamponné "Réserve centrale", alors que son tampon précédent [Bibliothèque-discothèque (sic!) Plaisance (75014)] est rayé d'une croix.
Ce petit livre, titré L'expédition de La Pérouse sous la signature de Jules Verne, a été publié en 2020 aux éditions Magellan et Cie, en Points Aventures N°P5493 (122 pages), dans une sous-collection "Un esprit de liberté" dirigée par Fabrice Franceschi (j'aurai sans toute l'occasion de reparler de lui dans un prochain billet). Le livre ne contient que le texte, sans autres "mises en perspective". Je ne peux que supposer qu'il doit être extrait d'un ouvrage du vulgarisation auquel Jules Verne avait travaillé à la demande d'Hetzel (attention, je vais encore faire mon cuistre!): Découverte de la terre, Histoire générale des grands voyages et des grands voyageurs (en collaboration avec Gabriel Marcel), trois tomes (en 2 volumes chacun) dont le tome 2, publié en 1879, avait pour titre Les grands navigateurs du XVIIIe siècle. La Pérouse y figure au 1er chapitre de la deuxième partie ("Les navigateurs français"). Cf. Wikipedia (consulté le 30/09/2024) pour en savoir plus. Mais, c'est vrai, je n'ai pas cherché à me reporter à l'édition "complète" pour confronter les textes (tout ça est depuis belle lurette dans le domaine public). En tout cas, Jules Vernes avait déjà parlé de La Pérouse dans 20 000 lieues sous les Mers. Dans ce roman, il évoquait le lieu de naufrage du troisième navire construit à Vanikoro par les survivants de l'expédition après la perte de l'Astrolabe et de la Boussole. Il imaginait que c'était aux Îles Salomon, "sur la côte occidentale de l’île principale du groupe, entre les caps Déception et Satisfaction", par une perte corps et biens, que s'était achevée cette histoire. Dans son livre de vulgarisation, plus sérieux, il ne donne que les faits. La relation proprement dite de l'expédition de La Pérouse s'arrête p.80, avec un dernier courrier écrit à Botany Bay, le 7 février 1788. Les 42 pages finales font le point sur les recherches menées pour retrouver sa trace. Le texte (de Jules Verne et/ou de son collaborateur, si mon hypothèse est bonne) n'est pas particulièrement tendre avec Bruny d'Encastrevaux, qui commandait l'expédition de secours partie de Brest en septembre 1791 avec deux navires, la Recherche et l'Espérance, et des vivres pour 18 mois. Il semble au moins trouver que d'Encastreveaux (qui n'est pas revenu vivant de son expédition) a pu manquer de zèle pour explorer toutes les îles croisées (il n'a pas abordé Vanikoro, par exemple) et pour interroger avec suffisamment de persuasion pour qu'ils répondent les indigènes rencontrés (notamment dans l'archipel des Amis ou en Nouvelle-Calédonie). Cette "expédition de secours", si elle n'a pas rempli sa mission initiale, a du moins rapporté "une ample moisson de faits, d'observations, de découvertes dans les sciences naturelles (...)".
En Magellanie, c'est le titre et la version d'origine d'un manuscrit de Jules Verne écrit en 1897-1898 (oui, il avait de l'avance, alors qu'il paraissait un "Verne" par an!), qui a été retouché par Michel Verne et est devenu Les naufragés du Jonathan lors de sa première publication (chez Hetzel) en 1909 sous le nom de Jules Verne (mort en 1905 en laissant au moins 6 romans inédits). Le manuscrit original a été publié par la Société Jules Verne en 1987 (tirage limité), avant une édition à diffusion plus large. Mon exemplaire? Folio N°3201, 1ère éd. 1999, impression. mars 2005, 347 pages. Son contenu? On nous présente un homme d'apparence européenne âgé d'entre 40 à 50 ans, le Kaw-Djer (l'ami, le bienfaiteur, en langage indigène des Pêcherais). Il est arrivée vers 1872 en Terre-de-feu, et s'est établi sur l'île Neuve [Nueva] où il vit avec le pilote d'origine indienne Karroly et son fils sans se reconnaître ni dieu ni maître. Leur chaloupe à deux mâts porte le nom de Wel-Kiej. En 1881, suite à une définition de frontière entre Argentine et Chili (mission de l'aviso Gracias de Dios), l'île devient officiellement chilienne! C'est le coup de canon d'un navire en détresse qui retient le Kaw-Djer au bord du Cap Horn duquel il allait se précipiter. Le quatre-mâts à coque de fer Jonathan (de San Francisco) est en perdition dans la tempête, ses officiers morts ou hors d'état de commander. Il transportait 900 émigrants en route pour s'établir en Afrique du Sud sur un territoire portugais [Angola?]. Les survivants débarquent sur la presqu'île Hardy de l'île Coste. Nous sommes vers la page 200. La colonie sera fondée en terre magellanique, sous la direction d'un M. Rhodes (non, le roman ne le prénomme pas Cecil, mais Harry!). Il ne reste plus qu'à construire un phare, ce sera fait en 1890 (dix ans plus tard), et la colonie achète alors le Yacana, un steamer de 300 tonnes... Je vous passe les péripéties, les questions philosophiques sur la gouvernance d'un groupe humain, le rapport au pouvoir... Apparemment, l'utopie de Jules Verne était plus généreuse que la version donnée par son fils en ajoutant vingt chapitres et en en supprimant cinq du texte d'origine, selon ce que je comprends de la préface signée Olivier Dumas (président de la Société Jules Verne). Je rappelle que je n'ai pas lu Les naufragés du Jonathan.
