Dans le cadre du Challenge Jack London proposé de mars 2020 à ... "plus soif, je veux dire plus lire!" par ClaudiaLucia, je (ta d loi du cine, squatter chez dasola) poursuis mes relectures. J'ai un peu de retard puisque mon billet précédent est paru il y a plus de deux semaines... Je me suis replongé cette fois-ci dans les trois recueils de nouvelles parlant du Klondike que je possède (de longue date) dans ma pochothèque parisienne.
Le fils du loup est le premier livre publié par Jack London, en avril 1900, alors qu'il avait 24 ans. Ce recueil reprenait 8 nouvelles publiées entre janvier et décembre 1899 dans le mensuel culturel Tho Overland Monthly à San Francisco, et une neuvième nouvelle publiée en janvier 1900 dans The Atlantic Monthly de Boston. Ces nouvelles ont lancé la carrière littéraire de Jack London. Elles lui ont été payées de 5 dollars à 7,50 dollars de l'époque. Louis Postif, Paul Gruyer ou "S. Joubert" ont traduit en français telle ou telle des nouvelles, selon la préface et la bibliographie de l'édition de Francis Lacassin en 10-18, qui a aussi repris l'introduction de Pierre Mac Orlan a la première édition française de 1920. Bref. London avait quitté Dawson en juin 1898, lesté de toutes les conversations qu'il avait eues dans les bars avec des pionniers de la ruée vers l'or pour laquelle il était arrivé trop tard, en même temps que des milliers de nouveaux venus dans le pays. Il exploitera ce matériau, ainsi que ses propres expériences de la vie dans le grand nord (piste, marche, conduite d'un traineau, bivouac, froid, faim, maladie...) pour en tirer une grande partie de son oeuvre écrite.
Dans ce recueil, par un procédé que London réutilisera, on retrouve dans la plupart des nouvelles Malemute Kid, acteur, deus ex machina, ou seulement cité. Il s'agit d'"un des premiers pionniers du Klondike (...). C'était un véritable colosse, aussi bon et doux qu'il était fort. Son aménité native, et la cordiale bienveillance qu'exhalait tout son être, étaient aussi propres à lui gagner la confiance d'un chien-loup qu'à lui attirer, sans qu'il les cherchât d'ailleurs, les confidences de l'homme le plus rude". Il peut être amené à agir "en équité" plutôt qu'à s'appuyer sur la légalité des autorités. Je noterais que le chien de traîneau "malamute de l'Alaska" ne supporte pas la solitude, et a besoin d'être en meute pour se sentir bien dans ses pattes (jolie formule trouvée sur le site wamiz). On voit aussi ici ou là agir Sitka Charley, le guide indien, ou le prospecteur Bettles, le jeune ingénieur des mines Stanley Prince, ou encore le Père Roubeau, à qui son état de prêtre interdit de mentir...
Je m'étais offert en 1988 ce livre imprimé en 1975. Lu et relu, il tombe aujourd'hui en morceaux... L'ordre des nouvelles dans le recueil n'est pas celui de publication. J'ignore si c'est celui de The Son of the Wolf (en anglais). Tâchons de dire deux mots de chacune.
