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Le blog de Dasola
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30 mars 2023

Le livre est-il écologique? - Collectif

J'ai (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) découvert le livre objet du présent billet chez la librairie de quartier que je fréquente principalement. Il y a quelques années, je partageais équitablement mon budget "livres neufs" chez une seconde librairie, mais j'ai un peu "laissé tomber" cette autre à l'occasion de son changement de propriétaires, lorsque l'ancienne libraire a pris sa retraite et a vendu son "fonds de commerce", même si je continue à recevoir les invitations pour toutes les dédicaces et autres conférences qui y sont organisées... et auxquelles je ne prends pas le temps de me rendre, alors que certains sujets pourraient m'intéresser. Bref. Je reviendrai sur ce sujet plus bas.

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Le livre est-il écologique? Matières, artisans, fictions, 2020, Wildproject (collectif), 103 p., 9 euros.

Le problème avec les livres collectifs, c'est que, même portant sur un thème précis, ils peuvent parfois sembler faits de bric et de broc, avec des parties qui éveilleront plus ou moins l'intérêt de chaque lecteur, et/ou des plumes plus ou moins étincelantes. J'ai bien sûr été attiré par le "post-it" signalant que ce livre (en présentoir) avait été co-rédigé par ma libraire, que je connais depuis 19 ans, à l'époque où la librairie qu'elle avait en tête de fonder n'était encore qu'un projet qui cherchait du financement solidaire (les plateformes de financement participatif n'existaient pas à ce moment-là). Mais je recommence à m'égarer!

Je l'ai donc réservé, en demandant une dédicace (la fondatrice n'est depuis longtemps plus seule contrairement à ses débuts (dans un local plus petit), elle a depuis plusieurs années embauché des salarié.e.s et ouvert son capital à au moins une associée). Lorsque je suis repassé, elle était elle-même présente et j'ai pu lui rafraîchir la mémoire. Après cette "mise en contexte", j'en viens enfin au livre lui-même.

Comme le dit la quatrième de couv', "cet ouvrage a été réalisé par l'Association pour l'écologie du livre, qui oeuvre de façon interprofessionnelle sur les questions d'éco-responsabilité et de bibliodiversité". Le livre comprend trois parties principales, titrées "Etat des lieux (entretiens)", "Horizons (écofictions de libraires)" et "Vers l'écologie du livre (manifestes)". Selon la page "Crédits" (p.101), les textes qui le composent ont, pour certains, été publiés dans la presse, sur internet, ou dans un ouvrage précédent. 

La partie "technique" sur la filière livre (l'entretien avec ma librairie, mais aussi ceux avec un éditeur et surtout avec un forestier) est celle qui a le plus éveillé mon intérêt, en évoquant les problématiques des différents composants de la filière livre. Pour la librairie, l'entretien porte sur l'adéquation entre un projet spécifique pour une librairie et les contraintes (organisation des rayons, économie fragile du secteur livre...). L'éditeur (une petite Maison basée en Belgique) explique qu'il réalise 80% de son chiffre d'affaires avec 120 librairies seulement, avec lesquelles il a construit des relations privilégiées. Le forestier nous donne une vision (que j'ai trouvée passionnante!) de la filière "papier" (mondialisé) et de l'inertie des éditeurs, où les "gros" (en France, en tout cas) décident davantage en fonction de leurs intérêts propres que de celui de la planète...

La partie consistant en écofictions de libraires présente quatre nouvelles se déroulant dans quelques années (2030 ou après) et imaginant ce qu'a pu devenir leur métier. Elles ont été réalisées dans le cadre d'un atelier d'écriture en 2019 (l'intégralité des nouvelles produites peut être trouvée en ligne sur le site de l'association, rubrique "ressources"). Là, j'ai commencé à être un peu moins convaincu: certaines sont plutôt dans l'utopie, à mon avis (ayant pour cadre une communauté idéalisée qui possède une impressionnante collection de livres...). Vers la fin de la dernière nouvelle (p.77-78), j'avoue avoir été interpellé par les phrases suivantes: "Eh bien, en fait, on a créé une usine à papier recyclé il y a trois ans. Elle est au fond du champ derrière la librairie. Donc on fait à la fois de la récupération de livres endommagés ou qui ont peu d'intérêt pour les membres de la communauté, mais aussi de pas mal de chiffons; Et c'est avec ça qu'on fait pour ainsi dire l'ensemble du papier de la commune ainsi que quelques dizaines de livres en auto-édition". Autant je trouve génial cette production autonome de papier et sa finalité, autant je suis heurté par ce "mépris" pour certains livres, exclus a priori et définitivement (sur décision irréversible) de toute chance de lecture future, ce qui s'apparente à une forme de censure et me déplait. J'aurais préféré lire "... endommagés ou de livres en nombreux exemplaires qui ont peu d'intérêt pour les membres de la communauté (en veillant bien sûr à en préserver un exemplaire aux fins de conservation), mais aussi (etc.)". Mais bon, chaque lecteur ou lectrice pourra avoir son propre avis je suppose.

Enfin, à la lecture des deux "manifestes" de la troisième partie, j'ai commencé à accentuer ma réticence. Ces manifestes sont vraiment trop "conceptuels" pour moi, et j'avoue que mettre en avant le décolonialisme ou les réunions non-mixtes n'est pas forcément le meilleur moyen de capter mon attention bienveillante. Les chercheur.euses cité.e.s dans ces manifestes contribuent chacun.e à la "déconstruction" de l'écologie, à renommer "humanités écologiques", où peuvent prendre place les oeuvres des philosophes écoféministes, les anthropologues du non-humain, les zoophilosophes, les penseurs biorégionalistes, ceux écodécoloniaux, sans parler des écopoéticiens... En parlant de la convergence de certains de ces thèmes vers des ouvrages trangenres, ils m'ont perdu comme lecteur, sans, je le crains, me donner pour le moment envie d'en découvrir davantage. Dans le second manifeste, titré "Les trois écologies du livre" (écologie matérielle, écologie sociale, écologie symbolique), le parti pris assumé est de partir du principe que, dans la chaine du livre, le féminin l'emporte (note p.90 - je n'ose demander si c'est de l'humour, de la provocation pour pousser à la réflexion, ou qui sait quoi d'autre).

A vous maintenant, lectrices et lecteurs, de vous forger votre propre opinion après lecture.

*********************

Quelques réflexions sur mon propre rapport à la lecture ces dernières années

Finalement, ce billet m'a été l'occasion de m'introspecter sur mes modes de lecture. Qu'est-ce qui, désormais, me motive à ouvrir un livre?

D'abord, un aspect utilitariste. Il faut qu'il corresponde à une des thématiques sur lesquelles je suis "en veille": l'ESS (économie sociale et solidaire) en général, l'écologie ou l'agriculture bio ou de proximité en particulier. Une fois lu, je prendrai la peine de l'apporter en consultation aux membres de mon club d'investisseurs CIGALES, avant (selon le sujet) de le verser au système de prêt de livres au sein de l'AMAP dont je fais partie. Exceptionnellement, j'en aurai, auparavant, tiré un billet pour le présent blog.

Pour enrichir ma bibliothèque thématique personnelle, je m'astreins à lire quasiment un "essai" par semaine en moyenne. Certains font moins de cent pages là où d'autres en comptent plusieurs centaines, certains viennent de paraître tandis que j'en ai acheté d'occasion d'autres - parfois débris de bibliothèques rachetées en bloc par la bouquinerie avec une dédicace de l'auteur -  à quelques euros pièce.

D'autre part, côté littérature récréative, j'ai surtout tendance à relire des livres que je connais déjà. BD et manga figurent en bonne place dans mes lectures. En fait je lis bien davantage que je ne chronique. 

Pour que je rédige un billet, paresseux comme je suis, il me faut, là encore, une carotte: un "challenge" bloguesque de plus ou moins longue durée, même si rédiger un billet me demande un effort supplémentaire (sans parler des recherches pour trouver quelques liens vers des blogs en ayant déjà parlé - recherches de plus en plus ardues désormais).

Je lis en tout cas beaucoup plus de ce que j'appelle les livres "de stock" (déjà disponibles depuis des années, parfois même épuisés en neuf) que "de flux": je ne suis guère les parutions récentes, sauf s'il s'agit d'un ouvrage qui recoupe mes propres centres d'intérêt. Je sais que je ne pourrai jamais tout lire. Alors, autant me concentrer sur ce qui serait susceptible de m'intéresser, plutôt que de me lancer vers l'inconnu. Il ne me vient jamais à l'esprit de demander conseil à une libraire. Je trouve souvent mention de nouvelles parutions (essais) dans la presse, et vais alors les commander à ma librairie. C'est par contre sur les blogs que je détecterai un ouvrage que j'ignorais d'un auteur déjà connu de moi, ou, parfois, un billet attirant mon attention sur un ouvrage à côté duquel je serai passé autrement (et que je vais le plus souvent chercher à emprunter en bibliothèque).

Et vous?

20 mars 2023

Deux livres sur des canidés

Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) vous présente deux vénérables livres au format poche chinés pour quelques dizaines de centimes d'euros (30 centimes pour l'un d'une part, 20 centimes pour l'autre mais cinquante centimes si on en achète trois - et j'en avais pris 9 pour ce lot-ci, d'autre part). J'ai décidé d'en faire un billet commun à cause du thème mis en titre: tous deux mettent en scène des canidés.

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Tueurs innocents, H. et J. van Lawick-Goodall, J'ai Lu documents N° D 19**, 1973, 308 p.
Dix chiens pour un rêve, François Varigas, Le livre de poche N°6051***, 1985, 254 p.

P1150751Le premier titre, Tueurs innocents, est un livre documentaire d'éthologie (observation des animaux). Jane Goodhall, alors mariée avec le photographe et cinéaste documentariste Hugo van Lawik, reste aujourd'hui beaucoup plus connue pour ses travaux sur les chimpanzés, à Gombe. Le présent livre a été publié en anglais en 1970, et traduit en français en 1971.

Son mari ayant été nommé photographe des parcs nationaux de Tanzanie, Jane l'accompagne dans ses missions d'études, avec leur enfant en jeune âge, Hugo junior, plus connu sous le nom de Grublin (p.36). Tous deux partagent équitablement couches et rédaction du livre. Les observations se déroulent dans le Parc du Serengeti et dans le cratère du Ngorongoro qui en est mitoyen. Les habitués des documentaires animaliers reconnaîtront toute la faune du Serengeti. Le livre s'intéresse en premier lieu aux carnivores, et par conséquence à leurs proies (herbivores). Proies parfois dévorées vivantes (en commençant par les entrailles), mais qui, nous dit-on, meurent plus rapidement que les herbivores étranglées durant 10 minutes par les lions... (et peut-être "anesthésiées" par le choc, comme un humain peut "réagir" en cas de blessure grave...). Il est aussi question des oiseaux (j'ai appris que les "vautours égyptiens" savent utiliser un outil: ils jettent une pierre contre les oeufs d'autruche pour en briser la coquille, trop dure pour leurs becs). Trois races d'animaux sont abordées (ont été étudiées, par le couple et ses assistants) successivement: les chiens sauvages (lycaons), chacals dorés (et argentés?), hyènes tachetées. A chaque fois, les chapitres, rédigées dans un style vivant (qui n'exclut nullement la précision scientifique) nous présentent plusieurs "clans" ou meutes". Sont décrits l'élevage des jeunes, la hiérarchie interne à chaque groupe, le mode de chasse, les relations avec les proies, les autres carnivores, ou les congénères. Le livre est entrecoupé d'anecdotes d'observations en véhicule ou de vie au bivouac avec leur jeune fils. Seuls quelques indices permettent alors de savoir qui est le "je" qui rédige. Les auteurs ont pu bénéficier d'un programme d'études pluriannuel, et de la bienveillance de leur éditeur (puisque la rédaction du livre a connu plus de six mois de retard par rapport à ce qui avait été convenu). Toutes ces observations vécues, racontées de manière très vivantes, aboutissent à un récit qui se lit comme un polar. Une belle lecture, à mettre en perspective, je le répète, avec les documentaires animaliers qui repassent inlassablement sur Arte.