J'ai même découvert par hasard qu'Ariane Mnouchkine avait tiré en 2010 de l'histoire un spectacle, Les naufragés du fol espoir, plus proche de la version de Jules Verne que du texte remanié par Michel Verne.
Très rapidement, un petit éclairage sur Le phare du bout du monde. J'ai déjà évoqué ce titre, du moins sa version en Livre de Poche (mon exemplaire, imprimé semble-t-il en 1968, m'avait été offert en 1980), en signalant ici que j'en possède désormais une autre version. Mon Folio N°4036 (266 pages), 1ère édition 1999, dépôt légal avril 2004 (même préfacier que En magellanie), donne cette fois à lire la version d'origine, avant les retouches apportées par Michel Verne. Comme c'était le premier texte sur lequel il intervenait, celles-ci avaient été nettement plus discrètes. Le manuscrit a été rédigé par Jules Verne en 1901, et le roman est paru seulement neuf mois après la mort de Jules Verne. Apparemment, Michel Verne avait mal relu les épreuves, d'où quelques coquilles. Il s'est permis quelques corrections de style. Il a aussi rajouté un "raid" de l'un des héros, le gardien de phare Vasquez pour faire sauter le gouvernail de la goélette pirate Carcante (ex-Maule) et la retarder jusqu'à l'arrivée de l'aviso Santa Fe. Mais les différences sont relativement faibles. Prenons le début du roman...
Version Hetzel (1905) / Livre de Poche [Michel Verne] | Version originelle (1999) / Folio [Jules Verne] |
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Le soleil allait disparaître derrière les collines qui limitaient la vue à l’ouest. Le temps était beau. A l’opposé, au-dessus de la mer qui se confondait avec le ciel dans le nord-est, quelques petits nuages réfléchissaient les derniers rayons, qui ne tarderaient pas à s’éteindre dans les ombres du crépuscule, d’assez longue durée sous cette haute latitude du cinquante-cinquième degré de l’hémisphère austral. | Le soleil allait disparaître derrière la ligne de ciel et de mer qui limitait l’horizon à quatre ou cinq lieues dans l’ouest. Le temps était beau. A l’opposé, quelques petits nuages absorbaient çà et là les derniers rayons, qui ne tarderaient pas à s’éteindre dans les ombres du crépuscule, d’assez longue durée sous cette haute latitude du cinquante-cinquième degré de l’hémisphère austral. |
L'argument reste exactement le même: la bande du pirate Kongre, cachée dans une grotte pendant que se construisait un phare sur l'île des Etats, a massacré les deux collègues de Vasquez. Celui-ci a pu s'échapper et a recueilli Davis, le second du trois-mâts américain Century, naufragé parce que le phare était éteint. Kongre, seul survivant de sa bande, se suicidera.
Comme mes trois recensions précédentes, j'inscris ce billet pour le challenge Book trip en mer chez Fanja, tout en participant également au challenge 2024 sera classique aussi organisé par Nathalie.
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Je crois que, cette fois, je vais en rester là pour mon book trip en mer vernien. Je n'ai pas fait de recherche systématique pour savoir si Jules Verne était ou avait été beaucoup chroniqué sur des blogs littéraires. Si les moteurs de recherche ne donnent plus de renseignements sur les blogs anciens, j'aurais pu du moins chercher dans les blogs "en lien" (colonne de droite) si "Verne" renvoie quelque chose... Je ne l'ai pas fait. En tout cas, pour que je fasse sur l'un ou l'autre roman des billets plus complets que les quelques lignes que j'ai pu consacrer à quelque 35 titres, il faudrait que ce soit dans le cadre d'un challenge (au long cours) spécifiquement dédié à Jules Verne. Les romans de Jules Verne s'inscrivaient le plus souvent dans un cadre très contemporain pour lui et ses lecteurs, même si chaque décennie qui passe nous en éloigne davantage. On pourra commémorer l'an prochain, en 2025, le 120e anniversaire de sa mort. Je songe de plus en plus à une "activité Jules Verne" (sur un trimestre, ou plus longuement?), mais j'aimerais trouver un ou plusieurs blogs pour co-organiser, en prenant en compte la richesse des possibilités (les romans, mais aussi leurs adaptations sous toutes formes (cinéma, série TV, radio, théâtre, bande dessinée, manga...), et ce qui peut être plus périphérique: biographies, expositions, suites éventuelles...). Des suggestions? Des volontaires?