Dans Le grand silence blanc (à ne pas confondre avec le livre de Louis-Frédéric Rouquette qui a repris ce titre en 1920), un couple et Malemute Kid affrontent les dangers de la piste en pays inconnu, alors que les vivres et les forces s'épuisent dans le désert glacé. Le fils du loup dépeint le mariage d'un "bushman", vivant depuis 25 ans dans l'ombre du cercle polaire arctique, avec la "squaw" qu'il vient chercher au sein de sa tribu. "Fils du loup" désigne ici le blanc, par opposition au "fils du corbeau" qu'est l'indien. Le blanc a tendance à prendre tout ce dont il a envie... Dans Ceux de Forthy-Mile (première ville créée au Yukon, aujourd'hui "ville fantôme"), Malemute Kid dissuade deux prospecteurs de se battre en duel pour un motif futile. En pays lointain (titre d'un des recueils que je lisais en bibliothèque verte) parle du naufrage de deux paresseux laissés pour compte dans une cabane isolée par l'expédition d'"argonautes" (un groupe de chercheurs d'or citadins) dont ils faisaient partie. A l'homme sur la piste étant ma nouvelle préférée, je la garde pour la bonne bouche. La prérogative du prêtre, c'est un peu Bérénice au Klondike, avec le père Roudeau contraint de conseiller une mauvaise solution. Sitka Charley est le justicier fataliste de La loi de la piste. Bal masqué correspond à une des possibilités ouvertes par le Fils du loup, sous la responsabilité de Malemute Kid. Pour Une odyssée au Klondike, je ne trouve pas le titre si juste que cela au premier abord. Disons seulement que Malemute Kid est capable de prêter 1,7 kg de poudre d'or à un inconnu, un peu comme le journaliste de L'homme qui voulut être roi de Kipling accueille les deux aventuriers. Et puis, c'est vrai, ça parle d'une longue attente de l'être aimé, et de grands voyages... Pour en revenir à l'homme sur la piste, l'histoire se déroule comme un conte de Noël, et a été la première publiée, en janvier 1899. Elle dépeint magnifiquement les fatigues des voyages en traîneau dans la nuit polaire. J'ai toujours trouvé magnifique le rude toast: "A la santé de l'homme qui, cette nuit, avance sur la piste! Puissent ses chiens garder leur vigueur, sa nourriture lui suffire et ses allumettes toujours prendre! Que Dieu lui soit propice! Que le bonheur l'accompagne!". Et que le diable emporte la police montée.
Pas loin du quart du volume (pp.341-441) est constitué d'extraits des mémoires, titrés "Dawson tel qu'il fut", d'un certain Jeremiah Lynch, un aventurier (ancien sénateur, tout de même) qui n'a pas croisé London puisqu'il est arrivé à Dawson quelques semaines après le départ de ce dernier, mais qui a écrit Tree Years in the Klondike ("Trois années au Klondike") sur sa propre expérience là-bas entre 1898 et 1901.
Pour en revenir à Jack London, L'amour de la vie est le deuxième "bouquin à couverture orange" (imprimé en 1974 et acheté par moi 17 ans plus tard) de ce billet. On connaît l'anecdote: Lénine grabataire demandant de la lecture, deux jours avant sa mort, sa femme lui a lu la nouvelle qui donne son nom au recueil.
Nous avons ici huit nouvelles publiées entre 1904 et 1907, rassemblées dans le recueil titré Love of Life & Others Stories en septembre 1907 (l'avant-dernier recueil consacré par London au Grand Nord). L'amour de la vie retrace la longue piste sur laquelle se traînent deux hommes affamés, puis un seul, et le loup famélique qui le guette. Suit la nouvelle Le logement d'un jour: un professeur d'université donne une coûteuse leçon de savoir-vivre à un médecin et à sa patiente. La manière des blancs met en évidence l'incompatibilité de deux cultures: celle de l'indien, qui agit toujours de la même manière, année après année, tandis que le blanc traitera le meurtre de deux manières différentes... selon que le crime a été commis avant ou après l'organisation administrative de l'Alaska en district. L'histoire de Keesh a pu se dérouler à de nombreuses reprises au cours des millénaires: un jeune homme intelligent développe une nouvelle technique de chasse... L'Imprévu met plutôt en évidence la capacité, variable selon les êtres humains, à réagir et à s'adapter à une situation nouvelle lorsque les circonstances l'imposent. Jusqu'à aller devoir rendre la justice, toute la justice et rien que la justice. Dans Loup brun, en Californie, un chien du Klondike découvre le libre arbitre, alors que trois humains ont promis de ne pas tricher. La piste des soleils dépeint (c'est le mot) le récit par Sitka Charley d'une poursuite à mort d'un inconnu par un couple, on ne saura jamais pourquoi. C'est hallucinant à lire, on réalise seulement à la fin le but de la course folle qui nous est décrite. On ne peut qu'imaginer que le pourchassé a commis un acte inexpiable. Cette nouvelle est très habile, et attise la curiosité, je trouve, avec l'indien qui ne sait ni lire ni écrire, mais cherche à illustrer la différence entre l'image figée d'une gravure et les histoires de "vraie vie" qui doivent avoir un début, un milieu et une fin connus. Enfin, Negore le lâche montre le courage nécessaire pour accomplir une ruse de guerre et finir, peut-être, quasiment en épectase (oui je sais, j'ai parfois l'esprit mal tourné).