En cherchant des informations complémentaires, j'ai appris que, contrairement à ce que je pensais au départ, les hyènes, selon les arbres phylogénétiques récents, ressortiraient plutôt de la même famille que les félins (comme les mangoustes par exemple) et non de celle qui contient les canidés (sous-ordre des féliformes plutôt que des caniformes, donc). Je pense que le second livre annoncé, Tueurs tranquilles, qui devait porter sur les félins du parc (lions, guépards et léopards) n'a jamais dû être écrit, car Jane et Hugo ont divorcé en 1974 (ils étaient mariés depuis 1964).

De Jane Goodall, donc, j'avais lu il y a quelques années Nous sommes ce que nous mangeons. Il faudrait que je le relise et que je le mette à disposition dans le système de prêt de livres de l'AMAP dont je fais partie

Eventuellement, je pourrais aussi y proposer le second livre que je vais vous présenter. 

P1150753Je ne comprends pas trop le titre Dix chiens pour un rêve: choisi par l'éditeur ou par l'auteur? Ce chiffre dix (vendeur, symbolique?) paraît être la moyenne entre les 11 chiens du départ et les neuf à l'arrivée... A l'arrivée d'un pari fou: traverser la Terre de Baffin en traîneau à chiens, puis poursuivre à travers le Canada jusqu'à la cité de Dawson. L'auteur, François Varigas, semble avoir bénéficié pour la rédaction de "l'aide" d'un journaliste ("propos recueillis par Jean-François Chaigneau"). Un Français a donc réussi à aller jusqu'au bout de ses rêves, en y gagnant le respect des hommes rudes qui vivent dans le "grand Nord": personnels de la ligne DEW, d'entretien des routes, Inuits, Amérindiens... Mais revenons à nos chiens. Ils sont évoqués, chacun avec leur caractère, tout au long de l'ouvrage. L'auteur les a parfois eu chiots et dressés comme chiens de traîneau, traîneau qu'il a lui-même construit pour son "raid". Il doit porter le matériel de bivouac dans la neige et la nourriture pour le conducteur comme pour les bêtes, pour des étapes en autonomie qui peuvent durer jusqu'à deux semaines sans voir quiconque. Nous avons droit à la présentation des deux types d'attelage: l'inuit (en arc de cercle) ou "indien" (en ligne), celui qui est le plus connu (je songe au livre Le grand silence blanc par exemple). Tout au long du périple, l'interaction avec les chiens est permanente. Nous les voyons se "mutiner" le deuxième jour: habitués à de courtes randonnées, ils veulent faire demi-tour pour le retour classique à la maison (p.30), ne pouvant anticiper la longueur de la randonnée. Au fil du voyage, nous assisterons à des rencontres avec un couple de loups, un ou deux ours, un renard des neiges... p.51-52, notre voyageur regrette sa solitude et surtout l'absence de spectateurs pour admirer la "belle ouvrage" que font les chiens (parfois en compétition pour être ou demeurer "chien de tête). Plus loin (p.75), tous les menbres de l'attelage nous sont présentés, à un moment où il envisage de devoir sacrifier un chien pour nourrir les autres (comme les explorateurs polaires de jadis). Conclusion p.82 de ce passage: "Je secouai la tête: mais quelle stupidité m'avait abruti à ce point? Je n'étais pas encore dans le réel besoin de nourriture et j'avais choisi comme inéluctable la solution la plus imbécile. J'avais planifié, comme un énarque, sans attendre la réalité. J'avais trop raisonné sur l'avenir". Les chiens, semble-t-il, lui sauvent quelquefois la mise sinon la vie: quand le mauvais temps l'amène à faire demi-tour au lieu d'aller au bout de l'étape prévue, à plusieurs reprises, ce sont les chiens (instinct? flair? intelligence?) qui savent le ramener à bon port.

Les étapes dans des lieux habités sont l'occasion de rencontres avec des "peuples premiers" sédentarisés et dont les jeunes gens, utilisateurs de skidoos, ne savent plus forcément utiliser un "simple" attelage de chiens. L'administration peut être plus ou moins compréhensive (un caribou tué parce que c'était ça ou mourir de faim, et l'amende menace...). La rencontre avec une famille de trappeurs m'a fait songer à la vie décrite dans La rivière des castors d'Eric Collier. François Varigas est en tout cas bien mis en scène dans son rôle d'explorateur et surtout de réalisateur d'exploit.

Au final, un livre dont j'ai lu les péripéties du quotidien d'un tel voyage avec intérêt et facilité. Je ne sais pas trop ce qu'a pu devenir son auteur au XXIe siècle. Je n'ai pas lu son autre livre, Une vie pour un rêve, mais je tacherai de me le procurer. 

Vérification faite, on peut facilement trouver sur internet les deux livres que ce billet vous a présenté. Même si chacun est ancien de plusieurs décennies, ils sont malgré tout trop récents pour pouvoir compter comme "classiques" dans un challenge... 

PS: de Jane Goodall, il faudra aussi que je lise (lorsque je l'aurai déniché d'occasion) Les chimpanzés et moi.

7 mars 2023

Les Russkoffs - Cavanna

Ça débute avec une histoire de pénurie d'obus pour lutter contre les Russes. Et "les provinces, ça va, ça vient, surtout les frontalières" (p.13).

Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) commente ce mois-ci Les Russkoffs, où François Cavanna raconte la suite (durant la seconde guerre mondiale) de son célèbre premier volume autobiographique Les Ritals, que je chroniquerai un mois ou l'autre [chroniqué le 7 novembre 2023]

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(Le livre de poche N°5505 ****, 410 p., 3e trim. 1981)

Alors, pourquoi ce titre-là et pourquoi maintenant? Le numéro 1596 de Charlie Hebdo daté du 22 février 2023 se présentait comme un numéro spécial Cavanna, qui aurait eu 100 ans (né en février 1923). Du coup, j'ai sorti de ma liste d'idées d'articles-hommages "Charlie" puis de ma pochothèque personnelle le livre, redevenu d'actualité, Les Russkoffs. Il est construit avec quelques retours en arrière, et se termine abruptement. En exergue de ce livre figurent comme dédicataires d'abord "[à] Maria Rossipova Tatartchenko, où qu'elle puisse être", puis 24 autres prénoms slaves féminins, suivis d'une vingtaine de gars français. "(...) et aussi / à tous ceux et à toutes celles dont j'oublie le nom mais pas le visage, / à tous ceux et à toutes celles qui ramenèrent leur peau, / à tous ceux qui l'y laissèrent, / et, en général, à tous les bons cons qui ne furent ni des héros, ni des traitres, ni des bourreaux, ni des martyrs, mais simplement, comme moi, des bon cons, / et aussi / à la vieille dame allemande qui a pleuré dans le tramway et m'a donné des tickets de pain."

Les Russkoffs du titre, pour ce que j'en ai donc compris, ce sont en premier lieu les femmes "de l'Est" (slaves) elles aussi réquisitionnés pour le travail en usine d'armement, ensuite les prisonniers de guerre russes - plus mal nourris que les Français? -, et en dernier lieu les soldats de l'armée rouge victorieuse, croisés en fin d'ouvrage quand ils vainquent, pillent, violent, et aussi exécutent sommairement ceux qu'on leur désigne comme "fascistes". Mais procédons par ordre.

Le premier chapitre (sur 17), titré "le marché aux esclaves" nous pose le jeune François en train de travailler sur une presse pour fabriquer des ersatzs de pointe d'obus, chacun des "vingt petit[s] Français pâlichon[s] maigrichon[s] étant flanqué de deux bonnes femme", et nous narre comment il (en) est arrivé là. Prisonniers de guerre français croisés durant le voyage (ne pas parler mal de Pétain!), interprète belge (flamand) à l'arrivée... et mise au boulot (en trois-huit à l'usine d'armement) dès la première nuit d'installation au camp.

Maria, c'est l'une de ses deux assistantes, qu'il prend d'abord pour une Allemande avant de comprendre (p.46) qu'elle est, non pas russe, mais ukrainienne (d'un pays qu'il situe très vaguement sur la carte). Et notre François va se montrer très motivé pour apprendre sa langue... 

Le troisième chapitre, titré "Pour le tsar!" (à la Michel Strogoff), revient en arrière en une soixantaine de pages (53-114) pour narrer l'exode de juin 1940, vécu par notre jeune Cavanna de 17 ans. Après avoir vainement attendu le car promis par l'administration des PTT, notre jeune vacataire part à vélo en direction de Bordeaux où l'ordre est de se replier (sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'au licenciement!). Un voyage initiatique bien qu'inutile puisque les Allemands motorisés allaient plus vite que des réfugiés à pied ou même en vélo (notre François était parti avec son vélo de course tout neuf mais aux boyaux fragiles). N'ayant pas l'âge militaire, les Allemands le laissent revenir en région parisienne. Finis les PTT: voici Cavanna tireur de chariot pour aller sur les marchés, maçon... (court chapitre titré "Ma banlieue à l'heure allemande", p.203-221). Avant de se faire "piéger" dans l'entreprise où il venait d'entrer après une offre alléchante: et paf, requis pour le STO!

En Allemagne, Cavanna travaille donc d'abord pour l'industrie d'armement, puis est muté (par mesure disciplinaire) dans un Kommando des gravats, pour déblayer, jour après jour, Berlin bombardé quotidiennement. C'est entre autres sous les bombes alliées sur Berlin en 1944-45 qu'il s'est construit son opinion sur la guerre, de même que Cabu s'était forgé son propre antimilitarisme en tant qu'appelé en Algérie (entre mars 1958 et juin 1960). Il l'a vécue à hauteur d'homme. Il nous raconte une vie quotidienne de préoccupations alimentaires (à un moment, Maria refuse de manger un steack de cheval, contrairement au jeune Français habitué par sa mère), encadrée par des gardiens plus ou moins "peau de vache" ou "complaisants", une fragile survie de couple, de groupe, pour une histoire individuelle mais pleine d'anecdotes. Par exemple, p. 300-301, il raconte par suite de quel concours de circonstance il a été amené à casser la gueule à un gestapiste dans un tramway (sans conséquences, grâce à l'humanité d'un simple flic allemand pas spécialement pro-Gestapo). Il évoque la camionnette qui exhortait par haut-parleur les requis français à rejoindre la Waffen-SS... (p.310).

Mais je ne veux pas tout raconter (lisez le livre, écrit d'une langue drue, truculente et pressée). Fin février 1945 (p.317), le camp est évacué en train vers la Poméranie, pour aller y creuser de dérisoires fossés antichars dans le sable local. Puis ordre est donné de se diriger (à pied) vers "ailleurs". Et Maria et lui quittent la colonne malgré les risques, avant de rencontrer les "libérateurs" russes. Après quelques bivouacs, arrive la fin, ou comment un homme et une femme se perdent... Pendant que François était parti "au ravitaillement", Maria s'est fait rafler par les Russes malgré ses protestations. Et jamais Cavanna n'est arrivé à la retrouver, ni avant ni après son propre retour en France, dit le livre publié en 1979. Alors même que d'autres ont réussi à préserver leur "couple de guerre": qui a ramené "sa" Russkoff" (p.303: évasion, engagement dans la 2e DB, pour revenir en Allemagne chercher sa Klavdia), qui sa jeune Berlinoise brune (Ursula, p.308), qui envisageait de rester sur place (600 hectares de terre et la veuve allemande en prime, pour quelqu'un qui, au pays, ne possédait rien que ses deux bras, p.364). Le STO, finalement, ça aura donné les premières chansons de Brassens, mais aussi ces mémoires de Cavanna.

Pour les lecteurs et lectrices de 2023, je souhaite insister sur le fait qu'il ne s'agit pas là d'un roman, mais d'un témoignage de première main sur le quotidien vécu en particulier à deux et en général en groupe, dans un pays étranger où l'auteur n'est pas venu de son plein gré mais où il a vécu les horreurs de la guerre (y compris en assistant à des morts violentes).

J'ai trouvé peu de blogs en ayant parlé: Les plumes baroques (dernier billet en juillet 2020), Aspirant auteur (dernier billet en juin 2017). Je ne m'interdirai pas d'en rajouter "au fil de l'eau".

