Moi, Osmane, pirate somalien - Laurent Mérer
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J'ai (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) déniché tout récemment (mais pas dans une bouquinerie!) deux exemplaires, deux versions successives d'un même ouvrage, et le titre m'a amené à lire l'un puis à feuilleter l'autre. Bien entendu, c'est encore grâce au challenge Book trip en mer proposé par Fanja que je me suis focalisé dessus.
Laurent Mérer, Moi, Osmane, pirate somalien
Editions Koutoubia / Editions Alphée, 2009, 122 pages
Editions du Rocher, 2012, 167 pages
Lorsque ce titre m'est tombé sous les yeux, j'ai tout d'abord cru qu'il s'agissait d'une véritable "autobiographie" (éventuellement "réécrite" par un journaliste ou un écrivain professionnel). Erreur! L'ouvrage est qualifié en "fiction romanesque" en quatrième de couv', mais le mot "roman" qui figure discrètement en page de titre de l'édition Koutoubia de 2009 est ... mis en couv' de l'édition de 2012. Pratiquement chaque paragraphe, voire chaque phrase, ont été réécrits (peut-être dans un style plus "nerveux"?). J'aimerais bien savoir si c'est l'auteur qui a décidé de sa propre initiative d'"améliorer" son texte, ou bien si l'éditeur le lui a demandé, voire a demandé à un tiers de s'en charger... La seconde version du récit proprement dit est aussi plus longue (se finit p.102, contre p.79 dans la version 1... même si ce ne sont pas les mêmes polices de caractères).
Mais le fond n'a pas changé. Le principal du livre est composé d'un récit "à la première personne", qui commence par l'interception par des "commandos marine" en hélicoptère d'un 4 x 4 dans lequel se trouvait le fameux "Osmane" et six autres hommes, avec une partie de la rançon versée par les armateurs de l'Octant. Osmane arrive à s'échapper, il se rappelle ce qui l'a amené là, en Somalie, pas loin de la côte... Instruit (il parle anglais, est payé par une ONG italienne pour faire fonction d'instituteur dans un village côtier), il a vécu à Mogadiscio jusqu'à la mort de toute sa famille (en son absence) lors d'une explosion qui a anéanti la maisonnée entière dans le contexte de guerre civile. Puis, arrivé dans ledit village côtier, il y a vu les pêcheurs locaux en butte au pillage de la ressource halieutique par des chalutiers étrangers en l'absence de tout pouvoir étatique capable de les protéger, les pêcheurs sortant de vieux fusils pour se faire justice eux-mêmes en abordant et rançonnant ces navires, puis l'argent appelant l'argent, l'audace augmentant, l'activité se développer, plus ou moins par hasard, avec l'abordage d'un cargo en panne. Le tsunami de décembre 2004 a ramené sur les plages des fûts de déchets toxiques immergés illégalement devant les côtes somaliennes par un système mafieux (pratiquement des déchets "NBC", à lire l'auteur), rendant malades voire tuant poissons et humains. D'où la "professionnalisation" de la piraterie, seul moyen de faire désormais vivre la population locale avec tout un écosystème de soutiens/bénéficiaires/"ayants-droits" à terre... Mais l'aventure tournera mal pour notre narrateur, Osmane, alors qu'il a acheté un carnet pour commencer d'y raconter son histoire, avec le projet de passer illégalement au Yemen... ("épilogue": le crime ne paie pas... ses dollars n'ont pas été retrouvés!).
Né en 1948, l'officier de marine Laurent Mérer a quitté l'institution en 2006 (il avait rang, appellation et prérogatives de Vice-Amiral d'Escadre (VAE) correspondant à un officier général "quatre étoiles"). Il a été ALINDIEN [voir Wikipedia consulté le 29/10/2024], sujet de son premier ouvrage publié en 2006 (année où il a quitté la Marine), de 2001 à 2004. Sa bibliographie compte aujourd'hui plus de 10 ouvrages. On sent qu'il connaît son sujet, et que, à défaut de sympathie pour son personnage, il l'a conçu comme une synthèse explicative de la question de la piraterie contemporaine dont il se présente comme un spécialiste. J'ai trouvé l'aspect sociologique fort dans ce livre: pauvreté, conditions naturelles et environnement dégradés, contexte de guerre, drogue, afflux d'argent avec toute la convoitise d'accès aux produits occidentaux qui peut l'accompagner...
J'ai lu ce livre "d'actualité" (qui présente donc l'originalité d'exister en deux versions) avec mon oeil de lecteur d'aujourd'hui, 12 et 15 ans après leur parution. Octant rebaptise de manière transparente le Ponant, voilier de croisière pris d'assaut en 2008 (par de petites embarcations rapides) dans le golfe d'Aden, avec 30 membres d'équipage à bord, puis amené le long des côtes du Puntland, à proximité du village côtier de Garaad (le nom du village a disparu dans la seconde édition). Les 6 pirates finalement arrêtés par les commandos marine ont été jugés en France (de même que ceux capturés lors des affaires du Carré d'As IV [2008] ou du Tanit [2009]). Entre 2007 et 2011, la France a connu une période de vide juridique (entre l'abrogation d'une loi de 1825 sur la piraterie et la mise en place d'une nouvelle législation). Tous les pirates condamnés en France doivent aujourd'hui avoir purgé leur peine (certaines des personnes capturées ont été acquittées et/ou ont obtenu des dommages-intérêts). À l'époque, le chef suprême des armées avait ordonné, dans ces trois affaires, l'intervention des commandos marine: un message d'impunité zéro de la part de la France...
Dans les éléments qui complètent le roman proprement dit, plusieurs éléments ont disparu d'une édition sur l'autre. D'une part, une phrase (p.100) comparant les problématiques des moyens de lutte contre la piraterie et celles de la lutte contre la pollution par rejets illicites ("dégazages"). D'autre part, la proposition d'utiliser des "leurres" pour appâter les pirates (p.110). Enfin, cette édition reproduit deux tribunes publiés dans Le Figaro pour alerter sur les besoins de la Marine nationale.
On trouve par contre dans la seconde version (à ce jour) deux grands développements: une compilation sur la piraterie à travers les âges, "les pirates d'hier et d'aujourd'hui": "pirates d'hier" (pp.111-132), puis "la piraterie aujourd'hui" (pp.135-167, largement complétée et actualisée). Le livre est intéressant en ce qu'il évoque, comme solutions à long terme, d'une part davantage d'aide au développement pour les populations locales au lieu de les abandonner à leur misère et aux mafias armées, et d'autre part un soin accru apporté au recrutement d'équipages plus nombreux et mieux formés, alors que l'économie mondiale repose beaucoup (trop?) sur le commerce maritime.
Pour finir, je signalerai que j'ai retrouvé dans ce roman tant le film Hijacking que, en problématique annexe, la question des déchets "occidentaux" évoquée dans le roman Cargo pour l'enfer.