C'est d'extrême justesse que je (ta d loi du cine, "squatter" chez dasola) réussis à monter à bord du XIVe challenge Summer Star Wars ("Andor"), qui se termine avec l'été 2023, comme son nom l'indique. Mon billet pourra aussi s'inscrire au 11e challenge de l'Imaginaire. Il concerne un classique de la SF, que j'ai pour ma part découvert très récemment, via la blogosphère.
Les dépossédés, Ursula K. Le Guin, 1974 (trad. française 1975), Le livre de poche N°7288, imprimé en juillet 2023, 446 pages
Jusqu'à récemment, je n'avais jamais entendu parler d'Ursula K. Le Guin (1929-2018), surtout connue pour sa série Terremer. Les dépossédés s'inscrit dans un autre cycle, Le livre de Hain (qui comprend un total de 7 titres), mais peut tout à fait se lire comme une oeuvre indépendante (c'est en tout cas ce que j'ai fait!).
Le volume débute par la représentation graphique de deux planisphères. Sur Urras, d'un océan unique émergent deux continents et quelques autres terres plus ou moins étendues. Sur Annarès (que l'on apprendra dans le roman être une lune d'Urras - si j'ai bien compris), une terre unique ceinture la sphère, sépare ainsi deux mers principales et en comprend quelques autres, intérieures, plus petites. Les populations (d'essence humaine) d'Urras et d'Annarès ont la même origine, mais se sont séparées il y a environ deux cent ans (sept générations) quand commence le roman. Annarès est cantonnée dans l'isolement, et visitée huit fois dans l'année par des vaisseaux spatiaux d'Urras, dont l'équipage ne peut sortir du "Port" d'Annarès. Le vaisseau du jour va embarquer un passager en provenance d'Annarès, ce qui est rigoureusement inédit...
J'avoue ici que j'ai failli me faire happer et repartir pour une lecture depuis le début, alors que j'ai fini ce livre il y a déjà quelques semaines et que je voulais juste me rafraîchir les idées. Je vais donc essayer de ne pas le raconter!
Disons que ce mystérieux passager, Shevek, est une personnalité hors du commun, un "physicien" surdoué à qui Annarès n'a plus rien à apporter mais qui va chercher, lui, à apporter quelque chose à Annarès (et, accessoirement, à Urras et au reste de l'humanité): une révolution dans le déplacement interplanétaire.
Le génie d'Ursula K. Le Guin est de nous décrire deux univers par le "truchement" de Shevek (certains épisodes renvoient à son enfance, d'autres à sa vie adulte avant son départ de sa lune natale...). Ainsi s'enchevêtrent différents chapitres, tant par des retours en arrière (les années de formation puis la jeunesse du "transfuge"), que par ce qui lui arrive une fois arrivé sur Urras (où il était attendu "comme le Messie" par les scientifiques locaux).
Par ce biais nous sont dépeints des univers mentaux différents, des philosophies de la vie différentes. Sur Annarès, la population (quelques centaines de milliers de personnes) mène un mode d'existence, une vie communautaire autosuffisante (par obligation), qui, m'a-t-il semblé, peut ressembler à l'image d'Epinal du Kibboutz des débuts du sionisme. Une société (une vie sociale) a été mise en place "ex nihilo" par ceux à qui a été accordé jadis le droit de peupler Annarès, pour y vivre en accord avec les préceptes définis par celle qui a "inventé" leur mode de vie: Odo. Sorte de "guide spirituel" (désormais statufiée et mythifiée), elle a mis en route la voie ardue de l'utopie communautaire. Ces "exilés" odoniens ont ainsi pu mettre en pratique un mode de vie (sans argent) que ne souhaitaient pas conserver en leur sein les unes ou les autres des civilisations entre lesquelles Urras est divisée...
Cette société annarienne m'a semblé mettre en application au quotidien l'anarchie (la vraie), celle qui forme les individus à être capables de vivre collectivement dans une société sans organes de pouvoir. Mais il n'est pas simple de concilier idéal de liberté collective et contrainte par des normes sociales intériorisées... qui interdisent de questionner ce fonctionnement même, celui qui régit les limites de la liberté individuelle.
En tout cas, ces "libertaires" pacifiques et frugaux sont différents des libertariens à l'américaine, que je conçois comme des individualistes forcenés prêts à défendre, par la force s'il le faut, leur “droit” à vivre égoïstement, en refusant toute contrainte collective, et en premier lieu tout impôt destiné à la prise en charge de l'intérêt général.
Ce qui concerne Urras peut être vu comme des caricatures des sociétés étatsuniennes, soviétiques, chinoises, africaines (qu'il s'agisse de climat, d'organisation politique, policière...).
Chaque situation évoquée amène des développements parfois pas si évidents... et on tourne page après page. Au final, j'ai trouvé qu'il s'agit d'un beau libre. D'un très beau livre. D'un très grand livre. D'un livre passionnant. D'un livre magnifique de subtilité et d'intelligence, qui amène à la réflexion.
C'est grâce au blog de Lybertaire que je l'avais découvert.
Dans le cadre des différents challenges Summer Star Wars, Elassar l'avait chroniqué en 2022, Baroona en 2014.