Et dans le numéro "centenaire" de Charlie que j'évoquais plus haut? En 16 pages, on trouve plus d'une douzaine de citations choisies par d'actuels rédacteurs ou dessinateurs (dont tous ne l'ont peut-être pas connu?), et quelques phrases à sa mémoire par rapport à Charlie dans la plupart des chroniques régulières. Jacques Littauer, notamment, évoquait Les Russkoffs (p.5). 

*** Je suis Charlie ***

6 mars 2023

Swinging Liverpool - Les aventures de Louise Petibouchon - Jean Depelley et Eric Albert

J'ai été très contente d'apprendre qu'un nouvel album était paru avec Louise Petibouchon, une policière limougeaude. Et j'ai eu le plaisir d'avoir une dédicace des deux auteurs. J'avais appelé la librairie qui avait invité les deux auteurs et, très gentiment, le vendeur m'a dit qu'il ferait son possible pour obtenir une dédicace. Dans cet album de 44 pages paru aux Editions Paquet intitulé Swinging Liverpool, les deux auteurs racontent deux histoires en parallèle, dans ce tome 3 qui se passe toujours au tout début des années 60. Celle avec l'inspecteur Plumier toujours bête comme ses pieds qui part en vacances à Royan pour rencontrer une association spécialiste de la vie extraterrestre. Plumier doit faire un exposé devant un public. De son côté, Louise Petibouchon, toujours aussi intelligente, va aller jusqu'en Angleterre à la recherche de son amie Roseline Poissard, une prostituée au grand coeur qui vient d'être enlevée en plein Limoges, sous les yeux de son souteneur, par un gang de Russes. J'ai trouvé cet album très sympa. Il y a même un clin d'oeil à Hergé quand Louise Petibouchon, arrivant à Calais, passe devant un cargo appelé "Kamasoutjan" en référence au "Karaboudjan" dans Le crabe aux pinces d'or.

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26 février 2023

Azincourt par temps de pluie - Jean Teulé

Profitant de son absence, j'ai (ta d loi du cine, "squatter") chipé ce livre sur la PAL de la maîtresse de blog (dasola). J'espère que cela ne la découragera pas de rédiger, le moment venu, son propre billet après lecture!

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Pour ma part, je n'avais encore jamais lu de romans de Jean Teulé (mais juste chroniqué une biographie de Charlie Schlingo dont il avait écrit le scénario pour Florence Cestac). Je ne sais donc pas comment il traite (de) la Grande Histoire ailleurs. Dans Azincourt par temps de pluie (éd. J'Ai lu n°13668, 220 p., imprimé en décembre 2022, pour l'édition que j'ai entre les mains), il nous la donne à voir sous un jour plutôt sanglant. 

Le livre se déroule sur deux ou trois jours (avant, pendant et près la bataille), du 24 au 26 octobre 1415. De manière très vivante (beaucoup de dialogues), Jean Teulé nous expose ces sacrés Français, grands seigneurs, en train de se disputer la peau du lion anglais avant de l'avoir tué, cependant que le souverrain anglais maintient une discipline de fer dans sa petite armée professionnelle. Il a fait le choix de nous présenter un rapport de 1 à 5 pour les forces en présence, alors que les chiffres varient y compris parmi les chroniqueurs de l'époque. Je n'oserai pas m'avancer sur le fait que la "fille à soldats" (surnommée "Fleur de Lys") qui se retrouve seule parmi les quelque 30 000 Français d'abord, parmi leurs cadavres ensuite est bien un personnage attesté sinon historique, ou non... mais elle sert de témoin (et, ma foi, si on l'avait écoutée - le bon sens féminin -, l'Histoire aurait pu en être changée). Mais Jean Teulé n'a pas écrit une uchronie. Il est amusant de noter que, plutôt que de présenter une bibliographie, il crédite avec humour ses "collaborateurs involontaires" (sic!) en fin de livre (de Michelet à Charles d'Orléans). Pour ma part, la description de l'entretien des arcs anglais p.26 m'a fait penser à l'Odyssée, lorsque les prétendants s'efforcent d'assouplir l'arc d'Ulysse avant que celui-ci les massacre... Ironie de l'Histoire: Jean Teulé n'a pas manqué de nous rappeler que l'armée anglaise était dans un sale état sanitaire (chiasse - même s'il parle courtoisement de dysenterie) pour avoir consommé des moules avariées en guise de pique-nique. Deux mille soldats anglais en étaient mort avant la bataille.

Comme dans La controverse de Valladolid ou dans La négociation, on a ici des antagonistes. Mais cette fois-ci, on finit par se battre, une fois le temps des échanges diplomatiques terminé. Et dans ce cas, le meilleur gagne. Jean Teulé et Wikipedia sont d'accord! Il nous a clairement été exposé les raisons pour lesquelles les faits se déroulent de telle manière. Le combat proprement dit débute p.119. C'est un massacre. En première ligne, les Français et leurs lourdes armures sont plantées dans la gadoue, reçoivent les flèches anglaises, n'y voient rien par les petits trous de leurs visières, et ne peuvent qu'attendre passivement de se faire massacrer lorsque les arcs sont abandonnés pour les haches et autres armes anti-armures. La première vague de prisonniers est éliminée: il faut bien continuer à se battre jusqu'à la déroute adverse.

Et, une fois que les combattants ont quitté les lieux, y abandonnant les monceaux de cadavres français, l'auteur n'oublie pas de nous montrer la récupération par la population locale des moindres bouts de tissu ou de métal dont ils auront l'usage, brut ou refondu... Ce roman de "vulgarisation historique" se lit vite et avec aisance.

J'ai trouvé plusieurs blogs qui en avaient parlé: A livre ouvertAu détour d'un livreLes lectures de Cannetille, PlumefilCanel

Philippe Dester n'a pas aimé. Nono a évoqué le livre pour rendre hommage à Jean Teulé (son blog cite encore un autre livre sur Azincourt). J'ai appris que Dominique Pinon lit la version audio grâce au blog Baz'Art.

Après coup, ce roman m'a fait penser au traitement que fait, en bande dessinée, Jean-Yves Delitte des grandes batailles navales. J'en ai lu quelques titres. Un billet à faire un mois ou l'autre?

7 février 2023

Le droit d'emmerder Dieu - Richard Malka

J'aurais pu (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) écrire qu'on m'avait offert pour Noël 2022 ce livre, Le droit d'emmerder Dieu, de Richard Malka. Mais il vaut mieux conserver mon éthique et ne pas enjoliver la réalité: je me le suis simplement offert (à) moi-même mi-janvier. Mon exemplaire provient d'un nouveau tirage, daté décembre 2022, alors que la première édition du livre remonte à octobre 2021. 

Cet ouvrage correspond à la plaidoirie rédigée par Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, pour la fin du procès des attentats de janvier 2015, procès qui a eu lieu devant la cour d'assises spéciale de Paris du 20 septembre au 16 décembre 2020, pour juger 14 personnes accusées d'avoir été complices des trois attentats ayant causé 17 morts du 7 au 9 janvier 2015. 

P1150696Au début de ce petit livre (93 pages, rappel chronologique compris), l'avocat Richard Malka explique qu'il a l'habitude d'écrire ses plaidoiries. Le 4 décembre 2020, port du masque dans la salle d'audience et épuisement après trois mois d'une audience parsemée d'attentats et de morts l'ont amené à écourter, à l'oral. L'éditeur et l'auteur ont choisi de livrer ce texte dans sa version écrite, plus longue que celle effectivement prononcée.

p. 10: "le sens de ce procès, c'est aussi de démontrer que le droit prime sur la force. (...) Les attentats de Charlie et de l'Hyper Cacher ne sont pas seulement des crimes. Ils ont une signification, une portée politique, philosophique, métaphysique". Richard Malka explique que ce procès est l'occasion de parler, non seulement des accusés, mais aussi des idées que l'on a voulu assassiner et enterrer. Il souhaite parler pour répondre aux terroristes qui demandent que nous renoncions à nos libertés.

À partir de la page 21, le livre retrace la chronologie des événements qui se sont achevés par le massacre perpétré contre la rédaction le 7 janvier 2015, des années après l'affaire des caricatures de M*h*m*t. Il décortique scrupuleusement la chronologie (Danemark), avant même la publication en France par France Soir en janvier 2006. Il rappelle que ce sont des imams danois ("de la mouvance des frères musulmans essentiellement, avec quelques salafistes") qui ont constitué un dossier à destination du "monde arabe", et ont affabulé en rajoutant, aux caricatures effectivement publiées au Danemark puis en Egypte, deux dessins tirés d'un site suprémaciste de blancs américains, et une photo n'ayant aucun rapport avec l'islam: un masque de cochon, que nos imams ont légendé en prétendant que c'était ainsi que leur prophète était représenté en Occident! "Cette falsification a fait descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes qui n'ont pas vu les véritables caricatures publiées" (p.28).

L'avocat qu'est Richard Malka ne se prive bien entendu pas de quelques effets rhétoriques en fustigeant entre autres le Président turc: massacrer des milliers de musulmans, ce n'est pas islamophobe mais publier des dessins, ce serait islamophobe? "Et puis j'ai un scoop pour le président Erdogan puisqu'il reproche à Emmanuel Macron d'avoir permis la publication de Charlie Hebdo [qui le caricaturait en octobre 2020]: nous ne soumettons pas nos caricatures au président de la République avant publication. Et même s'il voulait les empêcher, il ne le pourrait pas et il ne trouverait pas un tribunal pour le suivre. Cela s'appelle la liberté de la presse et l'indépendance de la justice (...)".

L'auteur retrace également l'histoire du blasphème en France, en remontant jusqu'aux Encyclopédistes du XVIIIème siècle, alors que le pape a mis L'Encyclopédie à l'index pour hérésie. Il rappelle que la Révolution française a abouti entre autre à ce que soit supprimé du code pénal, en 1791, le délit de blasphème. En 1881, lors des débats pour la grande loi sur la presse de la Troisième république, quand il est question de l'offense à la religion, Clemenceau répond, à l'Assemblée, à l'évêque Angers invoquant la blessure des catholiques outragés: "Dieu se défendra bien lui-même, il n'a pas besoin pour cela de la Chambre des députés". Formule que Richard Malka met en parallèle avec celle du mufti de la mosquée de Marseille à propos des caricatures: "un musulman qui croit que Dieu n'est pas assez grand pour se défendre tout seul est un musulman qui doute de la toute-puissance divine et n'est pas un bon croyant". Conclusion: "ce n'est pas compliqué à comprendre. Dieu peut se défendre tout seul contre les pauvres mortels que nous sommes, ce n'est pas la peine de supprimer ses créatures" (p.42). Richard Malka plaide donc, en toute logique, contre tout renoncement de l'esprit critique, du droit de caricaturer... Ce serait renoncer à ce merveilleux droit d'emmerder Dieu. "Et ça, Cabu, tout gentil qu'il était, hé bien il ne pouvait pas" (p.44). Il faudrait citer l'intégralité du texte, qui a l'unité d'un discours... Lorsqu'il retrace l'histoire de Charlie Hebdo (première puis seconde série), avant puis après l'affaire des caricatures, Richard Malka insiste sur la dégradation de la situation de Charlie Hebdo entre 2006 et 2015, qui a inexorablement conduit à l'attentat, en fustigeant la responsabilité des intellectuels et des politiques, pour lesquels il faudrait, au contraire, renoncer à tout ce qui peut "faire des vagues".

Pour ma part, j'ai lu cet opuscule très vite, en à peine plus d'une heure. Je vous invite à vous en imprégner.

J'ai trouvé quelques blogs qui ont eu aussi le courage d'en parler, bien avant moi: Vagabondageautourdesoi, Sin City, Lintervalle. Chacun donne aussi un ou plusieurs autres liens.

Le droit d'emmerder Dieu a reçu le Prix du livre politique en 2022. P1010613 

Je n'ai toujours pas chroniqué le livre Janvier 2015 - Le procès de Yannick Haenel (texte) et François Boucq (dessin), ouvrage paru en janvier 2021 aux éditions Les échappée. Pour le compte de Charlie Hebdo, ils ont suivi au quotidien le procès (près de deux mois et demi), avec des chroniques publiées sur le site internet et dans l'hebdomadaire. J'en parlerai certainement un mois ou l'autre.

