Quatre ans après le massacre à Charlie Hebdo, je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) souhaitais rendre hommage à ceux, assassinés ce jour-là, que je n'ai encore jamais évoqués parce qu’ils n’ont pas laissé derrière eux de livre ou d’œuvre que je puisse chroniquer. N’étant pas moi-même journaliste professionnel, j’ai suivi une suggestion qui m’a été faite en allant chercher ce que les collègues ou proches des uns et des autres avaient pu leur rendre comme hommage répercuté dans la presse à l'époque. Mes sources (secondaires, donc) sont indiquées en notes en fin d'article.
Mustapha Ourrad
Cet homme discret et érudit était de longue date (fin des années '90) intégré dans la rédaction de Charlie Hebdo, pour la fonction de lecteur-correcteur. Si je ne suis pas sûr qu'il comptait dans l'effectif salarié permanent de l'hebdomadaire le 7 janvier 2015, il continuait à y officier très régulièrement pour les "bouclages" du lundi. Ce mercredi-là, il s'était rendu à la rédaction pour travailler sur la prochaine publication d'un numéro Hors-série. Les tueurs l'ont assassiné en sortant de la salle de rédaction, avant de quitter les lieux.
Il était humain avant d'être algérien, français ou kabyle, analysait sa fille en 2015 (1). Sa compagne rappelait que le fait de rester à Charlie était une façon de militer, même s'il le faisait sans se montrer (1). D'après ses collègues du magazine Viva où il travaillait en parallèle à Charlie Hebdo, il n'aurait pas aimé d'hommage (2). Une de ses collègues à Viva se souvient d'une parabole qu'il aimait conter (3): "Deux hommes ont un différent, ils vont alors consulter un sage soufi pour les départager. Le premier expose son cas ; le sage lui dit : “Je te comprends, tu as raison.” Le second donne alors sa vision des choses ; “Oui, je te comprends, lui dit le sage, tu as raison.” Un témoin de la scène vient s’étonner face au sage : “Comment peux-tu dire à chacun qu’il a raison ? ce n’est pas possible…” “Tu as raison”, répond le sage."
Enfin, en tâchant de faire le tri entre les articles qui publiaient des témoignages de première main et ceux qui se contentaient de reprendre des informations déjà parues ailleurs, j'ai été touché par l'article d'un blogueur, lui-même journaliste, qui disait notamment "Loin de moi l'idée de m'arroger le droit de rendre hommage à un homme que je ne connaissais pas. Mais (...)" (4).
Le voici représenté par Catherine...
... et croqué par Cabu (avec moustache mais pas barbu!), si j'ai bien interprété la légende du "portrait de groupe" publié p.321 de Cabu, une vie de dessinateur, Jean-Luc Porquet, 2018.
Franck Brinsolaro
Il a été la deuxième personne touchée par les balles une fois les tueurs entrés dans les locaux de Charlie. Il s'agissait de l'un des deux policiers affectés à la protection de Charb, se relayant une semaine sur deux. Je cite sa femme, rédactrice en chef de L'Eveil normand, interviewée par Ouest France (5): "Même s'il n'était pas du tout politisé, Franck aimait l'actu, l'info. Notre métier lui parlait... Et il est mort pour la liberté de la presse. (...) Vous savez, discret comme il était, Franck n'aurait sans doute pas aimé se retrouver dans un article. Mais je le fais pour qu'il reste une trace. Pour les enfants, plus tard. Et parce qu'il n'y a pas eu que des dessinateurs célèbres qui sont tombés. D'autres gens aussi."
Le plan ci-dessus est extrait du numéro spécial de Charlie Hebdo publié "1 an après" (p.4). On y voit la table où était assis le policier, dans la salle de rédaction. Même si, bien entendu, comme tous les policiers des services de protection, il se devait d’être « professionnel » donc transparent (donc, je suppose, sans jamais interagir avec les activités professionnelles de ses « protégés »).
