Je [ta d loi du cine, squatter] n'avais pas prêté une attention particulière au nom de Jean-Patrick Manchette (par exemple, je n'avais pas "capté" qu'il était mort en 1995...) avant d'avoir l'occasion par dasola de lire les 3 adaptations posthumes par Tardi de trois de ses romans. J'avais lu Griffu il y a des années (en édition Dargaud des années 80, et non dans l'EO aux Editions du square de 1978). A l'époque, je l'avais lu davantage pour le dessin de Tardi que pour son scénariste. Plus courte que les adaptations (une cinquantaine de pages, contre 75 pour Le petit bleu de la côte ouest, et une centaine pour La position du tireur couché ou Ô dingos, Ô châteaux), cette oeuvre (Griffu) est un peu particulière par rapport aux trois autres, parce qu'il s'agit d'un scénario de BD écrit directement pour Tardi et que les deux auteurs ont personnellement collaboré puisque Griffu a été publié du vivant de Manchette.

Ce n'est pas l'édition en photo ci-dessus (dont la couverture est totalement différente) que j'avais lue. Dans l'autre dessin de couv' (qu'on retrouve plus ou moins hors-texte de page de garde, et en page intérieure, p.29), le héros éponyme portait un imperméable boutonné, avec flingue en pogne et poing fermé, et avait donc l'air d'un dur, et non d'un gentil jeune homme...
A mon avis, l'habillement de Gérard Griffu a son importance. Son action commence en costard-cravate bien rasé pour finir près de poubelles, avec la barbe des 3 jours du con qui a mal dormi et en sale état. Au bout de quelques pages, on lui a fait le coup du renard au fond du puits, avant qu'il réussisse à se cavaler. La nouvelle couverture se situerait par là, mais cette image ne devrait pas exister (à cause de détails que je vous laisse trouver). Ensuite, évidemment, il cherche à savoir pourquoi et qui, et c'est parti (on ne le verra pratiquement plus qu'en imper hermétique ou à poil - à part 2 vignettes intermédiaires). Comme le dit souvent Tardi, le scénario de Manchette est un mécanisme d'horlogerie où chaque petit fait est à sa place. L'histoire se déroule sur trois jours, avec ce qui m'apparaît personnellement comme quelques incohérences (quelques repères permettent de savoir que, s'achevant un mercredi, son prologue s'était joué un samedi ou un dimanche - est-ce qu'un "privé" reçoit sa clientèle ce jour-là, en robe de chambre et mal rasé? Et pouvait-on dormir 14 heures dans une station de métro pour en sortir à 2 heures du matin dans les années '70?). Ca mêle étudiantes en sociologie et boite de strip-tease (quel rapport?). Il suit des pistes (adresse... petite... agenda... restaurant... journal... encore la petite...), s'accroche, en dur qui sait encaisser, malgré les gnons qui pleuvent et les morts qui s'accumulent. Il réfléchit, et ça l'énerve qu'on le prenne pour un crétin. Ca se termine donc avec deux pages pour résoudre l'intrigue, et deux pages de flingage final, où Griffu, en légitime défense et ne faisant que riposter, tue son monde à chaque coup de feu et quitte seul la scène, sur ces mots: "A cette pensée, là où je suis, je ris".
Il est hors de question que je me lance dans des évocations d'éventuelles similitudes avec des polars ou films noirs (américains ou autres), je ne m'y connais pas assez. Je dirai juste que, pour ma part, cet univers me fait penser, un peu, aux Enquêtes de Sam Pezzo, trois BD de Giardino parues chez Glénat dans les années '80.
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Et voici maintenant la chronique annoncée par dasola dans son article précédent. Concernant Le petit bleu de la côte ouest (je ne sais pas pourquoi ce titre me fait penser par association d'idée à "pigeon"? Peut-être à cause du Vieux bleu de Walthéry. Bref), je ne vais pas en faire une critique sociopolitique (ça a déjà été fait) sur le spleen du cadre. L'histoire dessinée par Tardi commence et s'achève sur des tours de périphérique où rêvasse le héros, Georges Gerfaut. Entretemps, ce père de famille sans histoire a dû rentrer dans la clandestinité, en quittant femme et enfants, parce qu'on en voulait à sa peau sans qu'il sache pourquoi (ben oui, ça arrive à tout le monde d'amener un blessé d'accident de la route à l'hôpital, non? On ne vous en veut pas à mort pour ça, d'habitude).

Il se retrouve traqué par deux tueurs professionnels, que l'on voit agir pour le compte d'un mystérieux commanditaire (le lecteur suit aussi l'action vue côté tueurs). Par chance, il réussit à en éliminer un, avant d'être contraint d'aller se terrer dans les montagnes pendant plusieurs saisons. Seule la résurgence inopinée du tueur survivant (qui avait repris la traque à son compte) ramène Gerfaut vers la civilisation - urbaine (arguer d'une amnésie, ça semble marcher facilement). Un dernier coup de balai pour liquider l'immonde salaud de service, et il peut reprendre sa vie antérieure - qui ne paraissait pourtant pas particulièrement lui manquer pendant tous ces mois? Et tourner en rond en voiture sur le périph'.
Ah, vérification faite, "petit bleu de Gascogne", c'est une race de pigeon "idéale pour la chasse", semble-t-il (?). Mais un télégramme ("petit bleu") joue aussi un rôle dans l'histoire. Et le gerfaut, c'est un faucon. Alors, allez savoir ce que l'auteur avait en tête...
Il reste encore plusieurs polars de Manchette à adapter, je ne sais pas si c'est dans les projets de Tardi? En 2009, il expliquait son (r)apport aux romans de Manchette, sans annoncer qu'il en dessinerait un troisième pour 2011. Mais si ce devait être le cas, je parierais sur Fatale, dont il parle incidemment dans une interview vidéo.
PS du 13/02/2012: on m'a familièrement soufflé que "petit bleu de la côte ouest" ferait référence à un morceau de jazz - enfin, du blues. Vous suivez? Mieux que moi alors!