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En utile complément contemporain, je souhaite citer la conclusion d'une interview de Riss dans le Journal du Dimanche (22/01/2023, p.23) à propos du soutien apporté par Charlie Hebdo, avec ses moyens que sont articles et caricatures, à la révolte des jeunes iraniens et iraniennes contre le théocrate qui verrouille tout le pouvoir politique de leur pays: "À Charlie, quand on choisit un dessin, il ne s'agit pas d'insulter ou d'injurier. Notre critère, c'est que ça fasse réfléchir les gens."

*** Je suis Charlie ***

23 janvier 2023

La république des faibles - Gwenaël Bulteau

P1150633

Pour une première oeuvre, j'ai trouvé que le roman La république des faibles de Gwenaël Bulteau (qui est professeur des écoles) était réussi (Edition 10/18, 328 pages prenantes). L'histoire se passe à Lyon, dans le quartier de la Croix-Rousse, début janvier 1898, en pleine affaire Dreyfus. Le "J'accuse" de Zola ne va pas tarder à paraître. Le corps d'un jeune garçon habillé en fille est retrouvé par un chiffonnier dans une décharge. Il a été décapité et on n'a pas retrouvé la tête. Le commissaire Jules Soubielle avec ses trois adjoints sont chargés de l'enquête. On entre dans l'intimité de chaque policier, le commissaire devrait être bientôt père de famille après plusieurs échecs. Avec sa femme Marie-Thérèse, ils sont les voisins des Genor, une étrange famille composée d'un couple (le mari est pharmacien) et de leurs six garçons. Cette famille va jouer un rôle non négligeable dans le déroulement de l'intrigue. Parmi les officiers qui aident Soubielle, il y a  le lieutenant Fernand Grimbert qui boit trop et a des relations houleuses avec sa fiancée Lucienne. Aurélien Caron, lui, est célibataire et cela lui convient; quant à Gabriel Silent, il est père de famille. En dehors de son métier de policier, Silent fait de la politique. Il compte se faire élire aux prochaines élections au côté de la Ligue contre les Dreyfusards. Au fur et à mesure que l'histoire avance, on apprend qu'il dissimule des choses de sa vie. Un deuxième enfant disparaît et on est témoin de son calvaire. C'est le fils du chiffonnier qui était chargé d'aider la police pour trouver qui avait tué la première victime. A la différence de Jean-Marc Laherrère, je ne me suis pas ennuyée une minute à la lecture de ce roman que j'ai lu en une journée. Cannibales Lecteurs et Baz-art ont aimé.

17 janvier 2023

Changer l'eau des fleurs - Valérie Perrin

P1150630

Quand j'ai lu le titre du roman, Changer l'eau des fleurs (Le Livre de poche), je m'attendais à un roman assez léger, mais j'ai été intriguée par le nombre de pages du livre: 663 pages. Je me suis demandée ce que Valérie Perrin allait nous raconter sur autant de pages. Et bien, j'ai été séduite par l'histoire pleine de gravité vécue par Violette née Trenet, devenue Violette Toussaint. Violette s'est laissée séduire par Philippe Toussaint quand elle a eu 18 ans. Cette femme née sous X a vécu dans plusieurs familles d'accueil. Elle savait à peine lire et écrire quand elle a connu Philippe, un beau gosse qui "tombait" toutes les filles. Violette est une jeune femme qui ne se laisse pas trop abattre et pourtant elle aurait de quoi, entre un mari cavaleur et des beaux-parents méprisants (surtout la mère). Après être devenus gardes-barrières, Violette et Philippe se sont reconvertis en gardiens de cimetière en Bourgogne. C'est surtout Violette qui s'en occupe. Elle connaît les noms sur les tombes par coeur et elle écrit tout sur un registre. Cet endroit l'apaise et elle devient une jardinière hors pair dans le carré de jardin qui lui est alloué autour de la maison qu'elle occupe. Philippe, lui, part souvent faire un tour. Et un jour, il ne revient plus. Entretemps, Violette est devenue maman d'une petite Léonine, mais une tragédie les frappe... et on n'est qu'au milieu du roman. Le récit alterne le passé et le présent. Il y a beaucoup de personnages auxquels on s'attache. Un joli roman que je conseille tout comme Violette et Docbird. Et moi aussi, j'aime l'atmosphère des cimetières que je trouve reposante et pas du tout triste. 

15 janvier 2023

François Mauriac en "lecture commune"

Il y a quelques mois, Ingannmic avait signalé à l'occasion de mon bilan d'un "mois Wells" que, lorsqu'elle avait co-organisé une "activité" bloguesque autour de François Mauriac, il y avait eu peu de participation à part les deux organisatrices. Lorsque j'ai vu annoncé un projet de "lecture commune" d'une oeuvre de Mauriac à programmer pour le 15 janvier 2023, je (ta d loi du cine, “squatter” chez dasola) me suis dit que c'était l'occasion de relire cet auteur! 

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Vérification faite dans ma pochothèque, je possède cinq livres de François Mauriac, entrés en ma possession entre 1980 et 1982... et que je suis certain de n'avoir jamais relus depuis. Ils prenaient donc depuis 40 ans la poussière entre Maupassant (une douzaine de volumes acquis pour la plupart plus récemment, certains relus plusieurs fois y compris il y a un ou deux ans) et Maurois (relu ou du moins feuilleté aussi plusieurs fois) - les livres de ma bibliothèque m'avaient suivi quand j'ai déménagé en 1988. Et j'aurais été incapable de parler du contenu de mes cinq volumes. Bref, j'ai affecté quelques heures de mon "budget-temps de lecture" des deux dernières semaines aux trois bouquins que je présente ci-dessous.

P1150627Destins, 191 p., copyright 1928, volume imprimé en 1980 et cadeau de Noël reçu en 1982 (191 p.). 

Ce livre présente les relations entre plusieurs générations d'au moins trois familles, dans la bourgoisie de la Gironde, dont certains membres sont "montés" à Paris tandis que d'autres continuent à habiter (voire à agrandir, en rachetant aux précédents) les domaines, la terre, la vigne, la forêt de pins des Landes proches... et à y vivre de leurs revenus. Chacun a ses centres d'intérêt, cloisonnés (les priorités de l'un étant antagonistes avec celles des autres). Famille Gornac: le patriarche a passé plusieurs décennies à acquérir la maîtrise du siège de député local (pas forcément pour l'occuper lui-même, mais au moins pour que l'élu serve ses intérêts). Sa belle-fille Elisabeth supporte bien son veuvage (Prudent Gornac n'était pas vraiment doué pour les affaires), et a peu d'atomes crochus avec son exalté de fils, Pierre, lequel n'a que la religion - catholique - à la bouche (conférences et sermons moralisateurs). Les voisins Lagave: pour la première génération, on ne parle guère du mari. Le vieux Gornac semble avoir veillé à ce que le fils, Augustin, fasse une bonne carrière dans la fonction publique, alors que sa mère servait la famille Gornac? Monté à Paris, Augustin s'y est marié, mais son fils, Robert, ne marche pas dans ses traces (s'élever par le travail, et ne penser qu'à cela - carrière). Robert (Bob) apparaît plutôt comme un esthète dont les moyens d'existence de jeune homme proviennent des services qu'il vend (au titre de ce que l'on appellerait aujourd'hui "décoration d'intérieur - sans parler d'autres "services" demeurés dans un pesant sous-entendu). S'entrelace pourtant avec Robert une demoiselle de la Sesque, Paule, "une jeune fille du vrai monde", descendant d'une famille d'anciens propriétaires des Landes qui a vendu ce qui lui restait de terres (notamment aux Gornac et apparentés?) pour "monter" à Paris. Lorsque Robert vient en convalescence chez sa grand-mère, un voyage l'amène, elle, dans la région. Cette jeune fille est suffisamment affranchie pour posséder sa propre auto (ce qui autorise tous les "coups de la panne") alors que les campagnards continuent à utiliser les voitures à chevaux. Mais c'est bien au mariage avec Robert qu'elle rêve. Pierre va se mêler de ce qui ne le regarde pas, avec des conséquences tragiques et au désespoir de sa mère.

J'ai souri lorsque Elisabeth, jadis parfaite femme d'intérieur veillant à tout dans la maison, constate "Je laisse tout aller" mais s'aperçoit que "tout allait aussi bien qu'au temps qu'elle surveillait les chais, le poulailler, la cuisine et la buanderie". Et aussi en lisant les remarques aigres sur les dépenses excessives générées par le lavage des chemises de notre esthète. 

En avaient parlé: Athalie (sur son nouveau blog), Ingannmic, Miss Sunalee.   

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P1150628Thérèse Desqueyroux (1927, exemplaire imprimé au 2e trim.1975, donné en 1981 par mon grand frère - 184 p.).

Juste quelques mots sur ce livre. Il fut un temps où il faisait partie des livres incontournables pour une culture littéraire "classique", une lecture recommandée au lycée. Il est l'un des plus connus de François Mauriac, et Claude Miller en a tiré un film en 2012 (je ne l'ai pas davantage vu que l'adaptation précédente de Franju, 50 ans auparavant avant - 1962, du vivant de Mauriac). Comme toute personne cultivée, disais-je, le sait, le roman s'ouvre sur l'acquittement de Thérèse. On découvre que, enfermée dans une vie tristement bourgeoise de mère au foyer, vie plutôt subie que choisie, elle a eu l'idée de "forcer la dose" sur les médicaments que devait avaler son mari, quitte à falsifier quelques ordonnances. Mais en province, pharmacien et médecin se parlaient, à l'époque (cependant que la "receveuse des postes" pouvait "bloquer" une lettre si une famille ayant suffisamment d'influence le lui demandait). Si Thérèse  a été acquittée, c'est bien parce que la famille (père, mari, belle-famille) a fait tout ce qu'il fallait pour "sauver les apparences". Thérèse se retrouve cloîtrée à la campagne, avec quelques livres qu'elle a tôt fait de connaître par coeur (affreuse, la séquence où le mari laisse sans réponse sa demande de commande au libraire!). Elle s'y laisse périr d'ennui. Mais le souci du qu'en dira-t-on et le souhait que sa belle-soeur fasse le mariage qui convient amène un marché: pas de scandale, et on la laissera partir à Paris. Ce qui advient à la fin. 

... Bon, j'ai l'air d'avoir tout dit, mais aujourd'hui, ce "fait divers" donnerait tout juste lieu à quelques articles de presse. Tout l'art de Mauriac est de restituer les pensées successives (ou leur absence) des différents antagonistes, et surtout de faire transparaître les mentalités de l'époque, du lieu, des milieux sociaux des protagonistes (maîtres et domestiques), via les interactions de Thérèse avec son entourage. 

J'ai trouvé une dizaine de blogs ayant chroniqué ce livre: Anis (Litterama) comparait livre et film de Claude Miller, Athalie (sur son nouveau blog), DonaSwannHélèneIngannmic, Lili GalipetteMiss Sunalee, Philisine cave, Sandrine, XL (m'a appris l'existence de deux nouvelles?). Apparemment, en 2012, plusieurs blogueuses littéraires avaient organisé des concours en vue de faire gagner des places de cinéma... Missionnées pour "faire le buzz" autour de ce film et de cette oeuvre? J'ai encore trouvé Des livres des livres!Le bouquineur, Les livres de George, Livrepoche, Pourquoi s'ennuyer (Gaëtane).

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P1150629La fin de la nuit (paru en 1935; mon exemplaire date de 1981 et m'a été offert à Noël 1982 - 253 p.)

