Le cabaret de la belle femme / Les croix de bois - Roland Dorgelès
Je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) voulais présenter, à l'occasion du 11-Novembre, deux livres de Roland Dorgelès sur cette guerre de [19]14-18 désormais tellement lointaine que les humains déjà nés lorsqu'elle se déroulait se font de plus en plus rares... Les deux titres sont éligibles au challenge "2022 en classiques" (co-organisé par Nathalie et Blandine), même si Le cabaret de la belle femme bénéficie, en 2022, d'infiniment moins de notoriété que Les croix de bois pour le(s)quel(les) le grand public connaît encore Roland Dorgelès. Je ré-émets la même hypothèse que j'avais mise dans un billet précédent: peut-être faudra-t-il encore attendre 18 ans avant que le passage dans le domaine public entraîne des rééditions de ses titres moins susceptibles de générer de grosses ventes... Je l'inscris aussi pour le Challenge Première Guerre mondiale 2022 - De 14-18 à nous organisé par Blandine seule pour la 6ème année (il lui tient à coeur!).
Le Livre de Poche (N°189-190 et 92). Mes deux volumes ont tous deux été imprimés en 1969.
Je commence par le plus mince (248 pages), qui est aussi le moins connu des deux titres. Le cabaret de la belle femme contient un copyright 1928 chez Albin Michel (en "édition définitive"?), je ne saurai pas dire en quelle année il a été publié pour la première fois. Ce livre-là, je ne l'avais jamais lu "de ma vie", ni même n'avait eu l'occasion de le feuilleter (avc sa couverture "vieillotte" et datée, je ne sais pas si ce N°92 de la collection Le livre de Poche avait connu ou non un succès de librairie à l'époque de sa sortie? Il n'a jamais figuré en tout cas dans les pochothèques des "maisons de famille" que j'écumais pour y glaner de quoi lire durant mes vacances d'enfant puis d'adolescent (prolongé...). Je me le suis offert il y a quelques semaines après être tombé dessus dans une bouquinerie. Les 11 premiers chapitres peuvent apparaître comme des "nouvelles "plus ou moins indépendantes, ayant pour thématique la guerre de 14-18. Dans ce "récit à la première personne", l'auteur dit "nous" avant de passer au "je". Il se positionne comme un témoin, qui décrit, qui "capte" les conversations entre "camarades". La nouvelle qui donne son nom au recueil arrive alors que les "désillusions" de la vie en campagne ont déjà commencé à être exposées. Dorgelès nous croque des personnages: le principal semble Lousteau, qui peut faire songer aux troupiers de Courteline (jusqu'à finir en apothéose?). Les épisodes alternent entre vie dans les tranchées et "repos" à l'arrière. Si tragique que puisse être la guerre, Dorgelès arrive à en mettre en exergue certains éléments comiques. D'autres pages peuvent décrire des guerriers rappelant le Capitaine Conan de Vercel (Cadinot). Les officiers supérieurs (jusqu'au général inclus) en prennent parfois pour leur grade (si je puis dire). D'ailleurs, les trois derniers chapitres sont présentés comme ayant été rédigés pour faire partie des Croix de Bois, mais (auto-)censurés. Je cite: "ces trois chapitres, qui figuraient dans la première version des Croix de bois, ne furent pas maintenus dans la version définitive. Le lecteur comprendra qu'il était difficile à l'auteur, alors simple caporal, de présenter quelques-unes de ces pages au visa de la censure militaire." Précisons encore qu'il en existe une édition plus récente (1979) avec une autre couverture. Ce bouquin-là, je vais me le garder pour moi dans une pile, pour pouvoir le relire à volonté, l'an prochain ou dans 10 ou 20 ans...
J'ai trouvé quelques mots concernant ce livre sur le blog littéraire de Jean-Louis Le Breton (dernier billet en 2019).
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Celui-ci, je me l'étais acheté en novembre 1985 (alors que le film Les croix de bois de 1932 était passé à la télévision le 11 novembre, d'après ce que j'avais marqué dans mon exemplaire). Le livre compte 475 pages, mais il est imprimé en corps plus gros. Il est divisé en 17 chapitres (il aurait donc dû y en avoir 20?). L'aspect "témoignage vécu apparaît tout à fait crédible. Je relèverai entre autre le "besoin" de partager ce qui a été vécu, mais uniquement avec les "frères d'armes", ceux qui peuvent "comprendre" et apprécier. p.253: "Au comptoir, dans un tumulte, les camarades parlaient interminablement de la tranchée: il n'y a que le soldat qui écoute sans lassitude les histoires de soldats. La bouche déjà gonflée de la réplique traditionnelle: c'est comme moi, figure-toi...", ils s'entendaient l'un l'autre, sans chercher à comprendre, et pensant seulement à placer leur récit." Je relèverai encore le constat grandiloquent, p.326: "Au secours! Au secours! On assassine des hommes!" (p.326). On lit des descriptions de massacres (inutiles, vus à hauteur de soldats qui se font tuer par les obus, faucher par les mitrailleuses...). Une compagnie massacrée pour quelques centaines de mètres "gagnés" (jusqu'à la prochaine contre-offensive ennemie), quelle utilité, peut-on penser aujourd'hui. Alors même que l'on sait maintenant que "le soldat" de 14 tiendra toujours, tant que l'industrie a encore assez de matières premières pour produire du matériel de guerre, de la main-doeuvre pour faire tourner les machines... malgré blocus d'un côté (contre les Allemands), guerre sous-marine à outrance de l'autre (contre les Alliés)... La question, vue de l'état-major pour renseigner le politique, n'était pas tant de savoir "comment vaincre l'ennemi" que "comment ne pas se faire vaincre soi-même"...
Voici ce que j'ai trouvé sur la blogosphère: Isabelle du blog Ribambelle d'histoires, une lecture commune proposée par Blandine, un billet comparatif sur le blog Cercle des chamailleurs (dernier billet, d'ailleurs, en 2018), ou encore un article d'Elizabeth Bennet du blog Ars Legendi.
J'ai appris en rédigeant ma chronique qu'une BD avait été tirée des Croix de Bois, en 2020. Je ne l'ai pas lue (pas encore).
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Au final, à un siècle de distance, je trouve que ces deux livres rendaient bien justice (dès 1919) à ce que les héros morts ont gagné à cette guerre et aux sacrifices qu'elle a coûté: rien à titre individuel, et pour le pays (ou même pour notre Europe!), collectivement, des millions de morts. Aujourd'hui, la préoccupation de nos états-majors est de "réarmer le moral de la Nation" (à coup de soutien à la publication de bandes dessinées patriotiques!), tout en préparant l'opinion publique au fait que, en cas de "guerre de haute intensité", les morts français (de militaires professionnels) ne se compteront pas (plus) en dizaines comme cela pouvait être le cas lors des "opérations extérieures" de ces dernières décennies, mais en centaines, voire en milliers d'hommes.