Dans ce volume, le "document" est constitué d'un article racontant une histoire vraie qui a inspiré London pour au moins l'une de ses nouvelles: un homme affamé perdu dans le Grand Nord - et qui réussit à survivre. ll s'agit de Perdu dans le pays du soleil de minuit, par Augustus Bride et J. K. Mac Donald, publié en décembre 1901.
Je finis mon billet avec le recueil titré L'Appel de la forêt. Il faut lire la très belle présentation par Francis Lacassin de ce volume (une trentaine de pages) imprimé en 1974 et que j'ai acquis en 1992. J'ignore si nos éditions du XXIe siècle la reprennent. L'ouvrage contient quatorze nouvelles publiées entre 1901 et 1926 (Jack London étant mort en 1916), suivies par les 90 pages de L'appel de la forêt proprement dit, le tout dernier texte étant une réponse assez polémique au naturaliste John Burroughs, qui semble avoir critiqué les écrits de London mettant en scène des animaux.
Trop d'or, ou tel est pris qui croyait prendre (c'est l'histoire d'une déveine qui se partage entre deux vieux durs à cuire et un nouvel arrivant, de la vente d'une mine d'or, et du respect de la parole donnée). La nouvelle titrée La Toison d'or est tirée, à peine embellie, de l'expérience personnelle de London en route pour arriver à Dawson, si j'ai bien compris (Liverpool-London: j'ai mis un certain temps à saisir la blague...). On y retrouve, ainsi que dans la nouvelle Les mille douzaines d'oeufs (qui auraient pu valoir 5000 $ si...), certains éléments que London a réutilisés plus tard dans Belliou la fumée, traités sur le mode comique ici, ou plus tragique là. La foi des hommes délivre un message ambigu sur le respect de la parole engagée en même temps que sur la capacité à croire en celle d'autrui. A mes yeux, elle est contrebalancée par celle titrée L'histoire de Jees-Uck (tiens, je n'avais pas songé jusqu'à maintenant à la manière dont ce "nom" pouvait sonner en terme de religiosité...). Bâtard, qui intervient avant dans le recueil, se range cependant dans la catégorie des histoires de chiens, le héros canin étant ici à la fois victime et bourreau. Le mariage de Lit-Lit traite, en gros et en détail, de l'émancipation féminine (vis-à-vis de la puissance paternelle) chez les indiens. On trouve aussi dans le recueil quelques histoires de chasse pas piquées des vers (quand il ne s'agit pas de chasse au dahu). Dans Un survivant de la préhistoire, c'est un malheureux mammouth qui sera la victime. Son cruel chasseur est aussi le héros d'Un breuvage hyperboréen, ou comment se rendre maître d'une tribu soiffarde grâce à un alambic bricolé, ainsi qu'à quelques pincées de bicarbonate de soude pour éliminer la concurrence. Gueule chauve est mis dans la bouche d'un Tartarin local, qui raconte comment il est arrivé à faire se battre à mort deux grizzlis (il sufit de courrir entre les deux!). Dans Le val tout en or, le filon dont rêvait tout mineur est déniché à force de peine. Mais la nouvelle peut aussi faire penser aux mots de Clint Eastwood dans Le bon, la brute et le truand, quelque chose comme: "dans la vie, il y a ceux qui ont un flingue et ceux qui creusent". La fin de l'histoire est de la même veine que L'histoire de Jess-Uck ou que la nouvelle Le logement d'un jour cité plus haut pour un autre recueil: adultère et pardon... L'enfant de la nuit, aventure de rêve, date