Beaucoup moins connu que le précédent, ce roman en constitue la suite. Thérèse Desqueyroux vit à Paris une vie d'oisiveté (appartement, domestique, subsides versés par son mari sur les revenus de ses pins) depuis 15 ans. Lorsqu'elle voit débarquer sa fille Marie, 17 ans, elle est d'abord enchantée de "redécouvrir" une fille qu'elle n'a pas vue grandir, avant d'être atrocement désappointée lorsqu'elle comprend que la gamine n'est pas venue voir sa mère "pour ses beaux yeux" mais dans son propre intérêt... Il y a évidemment un garçon là-dessous, Georges Filhot, un voisin en Gironde, monté à Paris pour étudier à Sciences Po, et qui admire de son côté l'intellect d'un de ses condisciples. Ce qui va amener tout un jeu de "suis-moi, je te fuis / fuis-moi, je te suis" entre les trois ou quatre personnages. Cette fois-ci, il semble que Thérèse, hantée par son passé qui lui sert de "grille de lecture" pour ses rapports avec son entourage, ne s'en relèvera pas. J'ai noté quelques citations qui ont pimenté ma lecture.

p.84, Georges: "Nous ne sommes plus comme nos parents dont toute la vie tournait autour de ces problèmes de dot, d'héritages, de testaments. La crise a flanqué tout ça en l'air: ça ne nous intéresse plus".

p.32, Marie (la rebelle, parlant de son père). "Vous ne pouvez imaginer... Il faut les entendre, grand-mère et lui: "On ne peut plus mettre de côté, maintenant... ou ce que l'on met de côté se perd; et le reste va au percepteur. Tu devras travailler, ma petite,... Nous en arriverons là: il faudra que tu travailles!" Si vous voyiez leur tête quand je leur réponds: "Hé bien! Le beau malheur! Je travaillerai!..." Ils voudraient que je gémisse avec eux. Ils ne comprennent pas que j'accepte mon époque."

p.154, Georges à propos de Thérèse: "Il se souvenait d'un mot d'elle comme de tout ce qu'elle avait dit devant lui: que les jugements les plus opposés sur une même créature sont justes, que c'est une affaire d'éclairage, qu'aucun éclairage n'est plus révélateur qu'un autre...".

p.163, Thérèse songeant à Georges: "Pourquoi se résigne-t-il? Non plus par amour, ni même par pitié pour moi... afin de tenir sa parole, peut-être? Beaucoup d'hommes sont ainsi: ils croient qu'il faut tenir leur parole".

p.196: "Thérèse ne doutait pas d'être le point de mire au centre d'un complot immense et secret... Comment aurait-elle su qu'il n'y avait pas, à cette heure, dans le monde entier, une seule pensée qui lui fût dédiée, qu'il n'existait pas une créature humaine, durant cette nuit, pour se soucier de Thérèse Desqueyroux?"

Vous l'aurez compris avec ces extraits, j'ai trouvé que nos personnages, dans les trois romans, se préoccupent beaucoup trop de "ce que les autres vont penser de soi", tout en cherchant plus ou moins consciemment à les "manipuler" afin de pouvoir, justement, les amener à penser ceci ou cela... Et l'auteur nous donne parfois accès aux pensées d'une personne et de l'autre, chacune étant dans l'erreur par rapport à ce qui se pense en face d'elle. Disons que, si Mauriac en est évidemment resté sur le côté tragique, pour La fin de la nuit, en ce qui me concerne, j'ai eu idée, à cette lecture, qu'on pourrait en tirer une bonne pièce de boulevard!

Quoi qu'il en soit, sur ce dernier livre, je n'ai pu trouver que le billet de Praline.

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Je vais maintenant essayer, moi aussi, un brin d'introspection sur mon rapport à cette littérature mauriacienne. Il n'est pas impossible que, dès mes premières lectures, ce monde de bourgeoises corsetées par les conventions sociales m'ait non seulement paru suranné et futile, mais encore ait provoqué en moi un rejet parce que telle de mes aïeules, née avec le siècle dans une grande ville de province, faisait preuve d'une mentalité datant de sa jeunesse qui me paraissait en complet décalage avec la position sociale occupée dans les années 1980. On me souffle en tout cas que la grande bourgeoisie bordelaise, elle, est bien dans le "paraître" surtout.

Dans ces trois livres qui se déroulent, je pense, entre peu avant ou après la guerre de 1914 et les années 30, c'est un même milieu qui est présenté, celui des propriétaires de pinèdes dans les Landes. Les revenus annuels sont tirés de la résine (avec laquelle on fabrique de l'essence de térébenthine et de la colophane si l'on a l'esprit suffisamment industrieux pour installer une distillerie), cependant que les arbres abattus fournissent des poteaux pour les mines de charbon sinon des traverses de chemins de fer. Les personnages de Mauriac touchent des revenus et ont le souci de veiller à ce que leur patrimoine fructifie (y compris via des alliances matrimoniale et en limitant la descendance du couple). Ils craignent l'incendie pour leurs parcelles de pins. 

Par moment, chez Mauriac, la minutie de l'introspection peut faire songer à du Proust. Quatre-vingt-dix pour cent des pages de ces romans consistent en introspection minutieuse des personnages-clés, ou en l'observation commentée de leurs pensées, l'auteur pouvant savoir à tout moment ce que songe chacun des deux interlocuteurs (en général deux à deux)... "et gnagnagni et gnagnagna" (ajouterais-je méchamment). Leurs abominables turpitudes nous paraissent bien bénignes aujourd'hui. 

Cette "lecture commune" m'a permis en tout cas de m'introspecter suffisamment pour comprendre pourquoi je n'ai jamais non plus relu Proust (auquel La fin de la nuit, par exemple, m'a fait songer par moment) depuis ma jeunesse: trop "cérébral" pour moi... Ces relectures ont été pour moi l'occasion de consulter la liste des autres oeuvres de Mauriac (pas forcément romanesques). Et je me suis dit qu'il existe quelques titres que je découvrirais volontiers, si j'avais le temps et la motivation d'en prendre la peine... Je vais tâcher d'être en veille pour réagir en temps voulu si un autre "Challenge Mauriac" se lance, sur une durée plus importante qu'une "lecture commune" pour une seule journée!

Il semble en tout cas que les blogueuses rédigent peu de billets sur François Mauriac (cela ne veut pas dire qu'elles ne le lisent pas, bien sûr). Une quinzaine de titres étaient disponibles en "poche" dans les années 1980, je suppose qu'on peut encore plus facilement accéder à Mauriac aujourd'hui, si on le souhaite (même si, mort en 1970, il s'en faut encore de 18 ans qu'il soit dans le domaine public). J'ai pris la peine de faire une recherche dans les 70 blogs "Livres" classés comme "actifs" dans la colonne de droite, c'est de là que j'ai tiré les liens vers pas mal de billets sur Thérèse Desqueyroux, quelques-uns sur Destins, beaucoup moins sur La fin de la nuit. Il n'y avait guère que moins d'une demi-douzaine d'autres titres représentés par un ou plusieurs billets. 

P.S.: je rajouterai en "edit" ci-dessous les billets des autres participant(e)s à cette "lecture commune Mauriac du 15 janvier 2023" au fur et à mesure que je les identifierai!

* Le noeud de vipères: Ingannmic, Marilyne, Le bouquineurKeisha (dès le 14!), Passage à l'Est 
* Thérèse Desqueyroux: AnneNathalie (12 ans après un précédent billet). [Grominou a pour sa part attendu avril 2023 pour le lire]

P.S.2:  je rajoute ce 17 janvier 2023 le logo du challenge "2023 sera classique" co-organisé par Nathalie et Blandine.

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30 décembre 2022

Collection "Raconter la vie" / Le parlement des invisibles - Pierre Rosanvallon

J'ai (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) remis la main sur mon second exemplaire du livre Le parlement des invisibles de Pierre Rosanvallon, (ancien) directeur de la collection "Raconter la vie" aux éditions du Seuil. Je l'avais acheté en 2020, année de parution de cette seconde édition.

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Le parlement des invisibles, 142 pages, 3,50 euros, format 10 x 15 cm (contre 20,4 x 13,9 pour les livres de la collection "Raconter la vie" elle-même).  

J'ai aussi sous la main une bonne partie de tous ceux de la collection que j'ai achetés (d'autres sont actuellement prêtés via tel ou tel canal). Dasola m'en avait offert plusieurs. 

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En les feuilletant aujourd'hui, je m'aperçois que je les ai pour la plupart aussi vite oubliés que lus, et l'esprit du présent billet n'est pas de les relire. Encore heureux que j'aie pour habitude de noter quelques mots à la fin des "essais" que je lis... et vivent les 4e de couv' de chaque livre (reprises dans le bouquin de Pierre Rosenvallon!). Entre 2014 et 2015, format et prix ont changé (pour tenter de résoudre l'équation économique?): 5,90 euros pour moins de 80 pages, contre 7,90 et une centaine de pages par la suite. 

Voici quelques mots sur chacun des titres photographiés ci-dessus.

Un homme à la crèche, Thomas Grillot. Par un écrivain professionnel, une sorte d'immersion sociologique imaginant (?) un homme faisant un métier "normalement" (?) dévolu aux femmes... et les réactions des collègues, des parents. Pas simple.

La Barbe, Omar Benaala: 1995-1999, le temps pour l'auteur de faire le tour d'un "retour à la religion" pour un voyage au terme duquel il a fini par raser sa barbe et se ranger. C'est écrit avec style, à la première personne. Je l'avais acheté en 2015, quelques mois après publication.

Dans l'oeil du gardien, Jean-François Laé. L'auteur est sociologue. Le sujet d'étude? Le rôle du gardien dans un HLM. De la médiation, de la pédagogie... Beaucoup de plaintes, peu de merci. Quel métier! On y croise même des étudiants en socio. 

Sous mon voile, Fatimata Diallo. Je me rappelle avoir été "dérangé" par cette lecture. Dans mes notes, je comparais cette jeune Malienne à Bernadette Soubirous, tout autant convaincue que l'expression de sa foi était sans conteste le seul mode de vie possible et imaginable... (j'avais noté "se voiler la face"). 

Grand patron, films d'ouvrier, Jules Naudet. Cet ouvrage, l'un des premiers parus dans la collection, est encore un livre de sociologue. Le "patron" en question a souhaité rester anonyme. Il semble assumer sans état d'âme son changement de classe sociale, tout en restant imperméable à toute notion de "lutte des classes"? Citation (p.45) d'une citation: "Franck ne se retrouve donc pas dans l'affirmation d'Annie Ernaux selon laquelle "il était normal d'avoir honte, comme d'une conséquence inscrite dans le métier de mes parents, leurs difficultés d'argent, leur passé d'ouvriers, notre façon d'être"."

Au prêt sur gage, Pauline Peretz. Un des livres qui m'avait le plus intéressé (et je ne dis pas cela parce que l'auteur était la co-directrice de la collection!). Je connais le mécanisme des prêts du Mont-de-Piété. L'analyse sur les motivations des "clientes" (en majorité), leurs histoires de vie, leurs rapports aux objets mis en gage, sur la constitution d'une épargne en "objets de valeur" plutôt qu'à la bourse ou à la banque, le désintérêt, d'une certaine manière, du véritable "coût du crédit"... Tous cela représente un monde "à part", mais fascinant.

Business dans la cité, Rachid Santaki. L'auteur a publié une quinzaine de livre (essentiellement des polars?) entre 2008 et 2020. Cet ouvrage, publié en 2014, semble une oeuvre d'imagination, mais avec une connaissance de l'environnement du "9-3" qui, certainement, rend le récit à la première personne crédible (comme les "série noire" de la grande époque?). 

Les reins cassés, Lou Kapikian. A ce jour le dernier que j'ai acheté, d'occasion, en 2021 (y compris la dédicace de l'auteur). Ce témoignage sur la dialyse et la greffe du rein et les contraintes vécues par une malade (accompagnée dans l'écriture du livre par des "professionnels") m'a permis de mieux cerner ce que vit un de mes propres cousins. Brrr... 

La maison des vulnérables, Sylvia Zappi. Quelques portraits de résidents dans un genre de "foyer social". Des parcours de vie cassée et qui se reconstruisent dans ces murs où les personnes peuvent bénéficier d'un accompagnement à la vie quotidienne.

Les grandes villes n'existent pas, Cécile Coulon. Un témoignage sur une enfance dans un village à la campagne. Et sur la vie au village, au passage à l'âge adulte (symbolisé par le permis de conduire et la liberté qu'il apporte - y compris celle de mourir sur la route). Emma en avait parlé.

L'homme océan, Sylvie Caster. Un style bien journalistique (des phrases courtes: sujet, verbe, complément...) pour parler d'un homme, marin, pêcheur, ancien militaire, tatoué, père de famille... 

