En terre étrangère - Robert Heinlein
Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) découvre cette année, avec plus d'un demi-siècle de retard, une oeuvre bien iconoclaste de Robert A. Heinlein. En terre étrangère me permet ma dernière participation de l'année 2024 pour mon propre challenge marsien, mais aussi pour le 12e challenge de l'imaginaire organisé par Tornade, pour le challenge Américain Year [2024-]2025 de Belette et Chroniques littéraires, ainsi que pour le challenge 2024 sera classique aussi! organisé par Nathalie.
Robert Heinlein, En terre étrangère, Robert Laffont, 1970, 488 pages
(traduction Franck Straschitz, titre original Stranger in Strange Land, 1961)
Les 15 lignes de présentation du livre en 4e de couverture (que je vous épargne!) sont factuellement exactes mais ne rendent guère compte que des premières dizaines de pages de ce long ouvrage. Le pitch? Un orphelin né sur Mars des membres de la première expédition vers Mars (envoyée 8 ans après l'établissement de la première colonie sur Luna [sic!]) est ramené sur terre, après un quart de siècle, par la deuxième expédition. Je laisse la parole au capitaine van Tromp, essayant de mettre les choses au point avec le Ministre des Affaires Scientifiques qui souhaiterait que professeurs et médecins l'examinent (p.13):
"- [Michael] Smith - n'est - pas - un homme.
- Hein? Expliquez-vous mieux que ça, capitaine.
- Smith est une créature intelligente, avec une hérédité humaine, mais il est plus martien qu'humain. Nous sommes les premiers hommes qu'il ait vus. Il pense comme un Martien, a des émotions de Martien. Il a été élevé par une race qui n'a rien en commun avec nous... même pas le sexe. Malgré son hérédité humaine, le milieu dans lequel il a vécu a fait de lui un Martien. (...)".
Les premières dizaines de pages se présentent comme les aventures d'un journaliste et d'une infirmière qui tentent d'entrer en contact avec Michael, alors que celui-ci était "mis sous le boisseau" par les instances gouvernementales. Un faux "martien" est présenté publiquement à la télévision, le journaliste qui enquêtait disparaît, l'infirmière kidnappe le vrai martien... et l'amène chez un personnage plein de capacités (avocat, docteur, écrivain...), Jubal Harshaw. Celui-ci va tirer toutes les ficelles (juridiques, politiciennes, médiatiques...) pour assurer à Michael liberté et moyens d'existence (en le faisant reconnaître comme "légalement" propriétaire de Mars mais aussi héritier de ses parents biologiques, qui avaient inventé et breveté entre autres le moyen de propulsion interplanétaire...). Mission accomplie p.248. La phase d'apprentissage "terrienne" de notre héros peut alors commencer, dans la maison de Jubal et en contact avec les quelques hommes et femmes à son service. Si Michael a des capacités hors normes transmises par les Martiens (télépathie et télékinésie - incluant la "dématérialisation" hors de l'espace visible d'objets ou êtres animés "dangereux"), ses "émotions" sont à des années-lumière de celles ayant cours sur Terre.
L'action progresse fréquemment sous forme de dialogues ou de discours, rarement de Michaël, mais plutôt de son entourage. Jubal (le "deux ex machina", intelligent, ayant à sa disposition bien des moyens) n'est-il pas le "porte-parole" principal de Heinlein? Finalement, Michael lui-même va se révéler comme le "prophète" d'une nouvelle Eglise, fondée sur le partage total... de l'amour physique et de l'extase mentale dans le but d'acquérir une compréhension englobante, totale et partagée de l'univers ("vous gnoquez?"). Il aura ses fidèles (tant ses compagnons "terriens" de la première heure que des personnes qu'il aura identifiées comme capables d'accéder à l'esprit martien), mais se laissera martyriser...
Rappelons que ce livre a été publié dans l'Amérique de 1961! Bien avant 1968 (pour le côté liberté des moeurs), et dans un contexte où il était sans doute difficile de "jeter au panier" les religions du Livre. Je me suis étonné de ne pas trouver, dans les analyses faites par des exégètes de l'oeuvre de Heinlein, la moindre allusion au fait que Moon ou Ron Hubbard auraient pu être visés "par ricochet" dans ce livre plutôt "relativiste" en ce qui concerne toutes les formes de religions humaines. J'ai vu qu'en 1961, Heinlein avait dû raccourcir son livre d'un quart à la demande de son éditeur américain. Je ne sais pas si la version complète publiée par sa veuve en 1991 a depuis été traduite en français ou non.
La forme de cet ouvrage, où les "aventures" ne prennent pas forcément le pas sur l'expression d'une certaine vision de la marche de la société, analysée lors de longs discours ou dialogues souvent caustiques entre personnages à l'esprit vif, m'a rappelé d'autres oeuvres de Heinlein que je connais de plus longue date: les dialogues avec le "patron" qui évoquent ceux de Vendredi (1982), par exemple. Mais En terre étrangère est plus "fort" en ce qui concerne la matière "religieuse" que le roman "comique" Job, une comédie de justice (1984). Il faudrait que j'essaie de relire en 2025 Le chat passe-muraille (1985), dont j'avais abandonné il y a des années la lecture au bout de quelques dizaines de pages (cet abandon m'avait amené à faire une pause dans ma découverte de l'oeuvre heinleinienne - mais je l'ai aperçu récemment sur une étagère de ma pochothèque, sous un peu de poussière...).
Voir (entre autres) les billets de Xapur, Lutin82, Adlyn, Fonduaunoir (non commentable). Fanja avait lu en 2010 la version anglaise.