Voici un billet sur un documentaire qui est sorti en catimini, sans pub, presque anonymement (et c'est bien dommage). Il s'appelle D'Arusha à Arusha (référence à De Nuremberg à Nuremberg), et le Français Christophe Gargot essaye de nous y montrer, de nous faire ressentir et de nous donner une approche de ce qu'est le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) qui a été créé dès novembre 1994. La mission du TPIR consiste à juger les responsables du génocide des Tutsis par les Hutus qui s'est déroulé d'avril à juin 1994 faisant plus d'un million de victimes. Arusha se situe en Tanzanie. C'était là qu'un accord de paix pour mettre fin à une guerre civile avait été signé en août 1993, et c'est de là que revenait, le 6 avril 1994, le président Rwandais hutu dont l'avion a été abattu par un missile. Le 7 avril, les massacres commençaient.
Le film nous montre, d'une part, les séances d'interrogatoires et de plaidoiries des accusés et des avocats dans le tribunal proprement dit avec une traduction franco-anglaise (les juges sont pour la plupart anglo-saxons), sans aucune voix "off"qui parasite ce que l'on voit et ce que l'on entend. Parmi les accusés, il y a un Belge, Georges Ruggiu, qui a fait de la propagande sur les ondes de la Radio Télévision Libre des Mille Collines pour appeler aux massacres, et Théoneste Bagosora, colonel des FAR (Forces Armées Rwandaises) et cerveau supposé des massacres. Et d'autre part, la caméra sort de l'enceinte du tribunal pour filmer des paysages du Rwanda, petit pays magnifique aux mille collines et où le réalisateur nous présente, entre autres, un homme, Jean de Dieu Bucyibaruta, qui a avoué sa participation au génocide. Lui-même issu d'un couple mixte, il est marié avec une femme de l'autre ethnie (on ne lui a pas demandé de la tuer. L'aurait-t-il fait?). Quand il est interviewé, il venait de purger une peine de 9 ans et il est en passe d'être à nouveau condamné par un tribunal populaire, un "Gacaca". Il reconnaît avoir été un des bourreaux et c'est d'autant plus terrible que c'est un homme posé, pas un psychopathe. Il a obéi aux ordres de gens qu'il ne connaissait pas. Les "Gacaca" doivent rester en place jusqu'en 2011 ou 2012. La femme de Jean de Dieu préside un des ces tribunaux populaires. Juste avant le générique de fin, on apprend d'ailleurs que Jean de Dieu a été condamné à 30 ans de prison par un "Gacaca".
A la fin de la séance à laquelle j'ai assisté, il y a eu une rencontre avec le producteur et une spécialiste du dossier. C'est là que je me suis rendue compte de mes lacunes que je vais essayer de combler avec la lecture de l'ouvrage Le tribunal des vaincus - Un Nuremberg pour le Rwanda? de Thierry Cruvellier (cité dans le générique), sur lequel je ferai un billet dès que possible. Thierry Cruvellier est le seul journaliste à avoir suivi pendant 6 ans les procès d'Arusha. Le film, quant à lui, n'est pas parfait: il montre plus qu'il n'explique, mais c'est ce qui fait sa force, et il parle d'un événement qu'il ne faut pas oublier.
Le film est d'autant plus d'actualité qu'a priori, il y a des éléments nouveaux concernant les responsables de l'assassinat du président Rwandais en avril 1994: il s'agirait de Hutus et non de Tutsis. A part ça, je m'interroge sur le fait que ce documentaire, passionnant et qui soulève plein de questions, n'ait pas eu plus d'échos (et qu'il n'ait pas eu droit à une diffusion sur une chaîne de télévision publique, par exemple à une heure de grande écoute) mais il y a des vérités qui fâchent et le ministre des Affaires étrangères français vient d'effectuer, ces jours-ci, une visite au Rwanda pour essayer de renouer des relations économiques avec le Rwanda.
PS: Mail reçu du réalisateur, qui, annoncé, n'avait pu être présent à la séance à laquelle j'avais assistée:
"Chers amis,
Sorti le 16 décembre, le film est parvenu à maintenir une présence à Paris sur un écran, de manière ponctuelle.
Prévenez donc la France entière de se rendre Au 3 Luxembourg (67, rue Monsieur Le Prince, 75006 Paris) pour des projections débats en présence du réalisateur:
- le lundi 11 janvier 2010 à 21h avec la participation de Patrick Baudouin, président d'honneur de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme,
- le jeudi 14 janvier 2010 à 21h avec la participation de Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme.
Le film sera aussi projeté à Toulouse, Nantes, Montpellier, Caen, Les Ulis, ...
Bonne année à tous"
PS2 [20/01/2010]: Mail reçu ce jour:
Pour ceux qui n'ont pas encore pu voir le film "d'Arusha à Arusha", de
Christophe Gargot, ou qui seraient intéressés par les débats qui
l'accompagnent, voici les prochaines séances à Paris, avec quelques
invités particulièrement intéressants.
Amitiés
À L'Entrepot (7 / 9 rue Francis de Pressensé - 75014
Paris)
- 21 janvier 2010 à 20h00 en présence de Maître Raphaël
Constant (avocat de Théoneste Bagosora)
- 23 janvier 2010 à 16h00 en présence de Maître Jean-Marie Biju
Duval (avocat de Ferdinand Nahimana)
- 26 janvier 2010 à 20h30 en présence de Rony
Brauman.
Voir le site du film