Moi, Anthony, ouvrier d'aujourd'hui (sans nom d'auteur). La vie entre petits boulots, enchaînements de CDD entrecoupés de chômage, l'absence d'envie de se retrouver "prisonnier" d'un emploi en CDI (alors que le quitter en démissionnant fermerait la porte des indemnités chômage), formation en alternance arrêtée parce qu'il ne supportait plus, la vingtaine passée, d'être mis sur le même pied que ses condisciples adolescents... En janvier 2014, Anthony avait 27 ans. Il doit donc en avoir 36 aujourd'hui? A la fin du livre, il envisageait de reprendre ses études, en passant le DAEU...

La députée du coin, Nathalie Nieson. Un témoignage intéressant. J'avais noté que cela recoupait un ou deux autres livres du même genre que j'avais lus (mais sans qu'ils s'inscrivent dans un tel cadre de "collection"). A l'époque, l'auteur était député PS. elle avait commencé par être maire, et l'est redevenue à l'issue de son mandat (en tenant sa parole de ne pas en briguer un second). En 2022, elle est devenue secrétaire générale déléguée de Renaissance (le parti de Macron). Comme quoi, avec des études de compta, on peut faire beaucoup de choses.

Je ne me sens pas capable, aujourd'hui, de faire une analyse très poussée de cette aventure éditoriale qui s'est achevée en soumission aux contraintes économiques. Je citerais seulement la préface de la seconde édition du Parlement des invisibles (p.10): "Sur les 26 titres publiés, trois seulement ont eu un fort impact sur les milieux concernés, ayant eu un effet miroir producteur de répercussions collectives (...). Les autres ouvrages, d'après les informations que nous avons pu recueillir, ont, malgré leur prix de vente très bas (6 euros) [sic!], été lus davantage par ceux qui s'intéressaient à la société que par la grande masse des Français d'en bas [re-sic!]. L'indéniable impact éditorial de l'entreprise (il y a eu 185 000 exemplaires vendus pour 26 titres) doit ainsi être modulé par cette considération sociologique".

Je concluerai juste en relevant que j'étais tombé, lorsque j'avais écrit précédemment quelques lignes à propos de la collection "Raconter la vie", sur un article de Frédéric Lordon, en février 2014, qui ne laissait même pas le bénéfice du doute à l'initiative lancée par Pierre Rosanvallon. 

18 décembre 2022

Deux livres à offrir en cadeau à des jeunes d'âge scolaire

Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) vais vous offrir deux idées de petits cadeaux pédagogiques.

Lorsque nous étions retournés à Guédelon avec dasola il y a quelques mois, j'avais été très intéressé par une démonstration de géométrie appliquée à la construction, au travers de laquelle percolait la passion du "formateur". Ses instruments? Le compas et la règle. Mais nous n'avions pas été accueillis sur le site, comme en 2008, avec une "introduction à l'usage de la corde à 13 noeuds". Du coup, j'avais acheté à la librairie du site l'opuscule que je vous présente aujourd'hui.

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Mesurer et tracer au Moyen-Âge, Guédelon, 2022, 64 pages

Le livre donne des informations sur les différentes unités de mesure, en lien avec le corps humain (donc, bien entendu, variables d'un lieu à l'autre, même si leurs rapports respectifs étaient stables).

P1150602 p.7.

Guédelon a "standardisé" ces différentes unités... 

P1150599 p.10-11.

Page 13, est évoquée la "fameuse" corde à 13 noeuds, dont il est dit qu'elle a été inventée par les Egyptiens il y a plus de 4000 ans. Le titre général de la page est "Les instruments de mesure et de tracés sur un chantier au Moyen Âge".

P1150600 p.21.

Par contre, Wikipedia (consulté le 16 décembre 2022) fait état d'une controverse et insiste sur l'absence de preuve d'usage de la "corde à 13 noeuds" au Moyen-Âge (que ce soit dans l'iconographie ou dans les textes). Conclusion: selon les chercheurs cités, ce serait un "mythe néo-pédagogique" qui remonterait à 1966. Si ce n'est pas vrai, c'est bien trouvé! Le livre peut en tout cas constituer un bon "aide-mémoire" pour des notions de géométrie appliquée: la démonstration du théorème de Pythagore, la définition d'un carré, d'un triangle, d'un trapèze...

Bien entendu, cela n'empêche pas d'aller faire, en saison, une visite familiale au Château-fort.

Et, pour finir sur une anecdote concernant les mathématiques: je connais un professeur de maths qui me chante parfois les louanges du système duodécimal (12), pour multiplier les compétences en calcul mental aux gamins, notamment. Mais, à ma connaissance, il n'a pas encore écrit de livre sur le sujet... 

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Le second ouvrage, que je viens de "cueillir" dans une librairie de quartier dans laquelle mon actuel club CIGALES vient d'investir, est encore plus polémique. 

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Le nucléaire n'est pas bon pour le climat, Hervé Kempf, Seuil coll. Seuil libelle, septembre 2022 

Hervé Kempf est journaliste et fondateur du site Reporterre. Il est aussi l'auteur de plusieurs livres sur les thématiques environnementales et la critique du capitalisme (et des capitalistes). Dans ce récent ouvrage, il critique le "pari" fait sur la relance du nucléaire en France, non sans des arguments qui me paraissent solides, d'une part sur le problème des déchets nucléaires, et surtout, d'autre part, sur le risque d'accident d'une centrale nucléaire en France (en contradiction avec le discours officiel comme quoi un accident nucléaire, tel que Tchernobyl ou Fukushima, ne pourra jamais avoir lieu en France). Je pense que la lecture de cet opuscule (54 pages en gros caractères) peut aider à se construire un avis sur le sujet. 

Pour conclure sur ce sujet en donnant ma propre opinion: je suis intimement persuadé que, lorsque se sera produit, en France, l'inéluctable accident aux conséquences catastrophiques clairement annoncées dans ce livre (territoire plus ou moins étendu contaminé et inhabitable, morts par centaines sinon par milliers [y compris pour des causes collatérales: accidents de la circulation, stress...], coût se comptant en centaines de milliards d'euros)... Une fois l'accident advenu, disais-je, tous les experts du monde seront sans conteste capables de nous expliquer par le menu, minute par minute, comment il s'est produit, à la suite de quelle intervention humaine intempestive et/ou de quel événement imprévu parce que totalement imprévisible... alors qu'on nous a seriné depuis des décennies qu'un tel accident était impossible. La question n'est pas là. La question est que nous devrions, le plus rapidement possible, décider de nous passer totalement d'une technologie aussi dangereuse. J'ai dit (et écrit).

A part ça, bonnes fêtes à tous, nous y sommes presque, ce n'est plus qu'une affaire de jours (pour les Fêtes, je veux dire).

11 décembre 2022

Sa préférée - Sarah Jollien-Fardel

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Sa préférée (Sabine Wespieser Editeur, 200 pages), le premier roman de Sarah Jollien-Fardel née en Suisse en 1971, est une réussite. Il vient d'être récompensé par le prix du roman Fnac 2022 et il a été en lice pour le prix Goncourt. L'histoire se passe en Suisse, dans un village haut perché dans le Valais. Dès le début, Jeanne, la narratrice (le récit n'est fait que par une personne), nous fait entrer tout de suite dans le vif du sujet : la violence faite aux femmes. En l'occurence, Claire, la mère, et Emma, la soeur de Jeanne, sont maltraitées, battues, humiliées et (même violée pour Emma) par Louis, le père, un être fruste et frustré qui ne savait dire que des insanités. Jeanne, la plus jeune, est la seule à lui avoir tenu tête jusqu'au jour où il l'a tabassée à tel point qu'elle s'est retrouvée alitée. Dès qu'elle l'a pu, Jeanne est partie de la maison. Elle s'est rendue compte que les voisins et la famille savaient ce qui se passait, mais personne n'a levé le petit doigt pour aider ces trois femmes. Jeanne ne pardonnera jamais à son père pour ce qu'il a fait subir à sa soeur et à sa mère. Elle trouve refuge à Lausanne et éprouve de l'apaisement à nager dans le lac Léman. La nature tient une part importante dans l'histoire. Et Jeanne, malgré ses mauvais souvenirs d'enfance, revient souvent dans les montagnes valaisiennes. Par ailleurs, Jeanne a du mal à s'attacher profondément à quelques personnes comme Marine ou Paul, une femme et un homme dont elle tombera amoureuse. Un roman avec une écriture qui est tenue de bout en bout. Je conseille.

20 novembre 2022

Le bureau des affaires occultes 2 : Le fantôme du vicaire - Eric Fouassier

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Le bureeau des affaires occultes 2 - Le fantôme du Vicaire (Edition Albin Michel, 377 pages haletantes) commence quatre mois après la fin du Bureau des Affaires occultes que j'ai lu plus tôt dans l'année 2022. Cela se passe donc en  mars 1831, au début du gouvernement de Louis-Philippe. Valentin Verne, 24 ans, est toujours à la recherche d'un certain Vicaire qui est l'incarnation du Mal absolu. Ce Vicaire l'avait retenu prisonnier quand il était enfant et il lui avait fait subir les pires sévices pendant quelques années. Valentin qui est inspecteur de police a maintenant un adjoint, Isidore Lebrac, un jeune homme roux perspicace. Valentin éprouve aussi de tendres sentiments pour Aglaé, une jeune actrice de théâtre qui lui avait sauvé la vie dans le premier tome. Il y a deux histoires distinctes dans le roman. Celle dans laquelle le Vicaire crée un jeu de piste mortel pour que Valentin se rapproche de lui. Il sème des cadavres sur lesquels il laisse des missives parfois énigmatiques. Certaines victimes sont des proches de Valentin. La deuxième histoire est axée sur le thème du spiritisme. Ferdinand d'Orval a perdu sa fille unique décédée brutalement et il a aussi perdu sa première femme. Désormais, il est remarié à Mélanie, une jeune femme qui vient un jour voir Valentin. En effet, elle a peur pour son mari qui semble être sous la coupe d'un aigrefin, un "Russe de pacotille" qui fait tourner les tables en promettant à Ferdinand que sa fille Blanche va lui apparaître. Et là, Eric Fouassier nous parle de l'utilisation du Diorama inventé par Louis Daguerre. Il est aussi question d'Alfred de Musset et de Théophile Gautier, d'émancipation des femmes avec la présence de Claire Démar (1799-1833) dans le mouvement saint-simonien. Et il y a aussi Vidocq qui vient en aide à Valentin. Je ne sais pas s'il y aura un troisième tome mais ce diptyque forme un tout homogène et il y une conclusion. A la différence d'Eva, j'ai presque préféré ce deuxième tome au premier. Les deux peuvent se lire indépendamment, même si lire le tome 1 avant le tome 2, c'est mieux. 

19 novembre 2022

L'appartement de la rue Henri-Robert - Jean-François Berthier

Le livre que je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) chronique aujourd'hui met en avant une unité de lieu à défaut d'une unité de temps. L'appartement de la rue Henri-Robert qui donne son titre à l'ouvrage est ce qui relie entre elles six nouvelles. J'ai commandé cet ouvrage à ma librairie de quartier, et l'ai reçu en moins d'une semaine.

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L'appartement de la rue Henri-Robert, éd. Le temps qu'il fait, 2022, 91 pages

La première nouvelle, La fin d'une légende, se présente comme un témoignage de première main sur une héroïne historique. J'ai apprécié la mise en avant d'un phénomène de rapprochement de personnes de classes sociales différentes "dans la vraie vie", à partir du moment où elles fréquentent, hors de chez elles, un endroit où les rassemble un intérêt commun. 

La fin d'un combat (oui, en fait, chaque nouvelle commence par La fin...) m'a bien évidemment évoqué telle ou telle des nouvelles du recueil Le silence de la mer de Vercors, de par la période traitée (l'Occupation).

J'avoue: la conclusion de la troisième nouvelle, La fin d'une illusion, je ne l'avais pas vue venir. Elle se déroule en 1968.

La fin d'un aveu (la quatrième) est l'une des deux plus longues. Comme chacune, c'est un "récit à la première personne", et cette fois-ci l'héroïne occupe l'appartement du titre dans un cadre de type B&B (une semaine de vacances).

Même si on ne peut pas dire qu'il s'agit d'histoires gaies, j'ai trouvé la cinquième nouvelle (La fin de l'espoir) particulièrement triste: comment "la société" se permet de se mettre en travers d'un élan de rapprochement entre deux personnes (au motif de ce qu'on appelle un "délit de solidarité"?).