Frédéric Boisseau
Ce chef d'équipe de maintenance travaillait depuis 15 ans chez Sodexho, c'était la 1ère fois qu'il se rendait dans cet immeuble, il ne savait même pas que c'était le siège de Charlie Hebdo, a raconté son épouse à RTL. Il a été la première victime, dans le hall de l'immeuble, avant que les tueurs forcent la porte de la rédaction (6).
Ahmed Merabet
Gardien de la paix, c'est un de ceux qui ont essayé d'arrêter les assassins dans leur fuite en voiture. Blessé dans l'échange de tirs, il a été froidement achevé avant qu'ils s'évaporent dans les rues de Paris.
Sources:
(1) Elsa Maudet, Mustapha Ourrad, l'érudition discrète de "Charlie", Libération, 15 janvier 2015
(2) https://www.vivamagazine.fr/au-revoir-mustapha-170318 [extrait des "Mentions légales" du site internet: VIVA est un magazine de santé mutualiste indépendant. Diffusé à 460 000 exemplaires, principalement auprès d’adhérents à des mutuelles de santé, VIVA bénéficie d’une audience qui dépasse largement les frontières du mouvement mutualiste]
(3) Mustapha, un dernier mercredi chez "Charlie", Blog des correcteurs du Monde, 9 janvier 2015
(4) Blog GrandeurServitude d'Olivier Queulier, https://grandeursrvitude.wordpress.com/2016/01/09/a-la-memoire-de-mustapha-la-moindre-des-corrections/
(5) François Chrétien, Franck Brinsolaro, policier tué en protégeant Charb, Ouest France, 9 janvier 2015
(6) Nous sommes Frédéric. "Ne l'oubliez pas", L'Obs, 10 janvier 2015
Autres articles consultés en ligne:
https://www.la-croix.com/Culture/Actualite/Mustapha-Ourrad-correcteur-a-Charlie-Hebdo-avait-la-France-au-caeur-2015-01-09-1264921
https://www.lejdd.fr/Societe/Faits-divers/Attentat-a-Charlie-Hebdo-Qui-sont-les-douze-victimes-711022
https://www.rtl.be/info/monde/france/jeremy-a-survecu-a-l-attentat-de-charlie-hebdo-pas-son-ami-et-collegue-on-s-est-leves-pour-aller-bosser-et-il-s-est-pris-une-balle--691486.aspx
J'ai aussi relu le numéro 1224 de Charlie Hebdo (daté du 6 janvier 2016) dont le plan ci-dessus est extrait.
Les quatre personnes auxquelles j'ai pensé aujourd'hui ont été massacrées par les mêmes tueurs que les dessinateurs ou journalistes. J’assume mon choix de dire qu’eux sont morts parce qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment, même si c'est le cas de tous ceux qui ont croisé la divaguation ciblée des assassins. Pour ma part, je ne m'étais jamais rendu qu'une seule fois "chez Charlie", à l'époque de la rue de Turbigo, il y a quelque 20 ans.
Ce 7 janvier-là, d'autres victimes ont été blessées par les balles des tueurs. J’ai déjà parlé de Fabrice Nicolino, je m’efforcerai d’écrire sur d’autres auteurs dans les prochains mois. Je suis conscient, par ailleurs, que la liste des cibles des "fous de Dieu", assassins téléguidés depuis je ne sais quelle montagne (prétendant que ça irait à M*h*m*t...), ne se cantonnait pas à la rédaction de Charlie Hebdo, en cette année 2015, ni depuis.
Pour finir, une petite considération personnelle. J'ai vu passer le chiffre des ventes en kiosque de Charlie Hebdo en 2018 (AFP). Il y a un peu moins de 4 ans, j'étais un moineau (ou poisson rouge...) sur 7 millions; je reste aujourd'hui un éléphant sur 30 000. C'est plus valorisant, je trouve.
*** Je suis Charlie ***