de 1910. A la lecture de la description du héros masculin, vieilli prématurément par l'alcool 12 ans après son retour du Grand Nord, on ne peut qu'espérer que ce n'est pas trop autobiographique! Miracle dans le Grand Nord enfin, c'est l'histoire de quatre hommes à court de vivre, dont l'un (John Thornton) est accusé du vol de lard commis par un autre (Bertram Cornell, "un mauvais homme et un raté") - qui finira par faire le sacrifice de sa vie pour se racheter (la nouvelle semble dater d'entre 1900 à 1905, mais n'avoir été publiée qu'en 1926, à titre posthume?). Et puis, l'on arrive au plat de résistance: L'appel de la forêt. Il faudrait un billet entier pour parler de cette oeuvre très connue (court roman publié en 1903 en anglais et traduit en français dès 1906), divisée en six chapitres. Le chien Buck passe de main en main, depuis la Californie où il est né (dans un domaine qui rappelle celui où Croc-blanc - postérieur - finit ses aventures), et vit de longues aventures comme chien de traineau, jusqu'au retour à la vie sauvage après la mort violente de son dernier maître, John Thornton (le même, peut-être, qui avait été sauvé de justesse dans le Miracle... précédent). Notons qu'au fil des traductions successives, The Call of the Wild a aussi été titré L'appel du grand nord, L'appel sauvage, et enfin L'appel du monde sauvage (pour l'édition "Pléidade" en 2016).
Poour conclure ce billet, je voudrais au moins mentionner une nouvelle que je n'ai pas sous la main (le bouquin se trouve dans une "résidence secondaire" à bien plus de 10 kilomètres de Paris et que je ne peux donc pas fréquenter pour le moment), mais qui m'a toujours bien plu lorsque je l'ai lue et relue en "Bibliothèque verte" dans le recueil Les enfants du froid. Jack London y évoque de manière littéraire, dans la fiction, un combat désespéré. Pour The League of the Old Men, la traduction de Louis Postif donnait "La ligue des vieux" (dans les années 1930). Je ne connais pas les deux traductions suivantes, celle de Simone Chambon, "La ligue des vieillards" (1989), ni celle de Marc Chenetier, "La conjuration des anciens" (1989). Qu'en pensez-vous? Pour ma part, ayant essayé de "caractériser" toutes ces histoires de chiens ou d'êtres humains, blancs ou indiens, sans les raconter ni même les résumer, j'espère vous avoir donné envie de les lire vous-même...
Je remarquerais encore qu'aujourd'hui, les prospecteurs (autres que les grandes sociétés) s'acharnent et meurent, pour de l'or ou d'autres minéraux, en Amazonie, en Afrique... Mais on attend encore l'écrivain qui nous fera rêver en contant leurs aventures humaines. Nous sommes surtout sensibles aux rivières empoisonnées au cyanure et à l'environnement "naturel" détruit à jamais.
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Un zeste de bande dessinée encore. Pour qui aime bien les "histoires de canard" (Duck), je voudrais juste signaler que Picsou (Uncle Scrooge) a commencé sa fortune au Klondike, selon les histoires racontées par le dessinateur Don Rosa après Carl Barks. Dans son Intégrale publiée chez Glénat à partir de 2012, on peut dénicher quelques pépites. On y croise même Jack London en mémorialiste... affublé d'une truffe de chien!
(Don Rosa conclut chaque "aventure" d'un texte explicatif sur ses sources d'inspiration - ici p.146 du tome II)