Je me suis quelque peu identifié au narrateur de la sixième et dernière nouvelle (La fin du désir?). C'est vrai qu'adolescent, je rêvais d'habiter un jour un appartement pas loin de là (dans l'Ile de la Cité - place Dauphine, comme Yves Montand!). Mais surtout, je me reconnais dans le fait de recopier dans un cahier les phrases des livres qui m'ont le plus touché... depuis des décennies. Et le livre finit comme dans le souvenir évoqué en introduction, par une visite de l'appartement lié à Madame Roland.

Tout n'est-il qu'imagination (au-delà de toute remarque sur la mémoire qui trahit), ou bien a-t-il dans telle ou telle nouvelle quelque élément autobiographique? Il faudra que je le demande à l'auteur, en même temos qu'une dédicace, la prochaine fois que je le croiserai. Car, oui, je ne vous l'ai pas encore dit, je connais l'auteur (qui m'avait annoncé la parution imminente de l'ouvrage), et cette chronique pourrait donc figurer sous un intitulé "copinage" si nous étions dans un titre de presse...

11 novembre 2022

Le cabaret de la belle femme / Les croix de bois - Roland Dorgelès

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Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) voulais présenter, à l'occasion du 11-Novembre, deux livres de Roland Dorgelès sur cette guerre de [19]14-18 désormais tellement lointaine que les humains déjà nés lorsqu'elle se déroulait se font de plus en plus rares... Les deux titres sont éligibles au challenge "2022 en classiques" (co-organisé par Nathalie et Blandine), même si Le cabaret de la belle femme bénéficie, en 2022, d'infiniment moins de notoriété que Les croix de bois pour le(s)quel(les) le grand public connaît encore Roland Dorgelès. Je ré-émets la même hypothèse que j'avais mise dans un billet précédent: peut-être faudra-t-il encore attendre 18 ans avant que le passage dans le domaine public entraîne des rééditions de ses titres moins susceptibles de générer de grosses ventes... Je l'inscris aussi pour le Challenge Première Guerre mondiale 2022 - De 14-18 à nous organisé par Blandine seule pour la 6ème année (il lui tient à coeur!).

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Le Livre de Poche (N°189-190 et 92). Mes deux volumes ont tous deux été imprimés en 1969.

P1150445Le cabaret de la belle femme

Je commence par le plus mince (248 pages), qui est aussi le moins connu des deux titres. Le cabaret de la belle femme contient un copyright 1928 chez Albin Michel (en "édition définitive"?), je ne saurai pas dire en quelle année il a été publié pour la première fois. Ce livre-là, je ne l'avais jamais lu "de ma vie", ni même n'avait eu l'occasion de le feuilleter (avc sa couverture "vieillotte" et datée, je ne sais pas si ce N°92 de la collection Le livre de Poche avait connu ou non un succès de librairie à l'époque de sa sortie? Il n'a jamais figuré en tout cas dans les pochothèques des "maisons de famille" que j'écumais pour y glaner de quoi lire durant mes vacances d'enfant puis d'adolescent (prolongé...). Je me le suis offert il y a quelques semaines après être tombé dessus dans une bouquinerie. Les 11 premiers chapitres peuvent apparaître comme des "nouvelles "plus ou moins indépendantes, ayant pour thématique la guerre de 14-18. Dans ce "récit à la première personne", l'auteur dit "nous" avant de passer au "je". Il se positionne comme un  témoin, qui décrit, qui "capte" les conversations entre "camarades". La nouvelle qui donne son nom au recueil arrive alors que les "désillusions" de la vie en campagne ont déjà commencé à être exposées. Dorgelès nous croque des personnages: le principal semble Lousteau, qui peut faire songer aux troupiers de Courteline (jusqu'à finir en apothéose?). Les épisodes alternent entre vie dans les tranchées et "repos" à l'arrière. Si tragique que puisse être la guerre, Dorgelès arrive à en mettre en exergue certains éléments comiques. D'autres pages peuvent décrire des guerriers rappelant le Capitaine Conan de Vercel (Cadinot). Les officiers supérieurs (jusqu'au général inclus) en prennent parfois pour leur grade (si je puis dire). D'ailleurs, les trois derniers chapitres sont présentés comme ayant été rédigés pour faire partie des Croix de Bois, mais (auto-)censurés. Je cite: "ces trois chapitres, qui figuraient dans la première version des Croix de bois, ne furent pas maintenus dans la version définitive. Le lecteur comprendra qu'il était difficile à l'auteur, alors simple caporal, de présenter quelques-unes de ces pages au visa de la censure militaire." Précisons encore qu'il en existe une édition plus récente (1979) avec une autre couverture. Ce bouquin-là, je vais me le garder pour moi dans une pile, pour pouvoir le relire à volonté, l'an prochain ou dans 10 ou 20 ans... 

J'ai trouvé quelques mots concernant ce livre sur le blog littéraire de Jean-Louis Le Breton (dernier billet en 2019). 

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P1150444Les croix de bois

Celui-ci, je me l'étais acheté en novembre 1985 (alors que le film Les croix de bois de 1932 était passé à la télévision le 11 novembre, d'après ce que j'avais marqué dans mon exemplaire). Le livre compte 475 pages, mais il est imprimé en corps plus gros. Il est divisé en 17 chapitres (il aurait donc dû y en avoir 20?). L'aspect "témoignage vécu apparaît tout à fait crédible. Je relèverai entre autre le "besoin" de partager ce qui a été vécu, mais uniquement avec les "frères d'armes", ceux qui peuvent "comprendre" et apprécier. p.253: "Au comptoir, dans un tumulte, les camarades parlaient interminablement de la tranchée: il n'y a que le soldat qui écoute sans lassitude les histoires de soldats. La bouche déjà gonflée de la réplique traditionnelle: c'est comme moi, figure-toi...", ils s'entendaient l'un l'autre, sans chercher à comprendre, et pensant seulement à placer leur récit." Je relèverai encore le constat grandiloquent, p.326: "Au secours! Au secours! On assassine des hommes!" (p.326). On lit des descriptions de massacres (inutiles, vus à hauteur de soldats qui se font tuer par les obus, faucher par les mitrailleuses...). Une compagnie massacrée pour quelques centaines de mètres "gagnés" (jusqu'à la prochaine contre-offensive ennemie), quelle utilité, peut-on penser aujourd'hui. Alors même que l'on sait maintenant que "le soldat" de 14 tiendra toujours, tant que l'industrie a encore assez de matières premières pour produire du matériel de guerre, de la main-doeuvre pour faire tourner les machines... malgré blocus d'un côté (contre les Allemands), guerre sous-marine à outrance de l'autre (contre les Alliés)... La question, vue de l'état-major pour renseigner le politique, n'était pas tant de savoir "comment vaincre l'ennemi" que "comment ne pas se faire vaincre soi-même"... 

Voici ce que j'ai trouvé sur la blogosphère: Isabelle du blog Ribambelle d'histoires, une lecture commune proposée par Blandine, un billet comparatif sur le blog Cercle des chamailleurs (dernier billet, d'ailleurs, en 2018), ou encore un article d'Elizabeth Bennet du blog Ars Legendi.

J'ai appris en rédigeant ma chronique qu'une BD avait été tirée des Croix de Bois, en 2020. Je ne l'ai pas lue (pas encore).

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Au final, à un siècle de distance, je trouve que ces deux livres rendaient bien justice (dès 1919) à ce que les héros morts ont gagné à cette guerre et aux sacrifices qu'elle a coûté: rien à titre individuel, et pour le pays (ou même pour notre Europe!), collectivement, des millions de morts. Aujourd'hui, la préoccupation de nos états-majors est de "réarmer le moral de la Nation" (à coup de soutien à la publication de bandes dessinées patriotiques!), tout en préparant l'opinion publique au fait que, en cas de "guerre de haute intensité", les morts français (de militaires professionnels) ne se compteront pas (plus) en dizaines comme cela pouvait être le cas lors des "opérations extérieures" de ces dernières décennies, mais en centaines, voire en milliers d'hommes. 

5 novembre 2022

Les vieux fourneaux 7 - Chauds comme le climat - Lupano & Cauuet

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Peut-être parce que cette fois-ci, les sujets abordés sont plus sérieux (les travailleurs clandestins - des ouvriers agricoles qui ne parlent pas français -, un incendie criminel, "le grand remplacement", le réchauffement climatique), j'ai trouvé ce tome des vieux fourneaux 7 - Chauds comme le climat (Dargaud, 56 pages) nettement moins amusant que les six précédents. Néanmoins, je conseille tout de même cet album paru hier 4 novembre 2022 qui doit se trouver en tête de gondole dans (presque) toutes les librairies de France. Dans l'album précédent, on avait quitté Pierrot, Antoine et Emile revenus de Guyane. Quand l'histoire commence, on est le 1er mai, Antoine et Pierrot participent aux défilés. Pierrot est avec les Anars et Antoine avec la CGT à Paris tandis que Mimile est à Montcoeur dans le sud-ouest de la France avec Sophie, la petite-fille d'Antoine où ils participent à un grand pique-nique de l'amitié et du vivre-ensemble. Tout se passe bien jusqu'à ce que Berthe, la bonne amie d'Emile, agresse une partie charnue du maire avec une pique à brochettes. On saura pourquoi à la toute fin de l'album. Pendant ce temps, lors du défilé parisien, Antoine se fait molester et se retrouve à l'hôpital. Heureusement que Pierrot vient lui remonter le moral. C'est à ce moment-là que l'on apprend le décès de Monsieur Garan-Servier père, le fondateur de l'entreprise qui fait vivre toute la région de Montcoeur et dont les bénéfices ont atteint des niveaux record. Par ailleurs, à Montcoeur, comme dans d'autres endroits, les ouvriers agricoles sans papiers sont mal vus par les autochtones. Cela va même provoquer un désastre. Dans cet album, nos trois vieux fourneaux sont plus spectateurs qu'acteurs de l'histoire. C'est peut-être pour cela que j'ai trouvé cet album moins drôle. Mais cela ne m'empêchera pas de continuer de suivre les aventures d'Antoine, Pierrot et Emile. A la fin de l'histoire, il y a bien écrit "fin de l'épisode".

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2 novembre 2022

Dans les brumes de Capelans - Olivier Norek

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J'ai été très contente de retrouver le capitaine Victor Coste, l'inspecteur de police que Norek avait abandonné après Surtensions. Cette fois-ci, l'essentiel de l'histoire de Dans les brumes de Capelans (Edition Michel Lafon, 421 pages lues en deux jours) ne se passe pas dans le département du 93 mais à Paris et surtout à Saint-Pierre(-et-Miquelon), cet archipel français, collectivité d'Outre-Mer, qui se situe au sud de Terre-Neuve, à l'Ouest du Groenland et à l'Est de Québec. Victor Coste travaille désormais au SPT (Service de Protection des Témoins). Il est "peseur d'âmes", il est chargé d'évaluer les personnes qu'on lui confie. Le repenti donne des noms, des planques, des contacts. Par la suite, on donne une nouvelle identité au repenti (et à sa famille s'il en a une) et un nouveau pays d'accueil. La résidence protégée par des vitres pare-balles où demeure Victor Coste est bien entendu classée secret défense. Une nouvelle mission est confiée à Coste et cette fois ci, il s'agit d'une victime, Anna Bailly, qui a été prisonnière pendant dix ans depuis l'âge de 14 ans d'un homme responsable de la mort de neuf jeunes filles. Anna est la seule survivante. Son geôlier est à sa poursuite. Andréas, c'est son prénom, est un tueur froid et sans état d'âme qui n'a de cesse de retrouver Anna en laissant d'autres victimes derrière lui. Quand cet homme va arriver à Saint-Pierre, l'île sera bientôt enveloppée d'une brume épaisse, les brumes de Capelans ou de Terre-Neuve. Cette brume va jouer un rôle important lors de la résolution de l'histoire. Je ne veux pas en dire trop sur l'histoire haletante même si Norek donne des indices sur les personnalités de certains protagonistes. Un roman que je conseille comme les autres d'Olivier Norek. Lire les billets de Richard, Cannibales Lecteurs, Alex-mot-à-mots, Matatoune

1 novembre 2022

Regarde les lumières mon amour - Annie Ernaux

Depuis qu'Annie Ernaux a décroché le prix Nobel de littérature le 6 octobre 2022, j'ai (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) vu fleurir sur la blogosphère quelques billets consacrés à l'une ou l'autre de ses oeuvres. Pour ma part, j'exhume aujourd'hui un livre que j'avais lu peu après sa parution, lorsqu'il avait été publié dans une collection aujourd'hui disparue, intitulée "Raconter la vie" (éditions du Seuil). Je pensais détenir là le "collector" absolu, mais j'ai déchanté en voyant que le livre avait été réédité par Flammarion avec un dossier visant spécifiquement les "scolaires", et qu'il est également disponible en "Folio" (N°6133), avec une postface inédite de l'auteur. Nonobstant, je vais vous le présenter - peut-être que tous les lecteurs et lectrices du blog ne le connaissent pas?

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Regarde les lumières mon amour, Annie Ernaux, 2014, Seuil, 72 pages

Ce titre a fait partie des six premiers publiés dans la collection. Je ne sais pas s'il a été rédigé spécifiquement pour elle, je suppose que oui: une "signature", ça peut aider un démarrage. En tout cas, il a demandé une certaine préparation - sauf s'il s'agit d'une pure fiction bien sûr. Le titre se présente pourtant comme un essai de sociologie appliquée, sous forme d'un journal d'observations qu'elle a tenue du 8 novembre 2012 au 22 octobre 2013 (le livre est paru en mars 2014). Le récit à la première personne retrace donc ses visites au supermarché Auchan du centre commercial des Trois Fontaines, à Cergy. Cela fait aussi remonter quelques bouffées de souvenirs (supermarché à Londres où Annie Ernaux était fille au pair en 1960, ou Annecy dans les années 1970...). Si vous vous interrogez sur le titre de l'oeuvre, c'est p.40 qu'il est justifié. 

Vu que c'est le seul livre de notre nouvelle Prix Nobel que j'ai lu jusqu'à présent, je ne sais pas si le style "discret" employé dans ce livre est particulièrement caractéristique. Il lui permet de glisser à petites touches quelques critiques plus ou moins voilées de notre société de consommation "de masse", en visant ici spécifiquement Auchan. Au fil des pages ou des rayons sont égrenées quelques considérations sur le jour privilégié pour l'achat du poisson, le fait que la clientèle du samedi n'est pas la même que celle des autres jours, et pourquoi (p.25), sans oublier les interrogations de l'auteur sur les termes à choisir (p.21) pour "qualifier" la clientèle observée. Elle évoque aussi bien le rayon super-discount (produits en vrac, à bas coût, sans "mise en valeur") que l'espace "livres" (pas vraiment une librairie) où sont mises en avant systématiquement les "meilleures ventes". Et puis il y a la saisonnalité des ventes, que la durée de son "journal" permet de mettre en évidence: la "rentrée scolaire" qui se met en place (p.64) dès début juillet ("rends ton vieux cartable, tu auras un "avoir" sur celui que tu achèteras neuf" [en fait, le message semble voussoyer les gamins...]), Noël et ses jouets "genrés" (pp. 18 et 33), le passage de la banque alimentaire (p.29: "pas de pâtes, s'il vous plaît, l'année dernière on en a eu trois tonnes!").

En quelques phrases neutres et l'air de ne pas y toucher, elle parvient à instiller le doute sur le bien-fondé des temples de la politique de consommation. Je vais me permettre une citation (p.28): "Dans le monde de l'hypermarché et de l'économie libérale, aimer les enfants, c'est leur acheter le plus de choses possibles". Par une simple remarque, elle réussit à "déconstruire" le passage à marche forcée aux caisses automatiques au détriment des caissières: en cas d'erreur involontaire quand on "scanne" ses propres achats sur une caisse automatique, on n'a pas l'impression de voler une machine.

Certains thèmes entrent davantage en résonance avec ma propre "grille de lecture": par exemple, la fine observation sur le "super-discount", relégué au fond du magasin, à côté des produits pour animaux... alors que quelques années avant il occupait un espace plus "stratégique", qu'il partageait alors avec le - petit - rayon bio... mais il a fallu étendre celui-ci, destiné à un autre segment de clientèle. p.32, elle relève l'humiliation imposée par les marchandises: elles sont trop chères, donc je ne vaux rien.

Annie Ernaux trouve le moyen d'évoquer deux catastrophes qui ont eu lieu durant sa période d'observation dans des entreprises textiles au Bangladesh dont les ouvrières (en majorité) fournissent nos produits vendus à bas coût en grande distribution. p.31 (à propos de l'incendie d'une usine textile au Bangladesh [28/11/12?]: "Même les chômeurs français victimes des délocalisations sont bien contents de pouvoir s'acheter un tee-shirt à 7 euros". Et p. 62, elle évoque le bilan de l'effondrement de l'immeuble Rana Plazza (toujours au Bangladesh) le 24/04/2013: bilan de 1127 mort annoncé le 13/05/2013. [Auchan a versé 1,5 millions de dollars au fonds d'indemnisation des victimes en août 2014, selon Wikipedia consulté le 29 octobre 2022.]

J'ai trouvé quelques autres billets sur la toile ayant parlé de l'une ou l'autre édition de ce livre: Florian (blog Le dévorateur), My discovery (dernier billet en 2018), Sabell dans son Petit carré jaune (interrompu en 2019), Vio de Culture en jachère (dernier billet en 2021). Et, plus inattendu, le blog Cuisine d'amour s'est même fendu d'un court billet (1)(2).

Jusqu'à ce que je consulte l'article de Wikipedia sur cet ouvrage (le 29 octobre 2022), j'ignorais que Raconter la vie avait fait l'objet d'une adaptation théâtrale en 2016.

(1) Merci à Aifelle qui m'a signalé (en "commentaire" ci-dessous) la chronique qui était sur sur son ancien blog. et m'a ainsi orienté vers celles de Clara, Cathulu et Mirontaine (et tous les rebonds afférents "d'époque", que les moteurs de recherche ne référencent évidemment plus: Yv, Jostein, Emma...).

(2) Sans oublier Maggie... ni LillylivresSharon. ou Sandrion.

*****

J'aurais souhaité aussi dire quelques mots de la collection "Raconter la vie". J'avais acheté le livre-manifeste de la collection, rédigé par son directeur, Pierre Rosenvallon, publié parmi l'un des tout premiers. Puis j'ai acheté, au fil de l'eau et au fur et à mesure de leur parution, à peu près la moitié des parutions entre 2014 et 2016; et j'en ai déniché par la suite quelques autres en "seconde main" jusqu'à monter aux deux tiers, alors même qu'il n'y avait plus de nouvelles sorties (j'en possède aujourd'hui 17 sur 25)... Ce n'est d'ailleurs qu'à la parution de la réédition du manifeste de Pierre Rosenvalon (début 2020) que j'ai eu connaissance du "bilan global" de l'expérience. Le projet initial comprenait aussi la publication en ligne de "récits" proposés par tout un chacun. J'avais même songé moi-même, un moment, à proposer un texte personnel pour la parution en format numérique. Mais mon "temps de réaction / rédaction" s'est avéré trop long par rapport à la brièveté de l'existence de la collection... Et aujourd'hui, je suis bien en peine de savoir ce que sont devenus les centaines de "récits" publiés, à l'époque, sur la plateforme en ligne qui supportait la collection, au format numérique... Un nouvel article à rédiger, si je creuse davantage le sujet? [voir billet du 30 décembre 2022]

29 octobre 2022

Pleine terre - Corinne Royer

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L'histoire de Jacques Bonhomme dans Pleine terre de Corinne Royer s'inspire d'une histoire vraie qui s'est passée en 2017. Un paysan éleveur de vaches limousines a été tué par un gendarme après quelques jours de cavale. 

A la différence de Shangols qui a trouvé "l'écriture du roman bourrée de clichés usés jusqu'à l'os", j'ai aimé l'écriture de ce roman avec son histoire triste mais qui ne tombe pas dans le misérabilisme. Pendant les neuf jours de cavale, Jacques, qui conduit sa vieille voiture, ne s'est jamais vraiment éloigné de la ferme où il a vécu toute sa vie. Jacques est un homme grand, bien bâti, qui ne s'est pas marié. C'est un fermier qui a repris la ferme familiale et qui n'a rien voulu faire d'autre que de s'occuper de ses vaches limousines. Lors d'un contrôle, il se retrouve dans le collimateur des inspecteurs de la DDPP (Direction départementale de la Protection des populations), qui n'apprécient pas cet homme imposant qui ne se laisse pas intimider. Il semble que, parfois, Jacques n'ait pas rempli à temps les papiers pour les vêlages. Et pourtant, tout animal doit être tracé. Le récit alterne entre la cavale de Jacques Bonhomme et les témoignage d'amis, voisins, membres de la famille sur la personnalité et la vie de Jacques Bonhomme. C'est un roman que j'ai vite lu. Les chapitres sont courts. Je ne connaissais pas cette romancière qui a un style fluide. Je ne me suis pas ennuyée du tout. Ce fut une belle surprise.

Lire le billet de Krol

21 octobre 2022

Si nous avions su que nous l'aimions tant, nous l'aurions aimé davantage - Thierry Frémaux

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Pendant un voyage entre Paris et Limoges, j'ai lu ce bel hommage de Thierry Frémaux (Directeur de l'Institut Lumière à Lyon et Délégué général du Festival de Cannes), Si nous avions su que nous l'aimions tant, nous l'aurions aimé davantage (Editions Grasset, 211 pages) à son ami Bertrand Tavernier, disparu en mars 2021 à presque 80 ans. Ce n'est pas une hagiographie sur le cinéaste mais un portrait plein d'admiration pour un homme qui était un vrai passionné de cinéma, qui ne vivait que pour le 7ème art. Thierry Frémaux, un Lyonnais comme Bertrand Tavernier, a rencontré BT en 1982. Thierry Frémaux évoque les allers-retours que Tavernier faisait entre Paris et Lyon, la création de l'Institut Lumière, les voyages que Tavernier faisait aux Etats-Unis afin de rencontrer des réalisateurs, le public, des universitaires, des critiques de cinéma. Tavernier était un puits de science en ce qui concerne le cinéma américain et français. Il évoquait avec ferveur des cinéastes des années 30 et 40 complètement oubliés. Il n'arrêtait pas de travailler, d'écrire, de découvrir des "vieux films". Je rappelle qu'il a écrit plusieurs livres sur le cinéma américain. Et dans les dernières années, il a fait un documentaire de plus de trois heures, Voyage à travers le cinéma français, que je dois voir. Thierry Frémaux s'attarde sur les détracteurs de Tavernier, il revient sur la nécrologie écrite par Libération (pas très gentille) au lendemain de la mort du cinéaste. Tavernier n'était pas un réalisateur de la "Nouvelle Vague", il avait dix ans de moins que Truffaut, Chabrol, Godard, ou vingt ans de moins que Rohmer ou Rivette et donc Les cahiers du cinéma adorait détester Tavernier. Frémaux évoque les nombreux films très différents qu'a réalisé Bertrand Tavernier. Quand on termine ce récit, on se sent un peu triste mais il donne envie de (re)voir les films du réalisateur. "Chacun est le conservateur de sa propre histoire, Bertrand l'aura fait comme peu de gens et il y procéda sans relâche. Je peux affirmer sans être contredit que personne ne saura plus ce qu'il a su, et que personne ne verra plus ce qu'il a vu. Ainsi va la vie sur terre, ce passage momentané qu'il aura marqué à sa manière, par des films, des livres, des émissions de radio, un blog opulent sur le site de la SACD où il démontre une double voracité de lecteur et de spectateur, d'innombrables bonus de DVD - 234 interventions dans la seule collection Sidonis pour Alain Carradore" (p.181). Le titre de l'ouvrage se réfère à une phrase de Frédéric Dard à propos de sa fille, "Si j'avais su que je l'aimais tant, je l'aurais aimé davantage" (p.208). A titre personnel, j'ai eu le plaisir de croiser Bertrand Tavernier lors d'une vente dédicace en décembre 2008 et je l'avais vu aussi dans un cinéma parisien lors d'une projection grand public. A priori, il payait sa place de cinéma. Un livre que je vous recommande.

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